Algérie : L’indispensable compromis

BRAS DE FER POUVOIR-MOUVEMENT POPULAIRE : L’indispensable compromis

Parce que le bras de fer entre le pouvoir et le mouvement populaire né le 22 février s’enlise avec l’entêtement du premier à mener lui-même la transition qu’il récuse dans la forme et le refus du second de tout parrainage du processus de transition par les restes du régime, le compromis pourtant indispensable semble relever du chimérique, du moins pour l’instant.

M. Kebci – Alger (Le Soir) – Le 16e vendredi du mouvement populaire, avant-hier, a été, on ne peut plus clair, en ce sens que les Algériens et les Algériennes ont, par millions, signifié leur refus de tout dialogue sous le parrainage des symboles clés du règne du président déchu.

Un dialogue auquel le chef d’état-major et vice-ministre de la défense nationale avait appelé il y a une quinzaine de jours avant que le chef de l’Etat intérimaire n’en fasse de même, jeudi dernier. Sauf que la logique de tout conflit ou bras de fer impose un compromis, fruit de négociations et de tractations autour d’une table. Et cette logique ne semble pas encore s’imposer, du moins jusqu’à maintenant, plus de trois mois après le début du mouvement populaire du 22 février dernier, tant les «belligérants» s’en tiennent, chacun, à sa propre feuille de route.

Au moment où le pouvoir réel s’entête à faire passer son propre agenda qui ne serait autre qu’un changement en son sein, la dynamique citoyenne en cours, la société civile, la classe politique de l’opposition et nombre de personnalités nationales, s’en tiennent, eux, à leurs mots d’ordre : pas de dialogue sous le parrainage des symboles du règne de Bouteflika, notamment le chef de l’Etat intérimaire et le Premier ministre. Ce qui ouvre grandement les portes d’une impasse inédite dans l’histoire du pays.

Une situation que Nacer Djabi impute au pouvoir ou ce qui en reste qu’il accuse «d’autisme», de «manquer d’intelligence politique» et d’avoir «l’handicap de l’écoute».

A croire qu’il «évolue dans un autre monde», estime encore le sociologue pour qui le pouvoir qui cumule échec sur échec est, par son attitude, en train d’affaiblir l’Etat et de ternir son image à l’international». Mais quid de la responsabilité du mouvement populaire dans cette situation ? Notre interlocuteur affirme que les «propositions de sortie de crise sont nombreuses à émaner de collectifs de la société civile, de partis et de personnalités».

Mettant en avant l’impératif des négociations, Djabi estime que «ce ne sont pas les personnalités réputées pour leur charisme, leur crédibilité, qui manquent, pour servir de passerelles d’avec le pouvoir et ainsi amorcer le dialogue pour peu que le pouvoir réel fasse preuve de volonté politique en émettant des signaux».

De son côté, Fatiha Ben-Abbou fait remarquer de prime abord que nous n’avons malheureusement pas la culture du compromis» non sans mettre le doigt sur l’impératif d’éloigner l’armée de la sphère politique. «Ce serait une erreur monumentale que de pousser l’armée à intervenir dans la sphère politique avec ses grenouillages et ses marchandages» car, explique-t-elle, «l’armée ne négocie pas mais a des ordres à exécuter». Une armée qui, poursuit la constitutionnaliste, «n’a jamais gouverné mais a toujours arbitré en désignant du doigt le futur président de la république».

Pour notre interlocutrice, «tout se négocie, y compris le départ des fameux B que réclame la rue», invitant, au passage, à plus de réalisme car à trop pousser le bouchon, on risque de se retrouver dans une impasse».

Comme Djabi, Ben-Abbou invite à établir des «passerelles à même de rendre possibles des concessions de part et d’autre», citant, entre autres personnalités «non colorées politiquement, qui ont du recul et qui laissent les choses se décanter, Djamila Bouhired ou encore Zohra Drif Bitat à même d’incarner ces traits d’union entre le pouvoir et le mouvement populaire, la classe politique et la société civile. Car, un “gros problème” pointe le nez, celui du “vide constitutionnel” avec son corollaire la “rupture de la continuité de l’Etat”, qui, selon elle, fait “peur à tout le monde” dont notamment les partenaires étrangers».

Celle qui pense que l’«on doit aller un jour ou l’autre vers des élections», dit récuser, néanmoins, l’idée d’une constituante considérant que le peuple algérien est «trop jeune pour accepter totalement», bien de problématiques liées notamment à la question des «composantes identitaires».

Le Soir d’Algérie, 9 juin 2019

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