Source : Souvenirs et et récit d’une enfance à Rabat
A quoi ressemblait la télé des débuts ?
Etait-elle aussi ringarde ? Plus débridée ?
La TéléVisionMarocaine nous a ouvert la porte de ses archives.
Morceaux choisis de la télé d’une autre heure, où la créativité ne manquait pas.
C’était il y a plus de quarante ans. Le Maroc, fraîchement indépendant, découvrait la télévision. Quatre heures de diffusion par jour, de 18h à 22H. Un car régie pour unique moyen. Un studio emprunté à la radio, transféré ensuite au quatrième étage du théâtre Mohammed V. Une table télécinéma pour la diffusion, prêtée par le groupe italien La Rai.
Des équipes totalement profanes qui devront apprendre sur le tas, un maigre budget annuel de 1 800 000 DH pour financer le tout et des invités en dilettante qui se permettaient même de fumer, à l’antenne. La télévision marocaine a démarré avec presque rien. Aujourd’hui, pourtant, on se souvient de cette époque comme de l’âge d’or de la télévision marocaine. Et pour cause, la créativité était à son apogée. Depuis, mis à part le phénomène “ça bouge à la télé”, au milieu des années 80, la TVM semble avoir sombré dans une profonde et tenace dépression.
Depuis la nomination de Laraïchi, au 1 rue Brihi, la vieille dame se débat pour sortir de sa léthargie. Lifting esthétique, remodelage du contenu, changement de statut… tout y est. Mais l’effort peine encore à porter ses fruits. Pour comprendre, commençons par un petit voyage dans le passé, quand la TVM faisait encore rêver les Marocains. Petites histoires d’une grande époque.
On parlait culture
Abdelhalim Hafed, Faïza Ahmad, Omar Sharif, Mahmoud Darwich, Nizar Kabbani, durant sa première décennie de vie, la TVM en a vu défiler des noms. De grandes figures du cinéma, de la littérature et de la poésie arabes. Malgré la modicité des moyens, l’équipe inauguratrice de l’ère de l’audiovisuel arrivait à tout faire et à être partout. En pleine crise d’état d’exception, le politiquement correct n’avait pas encore atteint le culturel.
C’est ainsi qu’au cours de l’une de ces interviews “artisanales”, Omar Sharif, alors réputé pour être accro au bridge, avoue s’être trouvé une nouvelle addiction : la course de chevaux. Aujourd’hui, un tel aveu serait inimaginable à la télé. Un an auparavant, Nizar Kabbani décrivait les Marocains dans ce poème “Mes sentiments sont simples, mon revenu est simple. Je crois en deux choses : le pain et les saints”… Il avait tout compris ?
Le baptême
Mars 62, Hassan II décide que la fête du trône sera l’occasion idéale pour lancer la TVM. Ce sera son premier grand fait d’armes de jeune roi pour “la nation”. Le discours devra être diffusé en direct. Autour de l’unique car-régie que possède la nouvelle chaîne, techniciens et journalistes se démènent dans l’angoisse. Leur formation n’est pas encore achevée. Mais ils devront faire avec, car c’est la volonté du roi. Les répétitions durent un bon moment.
Le succès est d’autant plus difficile à garantir qu’à l’époque, l’image et le son sont enregistrés sur deux bandes différentes qu’il faut ajuster l’une sur l’autre pour la diffusion. Résultat, quelques heures plus tard, lorsque les fourmis de la petite lucarne visionnent la cassette de la toute première image audiovisuelle du pays, elles réalisent la bourde.
Le public a tout vu et entendu, en direct, des premiers bégaiements du présentateur Mohamed Bennani aux essais-ima-ges en passant par les moments de panique et les mises en position des caméras. Aujourd’hui encore, la petite équipe en rit.
On riait de tout
Deux succès de l’époque. Khamiss Al Had (Le jeudi de la chance) et Qabla Al imtihan (Avant l’examen). Le premier animé par Mohamed Bouanani est une émission grand public. Le staff se déplace dans les villes, fait parler les gens et les fait jouer. Une manière drôle et fine de combattre le régionalisme. Les Marocains apprennent à se connaître les uns les autres dans le jeu et l’humour.
La seconde présentée par Abderrafiï Jouahri s’adresse aux futurs bacheliers. L’enseignement n’a pas encore connu la campagne d’épuration dont il traîne encore les séquelles. Sur un autre registre, l’émission Soura (image) se penche sur les absurdités de la société, les comportements et les préjugés. Tous les programmes, quel que soit leur domaine de prédilection,ont le même mot d’ordre : rire.
On produisait
Pièces de théâtre et séries télévisées constituaient l’essentiel de la production. Et il y en avait pas mal. Pourtant, les moyens étaient minimalistes, une pièce au quatrième étage du théâtre Mohammed V en guise de studio, un plafond si bas que les projecteurs trônaient juste au-dessus de la tête des acteurs, des décors quasi-inexistants par manque d’espace, et des costumes bricolés par les soins de toute l’équipe, souvent empruntés à la garde robe personnelle des acteurs. à cette époque, le différé était un rêve.
Les pièces de théâtre et les séries étaient jouées en direct, tous les jours. Quelques acteurs ont frôlé le drame. Ce fut le cas de Salah Eddine Ben Moussa qui, jouant une scène où il devait se pendre, a failli y passer parce que l’acteur qui lui donnait la réplique a oublié de soutenir ses jambes durant la pendaison. Ben Moussa, étouffant, criait au secours sous le regard des autres qui croyaient que ses cris étaient de l’excès de zèle dans le jeu. L’anecdote est entrée dans les annales de la télé.
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