L’histoire de l’Algérie contemporaine a été écrite par des hommes et – nous l’oublions souvent – par des femmes. Elles étaient minoritaires, durant la période qui a précédé le déclenchement de la guerre de Libération mais leurs actions ont été remarquables.
Par Tarek Hafid
Elles s’appellent Aldjia, Mamia, Emilie, Nafissa, Fatima et Isa. Des femmes qui ont fait le choix de s’engager en politique durant la première moitié du XXe siècle. Elles ont participé à l’édification du mouvement national algérien, devenant ainsi les premières vraies héritières de la résistante Lalla Fatma N’soumer.
Ces femmes avaient pour dénominateur commun l’amour de l’Algérie, la jeunesse et la volonté de démontrer qu’elles sont capables de s’affirmer autant que les hommes en politique.
Emilie, l’anarchiste
Pourtant, une des premières militantes à lutter contre l’administration coloniale n’était pas algérienne mais française. Fille d’un mineur lorrain, Emilie Busquant a été l’épouse de Messali Hadj, un des pères du mouvement national algérien. Ses biographes la présentent comme une «militante anarcho-syndicaliste, féministe et anticolonialiste».
Douée d’une grande culture politique, elle a joué un rôle important dans la création de l’Etoile Nord-Africaine, première grande formation algérienne porteuse de revendications indépendantistes. Emilie Busquant est également présentée comme étant la créatrice du drapeau algérien que nous connaissons aujourd’hui. L’emblème avait été présenté en 1934 à des cadres de l’Etoile Nord-Africaine lors d’une réunion tenue au domicile des Messali à Paris. Emilie Busquant décède en 1953, soit une année avant le déclenchement de la Révolution. Son engagement a permis d’ouvrir la voie à d’autres femmes.
Les six pionnières
Dans son livre Des Femmes dans la guerre d’Algérie, Danièle Djamila Amrane-Minne explique que durant les années quarante et cinquante, les femmes algériennes «sont absentes de la vie politique». Seul le Parti du peuple algérien, formation fondée par Messali Hadj après l’interdiction de l’Etoile Nord-Africaine, intègre des femmes dans ses structures. «Le PPA a attiré l’élite intellectuelle féminine. En 1946, de jeunes enseignantes et étudiantes adhèrent à ce parti. Cependant, elles ne militent pas avec les hommes. Alger en compte cinq à la fin de cette même année. Conscientes que leurs actions doivent être dirigées vers les femmes, et profitant de l’ouverture du mouvement nationaliste à la légalité, elles imposent, en 1947, la création d’une Association des femmes musulmanes d’Algérie (AFMA). Il leur est plus facile dans ce cadre légal, et uniquement féminin, de toucher les femmes mais leurs activités deviennent surtout socioculturelles», écrit Danièle Djamila Amrane-Minne. L’auteure cite des statistiques du ministère des Anciens Moudjahidine de 1978 : «Sur les 10 949 anciennes combattantes enregistrées, seules 6 ont eu une activité politique avant la guerre.» Il faut cependant reconnaître que l’exclusion n’était pas uniquement le fait des nationalistes algériens, elle était également provoquée par les autorités françaises qui voyaient d’un mauvais œil l’émancipation des femmes.
Briseuses de tabous
Dans ce club très restreint figurent des femmes qui ont eu la chance de suivre des études supérieures. Aldjia Benallegue-Nourredine et Nafissa Hamoud ont brisé une série de tabous en devenant docteur en médecine. A la Faculté d’Alger, il y avait très peu d’étudiants «indigènes», alors des étudiantes ! Toutes deux étaient militantes du Parti du peuple algérien au début des années 1940. Elles se sont également impliquées activement sur le terrain, notamment lors des manifestations qui ont conduit aux massacres des civils en 1945.
Première femme médecin d’Algérie et d’Afrique, Aldjia Benallegue-Nourredine a montré une abnégation sans faille dans le combat qu’elle a mené sur le terrain politique. Vice-présidente du Comité de soutien à l’étudiant maghrébin, elle avait prononcé un discours ouvertement indépendantiste lors d’une réunion à laquelle ont participé plusieurs cadres du Parti du peuple algérien, en faisant référence «au drapeau algérien et à sa flamme sacrée qu’est la jeunesse» ! Les paroles, prononcées en public et reprises par la presse algéroise, avaient provoqué l’étonnement de M’hamed Yazid et de Cheikh Ibrahimi, présents dans la salle.
Durant la guerre de Libération, aux côtés de son époux, le pharmacien Abdelkrim Benallegue, elle a alimenté les maquis de l’Armée de libération nationale en médicaments et produits pharmaceutiques. Menacée par les ultras de l’Algérie française, elle a dû quitter l’Algérie jusqu’à l’indépendance du pays. Durant les années 1960, elle initie le service de pédiatrie de l’hôpital Parnet d’Alger, établissement qui porte depuis 2002 le nom de sa consœur et militante Nafissa Hamoud.
Connue à travers le monde pour ses travaux sur la santé de l’enfant, Aldjia Benallegue-Nourredine est décédée comme elle a vécu : dans la plus totale discrétion. Elle a passé les dernières années de sa vie auprès de sa fille en Syrie. Le professeur Benallegue a rendu son dernier souffle le 31 décembre 2015 à Tartous, où elle a été inhumée.
En participant activement à l’édification du mouvement national algérien, ces femmes – héritières de Lalla Fatma N’soumer – ont permis à des milliers de combattantes de prendre part à la guerre de Libération. Mais à l’indépendance, les moudjahidate ont été les premières victimes «politiques» du système qui s’est installé dès 1962.
A part quelques sièges à l’Assemblée constituante (seulement 10 sur les 195), elles n’ont eu accès à aucun poste politique. Aucune n’a réussi à obtenir le statut d’officier de la jeune Armée nationale populaire. Pas une seule gradée dans les rangs, alors que nombre d’entre elles étaient, armes à la main, dans les maquis, au sein des structures combattantes de l’OCFLN et des cellules d’espionnage du MALG. Comme une victoire qui laisse un goût amer de défaite.
T.H.
Babzman, 7 mars 2017
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