L’immense mobilisation du vendredi 15 mars dans les rues algériennes met le régime et son symbole, Bouteflika au pied du mur. Tireront-ils les leçons de leur impopularité ?
L’immense mobilisation du vendredi 15 mars dans les rues algériennes met le régime et son symbole, Bouteflika au pied du mur. Tireront-ils les leçons de leur impopularité ?
Difficile de faire plus édifiant, plus convaincant. Les Algériens ont montré ce vendredi 15 mars un degré de mobilisation populaire sans précédent depuis les immenses rassemblements qui avaient accueilli les premières heures de l’indépendance nationale en juillet 1962. Avec un mot sur toutes les bouches : « Non ! ».
Non à la stratégie du régime qui consistait à répondre au refus du peuple d’un cinquième mandat du « président-momie » Abdelaziz Bouteflika par l’annulation des élections et le maintien du « raïs » à son poste assorti du lancement dans quelque temps d’une conférence nationale. Implacable par son évidence, la phrase choc « On voulait des élections sans Bouteflika et on se retrouve avec Bouteflika sans élection ! » a fait florès. Des millions d’Algériens sont descendus dans les rues à Alger, Oran, Constantine, Annaba et ailleurs, pour crier, pacifiquement, leur opposition à ce qu’ils considèrent comme un subterfuge – voire un coup d’Etat en douce – du régime pour gagner du temps.
Une chronologie édifiante
C’est du jamais vu. De l’inattendu. La chronologie même des événements montre que les concessions du régime algérien poussent la population, d’une maturité jusqu’ici sans failles, à montrer sa détermination, à rejeter toute manœuvre à caractère dilatoire. Le 10 février, le président – très malade et dont on n’a plus entendu la voix depuis cinq ans – faisait savoir qu’il serait candidat à un cinquième mandat, lui qui a été désigné à son poste par l’armée en 1999. La contestation face à cette décision vécue comme une humiliation par de très nombreux Algériens n’a ensuite plus cessé d’enfler. Le 2 mars, « Boutef » s’engageait alors dans une lettre à ne pas aller au bout de son mandat s’il était élu. A quoi, le 8 mars, répondait une marée humaine dans les villes d’Algérie.
Le 11 mars, à peine rentré de deux semaines d’hospitalisation en Suisse, le « raïs » annonçait – ou faisait annoncer – qu’il renonçait à briguer un cinquième mandat, prolongeant le quatrième – ce que la constitution du pays ne prévoit nullement – tout en prévoyant une conférence nationale pour préparer une nouvelle constitution. Pour la forme, il limogeait aussi le Premier ministre Ahmed Ouyahia pour le remplacer par un autre fidèle, le ministre de l’Intérieur Noureddine Bedoui. Résultat ? Le 15 mars, les Algériens montraient la plus extraordinaire des mobilisations de leur histoire contemporaine dans un esprit à la fois résolu, discipliné, festif et même taquin… Bouteflika doit partir, et le « système » aussi !
Réprimer ou négocier ?
Que va faire le régime ? Deux options semblent sur la table, sauf si des scénarios dérivés de celles-ci devaient s’imposer : le maintien de Boutefika et le recours à la violence d’une part, ou alors la démission rapide du président et le début d’une improbable mais nécessaire négociation entre les Algériens, toute la société ! et leur régime en vue de lancer, très vite, une transition vers l’élection d’une assemblée constituante.
La violence ? Ce régime a déjà recouru à la répression la plus létale à plusieurs reprises, notamment en 1988 et entre 1992 et 2000. Mais les circonstances étaient bien différentes. L’armée, colonne vertébrale de l’Algérie depuis toujours, hésitera cette fois à s’engager dans une nouvelle guerre contre le peuple à l’heure des réseaux sociaux et alors que tout le monde se félicite du caractère calme, pacifique et mature de la mobilisation populaire. Des coups fourrés, en revanche, pourraient se produire…
Mais alors, négocier ? Pour « les décideurs » sous pression, il faudrait d’abord se résoudre à sacrifier, à démissionner Bouteflika. Comment réagirait alors son clan, devenu puissant ? La « rue », en tout cas, ne pourrait ensuite cacher sa joie, son euphorie et les moments de liesse qui s’ensuivraient pourraient donner lieu à toutes les provocations d’un régime qui, d’ailleurs lézardé, se sait victime d’une colossale impopularité.
« Une rupture radicale »
Et puis, négocier, mais avec qui ? A l’instar des « printemps » arabes de 2011, cette vraie révolution algérienne se déroule sans que des figures de proue émergent ! Cela pourrait inquiéter les démocrates. Cité par le site Orientxxi.info, l’avocat et ex-homme politique Mokrane Aït Larbi nuance et précise : « Il est d ifficile à ce stade de prévoir l’acheminement d’un large mouvement populaire autonome, qui n’est pas conduit par un leader, et qui a atteint l’amplitude d’une révolution pacifique. Dans tous les cas de figure, le peuple algérien a rompu avec la peur et le désespoir qui poussaient ses enfants à quitter le pays par tous les moyens, y compris par la mer et au péril de leur vie, pour se réapproprier l’initiative et imposer sa parole. Aujourd’hui, le peuple algérien n’adhérera à aucune réforme proposée par l’actuel système, car seule une rupture radicale pour construire une Algérie nouvelle répondra à ses attentes depuis l’indépendance ».
Les incertitudes demeurent en tout cas pour le moment nombreuses.
Le Quotidien d’Algérie, 17 mars 2019
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