MAGHREB. L’Algérie est, pour la France, une douleur et une nécessité. Partenaire économique qui finit par privilégier nos concurrents ou terre d’islam avec qui il faut lutter de concert contre le terrorisme, l’allié algérien est un facteur d’instabilité nationale.
L’élection présidentielle algérienne a finalement été ajournée ce 11 mars par le président Bouteflika, qui a annoncé, dans la foulée, la préparation d’une nouvelle constitution. Ceci nous importe dans la mesure où la France et l’Algérie sont liées par des relations complexes qui les enchaînent mutuellement.
Des relations d’interdépendance
Au plan économique, cette dépendance mutuelle est criante : la France est le premier fournisseur de l’Algérie en matériels divers et son cinquième partenaire commercial. Notons, à ce sujet, la régression de la France, au départ à la première place, puis dépassée par les États-Unis, l’Italie l’Espagne, et la Chine, nouvelle venue, dont les importations de produits algériens représentent, depuis 2014, 8 197 milliards d’euros, contre 6 342 milliards pour notre pays. Les États-Unis, eux, ont un volume d’échanges commerciaux avec l’Algérie qui s’élève à 19 milliards de dollars. Il importe d’ailleurs de remarquer que le maintien de la France à cette cinquième place découle en bonne partie de son appartenance à l’Union européenne, laquelle absorbe 50% des exportations algériennes.
Depuis longtemps, la France cherche à sauver sa prééminence en Algérie et en Afrique du nord. Rappelons ici son rôle déterminant dans le lancement du Processus de Barcelone (27-28 novembre 1995), à l’initiative de Jacques Chirac, puis dans la constitution de l’Union pour la Méditerranée, fondée à Paris le 13 juillet 2008 à l’initiative de Nicolas Sarkozy, et regroupant 43 pays du pourtour méditerranéen, dont les trois États maghrébins et les 27 membres de l’UE, et dont le but officiel consistait à construire « un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée », étayé sur le libre-échange, le développement des ressources humaines et des échanges culturels, et le respect des Droits de l’Homme. Saluée comme un grand succès de la diplomatie française, l’Union pour la Méditerranée a accouché de projets ambitieux, mais de peu de réalisations pratiques.
Le renforcement des relations franco-algériennes viendrait plutôt de la lutte commune contre le djihad. Ministres, hauts fonctionnaires et généraux français et algériens se consultent, depuis 2017, pour coordonner leurs opérations, échanger leurs analyses et leurs expertises. Les ministres des Affaires étrangères et de l’Économie des deux États se rencontrent régulièrement. Chacune des deux nations ne peut se passer de l’autre : toutes deux sont condamnées à s’entendre et à s’épauler.
Des relations tumultueuses
Or, depuis cinquante-sept ans, cette association nécessaire est émaillée de tensions, de ruptures, de refroidissements et de raideurs. L’ancien président algérien Houari Boumedienne disait justement : « Les relations entre la France et l’Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, mais elles ne peuvent pas être banales ». Et, de fait, non seulement elles n’ont jamais été ni banales, ni normales, mais toujours fortement empreintes de rancœur, de haine latente, de méfiance, d’oppositions.
Les accords d’Évian du 18 mars 1962 devaient tenir lieu de base à l’ensemble des relations entre la France et l’Algérie indépendante. On sait ce qu’il advint. La guerre d’Algérie se termina dans des bains de sang et les accords ne furent acceptés ni par l’aile radicale du FLN, qui les considérait comme « une plate-forme colonialiste », ni par une bonne partie de la classe politique française, encline à les interpréter comme une défaite humiliante et une amputation du territoire national. Les désaccords entre les deux pays éclatèrent dans le domaine militaire (les Algériens s’accommodant mal de la libre disposition par les Français, pendant cinq ans, des installations de In Ecker, Reggane, Colomb-Béchar et Hammaguir) et au plan économique, au niveau de l’exploitation des ressources pétrolières du Sahara. La crise culmina avec la décision du président Boumédiène de nationaliser les ressources pétrolières et d’en confier l’exploitation à une société nationale, la Sonatrach (24 février 1971). Elle connut un moment d’arrêt avec la visite de Giscard d’Estaing à Alger (10 avril 1975). Le président français déclara alors : « Aujourd’hui, nos deux peuples travaillent ensemble », ce qui semblait relever d’une bonne volonté coopérative fondée sur l’oubli du passé. Mais rien ne fut sérieusement tenté pour lancer cette coopération, et la collaboration entre les deux pays continua à relever de la contrainte mutuelle, et resta défiante. D’autant plus qu’à partir de 1976, le soutien diplomatique apporté par la France au Maroc, lors de la crise du Sahara occidental, empoisonna les relations politiques entre Paris et Alger.
Notre prudence sans panache et sans génie s’efforce de préserver un avenir bien incertain.
