La voix radicale
Abdellah El Harif, Secrétaire national d’Annahj Addimocrati depuis 2004.
Extrême gauche. Le parti marxiste-léniniste Annahj Addimocrati s’apprête à rendre hommage aux martyrs qui ont marqué son histoire. Retour sur un courant politique qui a su faire entendre sa voix, malgré les intimidations des pouvoirs publics.
«Aujourd’hui, le Maroc est victime d’une crise politique très grave, parce que le peuple n’est pas représenté», déplore Abdellah El Harrif, secrétaire national d’Annahj Addimocrati (la Voie Démocratique). Avec tous les membres de son parti, cet ancien militant de l’organisation marxiste Ilal Amam prépare activement «La journée des martyrs» qui aura lieu le 5 décembre prochain. «Nous avons beaucoup de mal à obtenir une salle afin de tenir ce meeting, les autorités nous mettent les bâtons dans les roues, se plaint El Harrif. Au pire des cas, la rencontre n’aura pas lieu dans une salle publique». Ce rendez-vous annuel aura pour thème central les martyrs d’Annahj et leur combat. Le cas de Abdelatif Zeroual sera tout particulièrement mis en avant. Ce dernier faisait partie des principaux dirigeants d’Ilal Amam. Arrêté et transféré à la prison de Derb Moulay Cherif en 1974, il a été torturé à mort. Jusqu’à présent, personne ne sait où se trouve son corps. Annahj compte une cinquantaine de sections éparpillées dans différentes villes du royaume. Mais «notre poids ne se mesure pas à notre nombre car nos militants sont très actifs», précise Mohamed Belatik, membre du secrétariat national du parti. Ce syndicaliste à la CDT (Confédération démocratique du travail) ajoute : «notre force, c’est que nos militants sont des hommes de terrain. Ils travaillent dans des organismes comme l’AMDH (Association marocaine des droits humains). Il y a beaucoup de fédérations que nous dirigeons». Ceci explique en partie que, lors des communales de 2009, Annahj avait fait entendre ses opinions politiques alors qu’il avait pourtant boycotté les élections.
Les islamistes et eux
A l’époque, ce parti de la gauche radicale s’était vu interdire l’accès à la télévision et aux médias officiels et avait distribué des tracts à tout va. «Cette année, nous avons fait une campagne plus active que les années précédentes. Nous avons appelé à des sit in qui se sont déroulés en même temps dans les différentes régions du pays», explique El Harrif. «Au début, les gens ne voulaient pas de tracts, ils pensaient que nous voulions les inciter à voter, mais lorsqu’on leur expliquait qu’on boycottait les élections, ils étaient très intéressés», poursuit celui qui est à la tête du parti depuis 2004 et en est à son deuxième mandat. Seuls les islamistes d’Al Adl Wal Ihssane (Justice et spiritualité) ont également boycotté les dernières élections. Mais ils n’ont entrepris aucune action pour faire entendre leur voix. «Nos idéaux sont radicalement opposés, mais Annahj a le mérite d’avoir maintenu ses idées, c’est pourquoi ils ont boycotté les élections», nous déclare Fathallah Arsalane, porte-parole d’Al Adl Wal Ihssane. Pour El Harrif, il n’y a pas suffisamment de forces capables de faire converger le champ politique vers un changement. «Al Adl Wal Ihssane a une idéologie bourgeoise qui n’est pas anti-capitaliste et où l’islam n’est qu’une couverture». Il pense donc qu’Al Adl Wal Ihssane ne représente pas les vrais intérêts des marginalisés. «C’est leur point de vue. Ils ne nous enlèveront pas que notre premier principe est l’équité», rétorque Arsalane. Pour résumer la situation, le militant Mohamed Belatik indique que les islamistes et les partis en général ne se soucient pas du problème de la lutte des classes qui est «le véritable enjeu de la démocratie, ce n’est pas eux la contradiction principale : au niveau politique, c’est le régime, au niveau économique, c’est le capitalisme.»
