« C’est ainsi que l’on voit un Ahmed Ouyahia appeler le président à démissionner, ou bien son principal lieutenant jeter l’anathème sur la famille du chef de l’Etat sans aucune retenue, dans une sorte de surenchère où les agents du pouvoir les plus zélés et les plus » mouillés » en deviennent les plus grands et les plus insolents pourfendeurs. De pareils repositionnements montrent bien que le système tente de se recycler, et de survivre à cette protesta historique ».
Par Mohamed Abdoun :
L’appel lancé par Gaïd Salah en faveur de l’application de l’article 102 de la constitution donne l’air de poser plus de problèmes qu’il n’en résout. Le premier d’entre tous relève sans doute de cette immixtion de l’armée dans les affaires politiques, alors que cette même constitution le lui interdit formellement.
Les missions de l’ANP, à l’ombre de la république démocratique algérienne sont on ne peut plus claires, en effet. Loin de moi, cependant, l’idée de douter de la bonne foi du chef d’état-major. C’est, sans doute mu par son inquiétude face à ces manifestations, certes exemplaires, mais pouvant quand même dégénérer à tout moment à cause d’agitateurs professionnels qui n’attendent que le moment idoine pour entrer en action, que Gaïd Salah a lancé cet appel pressant.
Cet appel du coeur. Cet appel qui (re)plonge l’armée au coeur de la chose politique, alors qu’elle s’en est admirablement extraite, se professionnalisant à l’extrême, et exécutant avec un rare brio l’ensemble des missions pour lesquelles elle a été créée. Et ce n’est pas là le moindre des problèmes, ainsi posés.
De fait, si cet appel avait été lancé il y a de cela à peine un mois ou deux, sans doute aurait-il été salvateur pour le pays, et accepté par l’écrasante majorité de la population, ainsi que par une bonne partie de la classe politique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La rue, excédée par le fait que le pouvoir a superbement ignoré ses revendications en dépit du gigantisme de ses marches du vendredi, a fini par relever de manière très sensible l’ensemble de ses revendications.
La rue ne se contente plus de s’opposer ce mort-né cinquième mandat, ou même à la prorogation de l’actuel. La rue ne veut rien moins que le départ du système dans son entier. Ce n’est pas pour rien, du reste, que beaucoup d’acteurs politiques s’empressent de retourner leurs vestes, à qui mieux-mieux, dans un climat surréaliste, où la réalité est en passe de dépasser les rêves et les cauchemars les plus fous.
C’est ainsi que l’on voit un Ahmed Ouyahia appeler le président à démissionner, ou bien son principal lieutenant jeter l’anathème à la famille du chef de l’Etat sans aucune retenue, dans une sorte de surenchère où les agents du pouvoir les plus zélés et les plus » mouillés » en deviennent les plus grands et les plus insolents pourfendeurs.
De pareils repositionnements montrent bien que le système tente de se recycler, et de survivre cette protesta historique. Pour cela, le sacrifice du chef de l’Etat semble avoir été privilégié, un peu à l’image de ce qui s’était passé pour le président Moubarak, transformant le printemps égyptien en un printemps à blanc.
Le PT, qui a siégé dans toutes les assemblées nationales, et qui a fait son beurre, découvre subitement que celles-ci ne serviraient à rien, et en claque la porte avec véhémence après plus d’un quart de siècle de » collaboration » et de » cohabitation « .
Pareille manoeuvre ne saurait tromper personne. Ce n’est pas tout. Une application stricte de ce fameux article 102, que le président démissionne, ou qu’il soit reconnu incapable de gouverner, ne saurait en aucune manière régler la crise algérienne.
L’idée que l’actuel gouvernement soit maintenu en place, selon l’article 104 de la constitution, que Bensalah devienne président par intérim, et qu’une présidentielle se tienne sans la moindre garantie en direction des éventuels candidats, ne ferait que nous ramener une bonne vingtaine d’années en arrière dans le temps, voire plus loin encore.
L’idéal, et je continue de le dire, serait de mettre en place en urgence une commission nationale d’organisation des élections, et de convoquer le corps électoral pour la tenue d’une présidentielle libre, démocratique et transparente. Le peuple, à ce moment, saura j’en suis sûr reconnaitre les siens.
M. A.
Tribune des Lecteurs, 27 mars 2019
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