Perdre son père est aussi vieux que le monde. C’est un drame personnel quelle que soit la religion et la culture. Mon père lui est mort brutalement sur la voie publique au Maroc, je me trouvai 8 000 km plus loin, au Brésil, le pays où j’ai élu domicile. Je lui avais rendu visite quelques jours plus tôt à Rabat et nous nous sommes faits nos adieux sans le savoir sur le pas de la porte un dimanche radieux d’octobre.
La mort, la police, le cimetière, la mosquée, l’administration, la banque, ces mots vont prendre une connotation particulière dès la disparition de mon père. Sans la protection et la médiation de mon père, je serai déniaisé. Tout va s’effondrer à commencer par l’image du pays où je suis né et que j’ai quitté à mes vingt ans.
J’ai ouvert les yeux sur une société archaïque, saturée de corruption et de faux-semblants. Et peut-être que la découverte la plus douloureuse a été de ressentir dans ma chair cette décadence morale ancienne et sans cesse ravalée derrière des couches et des couches de mensonges faits à soi-même et au monde. Il a fallu que mon père parte pour que je voie clair : le mal est profond et va bien au-delà des élites, il a emporté le peuple en entier.
Mon père aimait les juifs du Maroc, il faisait partie d’une génération qui chérissait toutes les composantes du Maroc : sa terre, ses arbres, ses fleuves et ses habitants dans toute leur diversité. Tout petit, à Séfrou, il côtoyait les juifs qui étaient là depuis la naissance du Maroc. Plus tard, il les a vus partir en grand nombre vers Israël, la France et l’Amérique du Nord.
En partant ils ont emporté avec eux des compétences et un mode de vivre qui font cruellement défaut au Maroc d’aujourd’hui. Ils étaient comme mon père, c’étaient des Marocains exceptionnels, capables d’assumer leurs traditions et d’évoluer dans la modernité. C’est facile à dire et à écrire mais c’est extrêmement difficile à réaliser sur le terrain.
Petit à petit, les Marocains de la trempe de mon père tirent leur révérence. Et l’effet se ressent à l’œil nu pour ceux qui, comme moi, acceptent de voir le réel. Y’aura-t-il une relève ?
Mon père, le Maroc et moi est une chronique sociale, elle paraît le 05 février aux Editions de l’Artilleur. Prix : 15 euros en librairie et 8.99 euros en format kindle (Amazon).
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