A cause de leurs idées qui contrecarrent le régime, les membres d’Annahj sont de moins en moins tolérés. Plusieurs militants avaient été arrêtés puis relâchés, le 4 avril dernier lors d’un sit-in de protestation contre les grandes puissances capitalistes. Lors des élections, des membres du parti ont également été intimidés. «Nous ne sommes pas d’accord avec leur position aux élections. Le boycott n’est pas un choix politique envisageable dans la durée, c’est mauvais pour le pays», pense Sâadeddine El Othmani, président du Conseil national du PJD (Parti de la justice et du développement). Pour l’ancien secrétaire général, «un parti politique ne peut pas avoir une crédibilité en dehors des élections, même si elles sont biaisées.» Tout comme Al Adl Wal Ihssane, les doctrines du PJD et d’Annahj sont fondamentalement différentes. Toutefois, «la différence est un droit. Nous n’avons jamais eu de problèmes avec eux», tempère El Othmani. Et pour cause, contrairement à des partis de l’Administration comme le PAM (Parti authenticité et modernité), Annahj n’a jamais eu pour but ultime d’éliminer les islamistes. Mais quels rapports entretient cette alliance marxiste-léniniste avec les principaux partis marocains ?
Divergences gauchistes
«Nous avons des rapports avec la gauche. Mais qu’est-ce que la gauche ?», se demande El Harrif, qui considère que «l’USFP (Union socialiste des forces populaires) et le PPS (Parti du progrès et du socialisme) ne font plus partie de la gauche. Ils sont allés très loin dans le sens de devenir des partis liés à l’Administration comme le parti de l’Istiqlal.» Contacté par Le Journal Hebdomadaire, Ismaïl Alaoui, secrétaire général du PPS, assimile ces propos à des «insultes». Il réplique : «Ils ne font pas partie de la gauche, nous ne sommes la marionnette de personne, nous sommes un parti qui opère en toute objectivité et en toute indépendance. Leurs déclarations ne nous empêcheront pas de dormir». Ismaïl Alaoui rappelle qu’Annahj est un parti issu d’anciens du PPS qui avaient quitté le parti au moment de la grande crise du gauchisme au Maroc. «Il y a certainement eu un renouvellement de génération et ce sont des militants que je ne connais pas.» Et d’approfondir : «Ce sont des gauchistes déclarés, ils ont des attitudes extrémistes. Ils considèrent que le Maroc reste un pays de dictature et que tout ce qui se fait ne vaut pas la peine d’être fait. C’est un point de vue que nous respectons, mais auquel nous n’adhérons absolument pas.» L’ancien ministre de l’Education nationale du gouvernement Youssoufi, ajoute tout de même qu’Annahj a sa place sur la scène politique car tous les partis ont droit à la parole. «Nous estimons que nous sommes des démocrates convaincus et nous essayons d’être des démocrates conséquents.»
Hassan Tariq, membre du bureau politique de l’USFP, ne «peut pas imaginer une carte politique sans Annahj. Il existe une gauche de la gauche dans le monte entier, elle est très intéressante et aide à redéfinir la mouvance sociale démocrate», soutient, visiblement très convaincu, cet ancien secrétaire général de la Chabiba Ittihadia. Il affirme qu’en tant que socialiste et social démocrate «je n’ai définitivement pas de problème avec l’existence d’une gauche de la gauche aux discours de principes de valeurs humaines très importants.» De son côté, El Harrif estime qu’«il n’est pas exclu qu’il y ait des militants honnêtes au sein de l’USFP. Nous ne sommes pas sectaires dans la lutte. C’est le parti lui-même qui nous pose problème puisqu’il est très makhzénien.»
Sans pour autant condamner Annahj, les principaux partis n’entretiennent aucune relation avec lui. Mais en quoi ses positions virulentes turlupinent-elles les grands partis ? En liberté depuis 1992 après avoir passé dix-sept ans derrière les barreaux, que pense El Harrif du système monarchique en place ? «Je me bats pour un régime démocratique. Je pense que le régime actuel n’est pas démocratique», se contente de répondre l’intéressé. Concernant l’épineuse question du Sahara, les positions d’Annahj n’ont pas bougé d’un iota : «La question du Sahara est importante. Mais elle détourne le peuple des vrais problèmes du Maroc, avance Mohamed Belatik, ce qui intéresse le peuple, c’est sa situation sociale, son pouvoir d’achat et l’Enseignement». Pour conclure, El Harrif préfère citer ses mentors : «Lénine disait que toutes les nations opprimées par l’empire tsariste avaient le droit à l’auto-dermination. C’est exactement notre position.»
Hicham Bennani
Le Journal Hebdomadaire, novembre 2009
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