Les deux États semblèrent pourtant opérer un sérieux rapprochement au début de la décennie 1980. Ils étaient dirigés par deux nouveaux présidents, Chadli en Algérie, Mitterrand en France, décidés à aller dans la voie d’une collaboration étroite et confiante. Dès la fin de 1979, Chadli avait affirmé, à la télévision française, que les deux pays pouvaient oublier le passé et entretenir les meilleurs rapports, à l’exemple des relations franco-allemandes ; de son côté, Mitterrand, galvanisé par son très pro-arabe ministre des Relations extérieures, Claude Cheysson, rêvait d’instaurer entre la France et les pays du Tiers Monde des rapports exemplaires. Ce qui l’amena à conclure, à la suite de son séjour à Alger (30 novembre-1er décembre 1981), une série d’accords commerciaux, dont l’achat par la France du gaz algérien à un prix supérieur de 25% au cours mondial ! Initiative typique des bouffées délirantes de Mitterrand, qui présenta l’inconvénient d’alourdir notre facture énergétique sans que l’Algérie ne nous renvoyât l’ascenseur par des préférences ou des facilités accordées à nos entreprises ou des avantages douaniers sur nos produits. Le « coup de passion » entre Paris et Alger, suivant l’expression de Cheysson resta sans lendemain. Et les relations franco-algériennes poursuivirent leur fatal chemin, cahin-caha. Maintenues par la seule nécessité et le poids de l’histoire, insuffisantes pour générer un réel avantage politique ou économique, elles suffirent, en tout cas, à entraîner des conséquences néfastes pour notre pays. Celui-ci, en raison de ses liens avec le pouvoir FLN d’Alger, devint, à partir des années 1990, la cible du terrorisme islamiste, en lutte contre ce dernier… avec lequel les relations tendaient à se dégrader. En effet, des décennies durant, la France avait fermé les yeux sur le caractère autoritaire, clanique et corrompu de l’État et du système politique algériens. D’autant plus que le régime avait été institué par les « patriotes » algériens vainqueurs du colonialisme français au nom du droit des peuples, ce qui rassérénait la bonne conscience qui imprègne toute notre classe politique et nos gouvernements successifs.
Mais l’irruption, sous la forme du terrorisme, de la guerre civile entre l’État FLN et ses adversaires djihadistes obligea nos dirigeants, volens nolens, à prendre position dans ce conflit. Ainsi, la France se permit-elle de critiquer les entorses faites à la démocratie en Algérie et le caractère irrégulier de l’élection d’Abdelaziz Bouteflika en 1999. Le président algérien fut reçu cordialement par son homologue français, Jacques Chirac en juin 2000, lequel lui rendit la pareille à Alger en mars 2003, mais les relations entre la France et l’Algérie se tendirent de nouveau, lorsque en février 2005 le Parlement français vota une loi rappelant les aspects positifs de la colonisation. La visite de Sarkozy à Bouteflika, en décembre 2007, permit la conclusion de contrats pétroliers et gaziers de cinq milliards de dollars. Mais cette rencontre au sommet frôla l’échec cuisant, le président algérien persistant à manifester sa rancune anticolonialiste envers la France.
Une nouvelle crise éclata avec l’arrestation, en août 2008, du diplomate Mohamed Ziane Hasseni, accusé d’avoir commandité le meurtre d’un opposant algérien, et ne fut que très difficilement surmontée, notamment par la visite à Alger de l’ancien Premier ministre français Raffarin, en avril 2015. Dans l’intervalle, Sarkozy ignora Bouteflika lors de la réunion du G20 à Nice, en novembre 2011, et le président algérien attendit ostensiblement l’élection de François Hollande, le 6 mai 2012, pour accréditer le nouvel ambassadeur français à Alger, nommé par son prédécesseur.
Un avenir incertain qui condamne l’hypocrisie de la diplomatie française
Décidément, le passé ne veut pas passer, et il se complique, aujourd’hui, des répercussions sur les relations franco-algériennes de la montée des oppositions au pouvoir FLN. Pénible dilemme pour la France : elle aurait intérêt à se démarquer d’un État FLN toujours plus contesté, qui ne se maintient que par la force militaire et qui ne peut plus, comme il l’a longtemps fait, acheter la paix sociale en distribuant (aux entreprises, en particulier aux jeunes entrepreneurs) des subventions prélevées sur la manne des revenus du pétrole et du gaz, en raison de la baisse des cours mondiaux de ces sources d’énergie ; mais elle ne peut miser sur une opposition très émiettée, encore loin du pouvoir, et qui risque de se montrer exigeante lorsqu’elle y accédera ; et tout cela avec le danger de voir croître en influence le radicalisme musulman. Actuellement, elle se tient à une attitude expectative. Benjamin Griveaux a affirmé que le gouvernement, dont il est le porte-parole, souhaite que l’élection « réponde aux aspirations du peuple algérien ». Précisant ce pont de vue tout en évitant d’engager son gouvernement dans le débat politique algérien, il a déclaré : « C’est au peuple algérien et à lui seul qu’il revient de choisir ses dirigeants, de décider de son avenir, et cela dans la paix et la sécurité […] Nous formons le vœu que cette élection donne à l’Algérie l’impulsion nécessaire pour faire face aux défis qui sont les siens et pour répondre aux aspirations profondes de sa population ». Compréhensible, cette prudence ménage la chèvre et le chou, et s’efforce, sans panache et sans génie, de préserver un avenir bien incertain. Une incertitude encore accrue par la décision de Bouteflika de renoncer à briguer un cinquième mandat tout en demeurant à la tête de l’État jusqu’à la réforme de la constitution préparée par une « convention nationale », dont on ignore tout de la composition. Nos dirigeants actuels sont manifestement dépassés par la situation politique de l’Algérie d’aujourd’hui. On peut néanmoins se demander s’ils le seraient autant si leurs prédécesseurs, depuis 1962, avaient donné aux maîtres d’Alger l’exemple d’une politique nationale lucide, ferme et réellement constructive, au lieu d’une attitude hypocrite et bassement calculatrice mal dissimulée par une rhétorique et des postures tiers-mondistes dont aucun des deux pays n’a tiré un bénéfice réel et durable.
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