par Ghania Oukazi
L’appel du chef d’état-major de l’ANP au dialogue et à l’organisation d’élections présidentielles devient redondance et continue de l’opposer à un «hirak» et à une classe politique qu’il s’est même refusé à qualifier en tant que tels.
Encore une fois, le général de corps d’armée parle mais ne décide pas. Ses interventions dans les casernes deviennent des messages classiques qui n’apportent pas de solution concrète à la crise politique dans laquelle s’enlise le pays depuis trois mois. Ahmed Gaïd Salah sait qu’il est dans l’impossibilité d’organiser des élections présidentielles le 4 juillet prochain comme il l’a fait annoncer par le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, au lendemain de la démission de Bouteflika.
Des échos des Tagarins laissent même penser à une élection présidentielle le 31 octobre ou le 7 novembre prochains et qu’il faille au préalable conformer l’esprit de la Constitution à la situation nationale «exceptionnelle». L’on sait d’ailleurs qu’une ébauche sur les mécanismes à mettre en place pour la création d’une instance chargée de l’organisation du scrutin lui a été adressée par des milieux universitaires.
De tout cela, le chef de l’état-major de l’armée n’en fait cas dans son discours du mardi dernier à partir de la 6ème région militaire. Son refus de se prononcer sur le report d’un rendez-vous avorté doit être à ses yeux cet indice qu’il veut de taille pour montrer que l’armée se refuse à intervenir dans le champ politique.
Devant l’opinion nationale et internationale, il tient absolument à ne pas être vu comme un putschiste qui impose au pays un régime militaire de fait. Il l’explique et l’affirme lorsqu’il souligne que «la priorité aujourd’hui est d’aller vers un dialogue productif qui prépare la voie à la tenue des prochaines élections dans les plus brefs délais possibles, loin, et je le dis, de périodes de transition aux conséquences incertaines, car l’Algérie ne peut supporter davantage de retard et de procrastination». Son allusion aux généraux putschistes de 1991 est claire. Il est certain que Gaïd Salah ne veut pas être considéré comme tel et refuse de revenir aux circonstances qui ont prévalu à l’arrêt du processus électoral de l’époque. Ses sous-entendus rappellent précisément l’intronisation du Haut Commandement de l’armée de l’époque à la tête de l’Etat à travers la présence de généraux janviéristes comme Khaled Nezzar dans le HCE (Haut Comité d’Etat.) Ce qui a plongé le pays dans une période de transition «d’exception» jusqu’en 95, date de l’élection présidentielle de Liamine Zeroual.
Quand Gaïd prône la prudence
C’est peut-être pour cela que le général de corps d’armée répète qu’il n’a aucune ambition politique. Ceci étant, ses affirmations ne l’éloignent pas de la scène politique dans laquelle il se trouve les pieds joints depuis le déclenchement de la crise. Mais il se veut prudent en restant dans les grands principes de sortie de crise, et ce, en s’abstenant à ce jour de fixer clairement les contours et les mécanismes du dialogue auquel il appelle et se refuse même à en désigner précisément les acteurs.
En attendant qu’il arrête l’opportunité pour les faire préciser par le chef de l’Etat, le chef d’état-major s’est adressé de Tamanrasset à «des personnalités et aux élites nationales», aux «personnalités nationales» et aux «enfants du pays» pour leur rappeler qu’un «dialogue sérieux, rationnel, constructif et clairvoyant est la seule solution à la crise». A aucun moment, le général de corps d’armée n’a interpellé nommément les partis politiques. Il est resté très vague sur les interlocuteurs ou les parties qu’il veut faire asseoir autour d’une table.
Et bien qu’il exhorte «les enfants du pays» à «apporter la contribution judicieuse de façon à trouver les solutions escomptées», il réaffirme sa solution à lui à l’impasse politique en insistant sur «la tenue d’élections présidentielles dans les plus brefs délais». Il place ainsi le balle dans le camp de ceux qui appellent au dialogue à partir de leurs salons tout en leur faisant remarquer qu’«il n’y a aucune raison de continuer à perdre du temps, car le temps est précieux et il n’y a pas moyen de le gâcher dans des discussions stériles loin du véritable dialogue sincère et constructif». Il ne manquera pas de leur dire que «rien n’est impossible et l’Algérie attend une sortie légale et constitutionnelle qui la prémunira contre toute forme d’exacerbation de la situation». Il rejette par la force du verbe toute idée de période de transition «aux conséquences incertaines».
La nouveauté dans son discours est peut-être cette esquisse d’un ordre du jour basé sur sa demande d’une «évaluation des circonstances que vit le pays» et surtout ces «concessions réciproques» qu’il attend de ceux qui appellent au dialogue. L’on se demande cependant de quel genre de concessions Gaïd Salah parle-t-il, mise à part celle qu’il attend de ses antagonistes de ne pas tenter de défaire le cadre constitutionnel par leur condition de faire partir le chef de l’Etat. Pour l’heure, Abdelkader Bensalah est la seule autorité constitutionnelle avec laquelle le dialogue peut être mené comme il le veut.
«La Constitution telle qu’elle est» ?
«Les solutions viendront dans les plus proches délais afin d’assister l’Armée Nationale Populaire dans l’accompagnement des fils de notre patrie, lorsqu’ils présenteront leurs propositions constructives comme le requiert le noble devoir national», a-t-il dit en supposant que le «hirak» aussi arriverait rapidement à désigner ses représentants pour la phase de concertation.
Le général de corps d’armée préfère slalomer entre les diverses situations plutôt que de détailler sa feuille de route et d’affronter ses objecteurs qui veulent l’amener physiquement sur le terrain politique. Pour lui, le jeu n’en vaut pas la chandelle parce qu’il risque de précipiter sa chute. La France lui a signifié hier qu’elle gardait l’œil sur ce qui se passait «chez lui». Son ministre des Affaires étrangères qui intervenait mardi dernier devant la commission de l’assemblée nationale de l’Europe et des Affaires étrangères, a exprimé le souhait de son pays que «les Algériens puissent trouver ensemble les chemins d’une transition démocratique».
Jean-Yves Le Drian s’est prononcé sur l’élection présidentielle en Algérie en faisant cette remarque claire : «( ) le problème c’est que pour qu’il y ait une élection, il faut qu’il y ait des candidats et, voilà, les candidats ne se manifestent pas. Il y a deux candidatures qui ont été reçues par le Conseil constitutionnel «. Le chef de la diplomatie française qualifie la situation de «très particulière où il y a des manifestations qui se poursuivent dans le pays, avec des aspirations profondes pour ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’Algérie». Il fait un clin d’œil au chef d’état-major de l’ANP en relevant «la volonté des autorités militaires de faire en sorte que la Constitution telle qu’elle est puisse s’appliquer.
D’où la répétition de l’engagement par M. Gaïd Salah de faire en sorte que l’élection puisse avoir lieu le 4 juillet». Son «mais», c’est, a-t-il dit, «il y a deux voies parallèles, d’un côté cette affirmation, de l’autre côté le mouvement du peuple algérien» et entre les deux, «nous (la France ndlr), nous souhaitons que les Algériens puissent trouver ensemble les chemins d’une transition démocratique. C’est ce que nous espérons compte tenu des liens profonds qui nous lient à ce pays et dans ces moments nous continuons de nous tenir aux côtés des Algériens dans le respect de l’amitié qui doit présider toujours à nos relations». Ceux qui tenaient à ce que la France officielle donne «son avis» sur les événements nationaux, Le Drian l’a fait avec précision.
Le Quotidien d’Oran, 30 mai 2019
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