Face à la pression populaire, Abdelaziz Bouteflika a annoncé lundi 11 mars qu’il ne briguerait pas un 5ème mandat.
Pour le peuple algérien, mobilisé depuis près d’un mois contre l’oligarchie au pouvoir, c’est une première victoire historique. Historique parce qu’un tel recul était parfaitement impensable il y a encore trois semaines. Historique parce qu’elle résulte d’une mobilisation exemplaire, massive et sans effusion de sang. Historique parce qu’elle démontre que la structure même de l’oligarchie au pouvoir ces vingt dernières années, et qui semblait intouchable, est désormais profondément atteinte.
Pour autant, la nouvelle n’a pas suscité la joie tant attendue dans les rues d’Algérie. Bien au contraire.
Derrière l’apparent effacement d’Abdelaziz Bouteflika se cache l’ultime tentative du clan Bouteflika de conserver le pouvoir en proposant d’organiser lui-même la transition exigée par les Algériens pour mieux la contrôler et parvenir, in fine, à préserver ses intérêts et maintenir le statu quo.
Si Abdelaziz Bouteflika a bien affirmé qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat – poussant le ridicule à déclarer que cela n’a jamais été son intention, malgré le dépôt officiel d’une candidature en son nom auprès du Conseil constitutionnel algérien -, il vient de s’arroger, en toute illégalité, le droit de prolonger d’un an son mandat actuel, censé s’achever le 26 avril prochain. Les élections prévues le 18 avril se retrouvent ainsi, sous le seul effet d’un communiqué de M. Bouteflika, reportées sine die, au mépris de la Constitution, du Conseil constitutionnel et du Parlement.
Abdelaziz Bouteflika est apparu lundi soir à la télévision, amorphe, prostré, immobile, l’œil hagard. Une nouvelle mise en scène pitoyable pour annoncer la démission du gouvernement d’Ahmed Ouyahia, remplacé par Noureddine Bedoui, ministre de l’Intérieur depuis 2015, dont la nomination est vécue par les Algériens comme le signe évident d’un tournant autoritaire.
Homme-clé du clan Bouteflika, il a violemment réprimé les manifestations des médecins résidents en janvier 2017, s’illustrant également par de nombreuses atteintes aux droits syndicaux et à la liberté de la presse (plaintes contre des journalistes et des bloggeurs, refus de visas à des journalistes lors de la révélation des Panama Papers).
Espérant faire passer la pilule, le clan au pouvoir a choisi d’adjoindre au premier ministre un vice-premier ministre, Ramtane Lamamra, ancien ministre des affaires étrangères (2013-2017), qui a derrière lui une longue carrière diplomatique, notamment passée par l’Union Africaine et l’ONU et de nombreuses missions de médiation lors de conflits dans des pays africains.
Mais les Algériens ne sont pas dupes de la manœuvre.
L’insurrection engagée le 22 février s’enracine jour après jour dans le pays. Elle s’est poursuivie mardi 12 mars donnant à nouveau lieu à d’immenses rassemblements.
Partout dans le pays, les grèves se multiplient. Dans les universités, les étudiants et les enseignants, accompagnés par quelques recteurs courageux, ont choisi de braver la décision du ministre de l’Enseignement d’avancer les vacances de 10 jours dans l’espoir de fermer des campus transformés en foyers de contestation contre l’oligarchie.
Tous les jours, le pouvoir enregistre de lourdes défections. Elles ne sont plus le fait de quelques responsables locaux mais d’organisations entières, comme l’influente organisation nationale des moudjahidine (première association des anciens combattants de la guerre de libération), jusqu’alors très proche du pouvoir, qui se déclare désormais solidaire des « aspirations légitimes du peuple ».
Après les avocats, mobilisés depuis le début, les médecins, les étudiants, les lycées, les journalistes, ce sont les magistrats algériens, pourtant tenus aux devoirs de réserve et de neutralité, qui se sont joints au mouvement. Lundi 11 mars, ce sont de plus de 1 000 juges à travers le pays, qui menaçaient de ne pas encadrer l’élection présidentielle si Abdelaziz Bouteflika maintenait sa candidature. Une mobilisation inédite dans l’histoire de la magistrature en Algérie.
Trois jours plus tôt, le vendredi 8 mars, jour mondial de lutte pour les droits des femmes, ce sont les Algériennes, belles et rebelles, qui ont marché en tête des cortèges immenses qui ont défilé dans les rues des 48 wilayas du pays. Plusieurs millions de manifestants à travers le pays ont répondu présent, toutes générations confondues, pour poursuivre et amplifier le mouvement populaire que nul n’attendait.
Chaque mobilisation populaire est un moment de création collective spontanée. Le soulèvement des Algériens n’y déroge pas : dès les premiers rassemblements, une pratique, encore jamais observée auparavant, est née de l’initiative de jeunes manifestants : le nettoyage des rues arpentées par les défilés.
Des citoyens, armés de sacs poubelles, qui manifestent et ramassent les détritus sur leur passage, laissant les rues parfaitement propres, plus propres qu’elles ne l’étaient avant leur passage.
La scène a suscité beaucoup de sympathie, avant de s’établir en pratique générale, observée dans tout le pays, et de devenir l’un des marqueurs originaux de cette mobilisation inédite.
Au-delà du geste, l’exercice est porteur d’une affirmation politique pleine de maturité, qui va de pair avec la dimension résolument pacifique du mouvement depuis ses premières heures. Il procède de la volonté des Algériens d’affirmer qu’ils représentent, face à ce pouvoir corrompu, les véritables garants du bien commun.
C’est la raison pour laquelle la mobilisation ne faiblira pas. L’ultime « ruse » de l’oligarchie ne sera pas l’épilogue du mouvement. Les rassemblements du mardi 12 mars le démontrent déjà. Loin d’éteindre ou d’affaiblir le désir d’émancipation porté par le peuple algérien, elle n’a fait que renforcer sa détermination.
Ali Seriani
L’Heure du Peuple, 13 mars 2019
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