Lors de son allocution de vendredi soir, le roi du Maroc a planté le décor de la nouvelle charte qui devrait parachever « la construction de l’Etat de droit et des institutions démocratiques ». Un discours historique ? Peut-être. Même si depuis l’avènement sur le trône de Mohamed VI, les « discours historiques » et les proclamations capitales ont eu tendance à se multiplier.
Une déclaration à un quotidien étranger informant que le conflit du Sahara était réglé, une allocution télévisée annonçant la prétendue découverte de pétrole dans le sud du pays, et maintenant l’annonce d’une nouvelle constitution et de lendemains qui chantent. Premier constat involontaire, après pratiquement 12 ans de règne (trois mandats présidentiels américains), on remarque qu’il est toujours question de « parachèvement » et de « construction » de la démocratie.
Des avancées, il y en a bien évidemment dans le nouveau texte constitutionnel. L’égalité homme-femme qui sera inscrite dans la loi, le renforcement des attributs de la cour des comptes (dont le dernier rapport nous a révélé qu’il y avait beaucoup de voleurs à la tête des administrations publiques) et la protection, voilée, de la liberté de conscience. Un joli pied de nez au Parti de la justice et du développement (PJD) d’Abdelillah Benkirane, l’ex-militant radical de la Chabiba islamiya devenu ces derniers mois, comme tant d’autres ex mordus des extrêmes, plus royaliste que le roi.
Le tamazight, la langue ancestrale des Marocains, devient langue officielle. Le souverain a mis fin au folklore de la langue « nationale », qui n’avait aucune validité juridique et n’était pas contraignante. Mais il y a tout de même un léger doute quant à sa mise en place. Le roi a prévenu que « son officialisation effective devra s’inscrire dans un processus graduel ». Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il faudrait attendre qu’une nouvelle génération émerge des écoles bilingues où le tamazight, qui n’est toujours pas unifié linguistiquement, serait enseigné.
Autre avancée concrète, l’interdiction de la transhumance parlementaire. Cette pratique, qui était pourtant interdite, a bénéficié avant tout ces dernières années à un certain Fouad Ali El Himma, l’« ami du roi » et fondateur du « parti du roi », le Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM), qui a débauché pratiquement tous les parlementaires de sa formation politique.
En ce qui concerne la diaspora marocaine à l’étranger, le nouveau texte évoque généreusement une « représentation parlementaire » pour les Marocains de l’étranger, mais Mohamed VI a immédiatement souligné que celle-ci serait effective « dès que la formule démocratique y afférente aura muri ». C’est-à-dire qu’elle est renvoyée aux calendes grecques.
Par contre, la consécration dans le projet de constitution de « tous les droits de l’homme, notamment la présomption d’innocence, la garantie des conditions d’un procès équitable, la criminalisation de la torture, des disparitions forcées, de la détention arbitraire et de toutes les formes de discrimination et des pratiques humiliantes pour la dignité humaine », sonne évidemment faux.
Car comme Hassan II, mais dans une moindre mesure, Mohamed VI possède aussi son petit jardin secret (le centre de détention clandestin de Témara) et ses petites années de plomb faites de disparitions forcées, de séquestrations et de tortures, le tout dans une mer de « pratiques humiliantes ». Est-ce que c’est sûr qu’avec un nouveau texte on puisse changer de mentalité ? Pas si sûr.
La violente répression du mouvement du 20 février, qui a été la cause première de la mort de Kamal Ammari à Safi, a mis en évidence que les réflexes d’antan n’ont pas disparu. Pour preuve, quand Mohamed VI explique que la nouvelle constitution garantit « la liberté de la presse, d’expression et d’opinion, et le droit d’accès à l’information », il semble oublier qu’il vient d’envoyer en prison l’un de ses plus fidèles journalistes qui a eu le malheur de critiquer les méthodes de ses services secrets et a révélé une affaire de corruption impliquant son « ami » El Himma.
Quant aux nouveaux pouvoirs du premier ministre, s’ils sont réels, il faut dire sans ambages qu’on en attendait plus. Certes, le premier ministre, qui sera issu des urnes devient « chef du gouvernement » et aura des pouvoirs renforcés comme de proposer ses ministres et de mettre fin à leurs fonctions, ainsi que nommer par décret ses hauts fonctionnaires. Mais, le roi continue de présider le conseil des ministres dont les pouvoirs de décision sont autrement plus amples et plus importants que ceux du conseil de gouvernement.
Le roi garde aussi, mais ce n’est pas une surprise, la haute main sur les nominations dites sensibles. Ainsi, si le chef du gouvernement, qui n’aura aucune autorité sur l’élément militaire, paramilitaire ou policier pourra « choisir » les noms des walis, gouverneurs et ambassadeurs (c’est-à-dire les cadres issus des ministères de l’intérieur et des affaires étrangères) ces derniers devraient être « nommés » par le roi. Un nom qui déplait au souverain, dont on connait la rancune tenace, et c’est la trappe.
Même chose pour les responsables des« administrations de la sécurité intérieure et des institutions nationales stratégiques », en clair la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), la Direction générale de la sécurité du territoire (DGST ou DST, la principale police politique), et la Direction générale des études et de la documentation (DGED) dont l’actuel patron, Mohamed Yassine Mansouri, est un autre « ami du roi ». Il est plus que probable que les noms des titulaires de ces postes seront soufflés au premier ministre par le cabinet royal. Car la sécurité et les forces armées vont rester entre les mains du roi. « Etant entendu que la nomination à des postes militaires demeure de la compétence exclusive et régalienne du roi, chef suprême, chef d’Etat-major général des Forces armées royales » prévient-il.
Pour boucler la boucle, il y aura bien, comme l’avait annoncé Demain, un « Conseil supérieur de la sécurité », dont le but sera de coordonner les différents corps sécuritaires. En somme de contrôler la force armée. Au cas où…
L’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif sera consacrée, dit-on. Mais n’est-ce pas le cas avec l’actuelle constitution ? Même chose pour la « pénalisation constitutionnelle » de toute ingérence de l’autorité, de l’argent ou de tout autre forme de pression, dans les affaires de justice, dont les principaux bénéficiaires ces dernières années ont été des proches du pouvoir. Et ceux qui s’y sont opposés ont été éloignés de leurs postes ou expulsés de la magistrature.
Demandez au juge Jaâfar Hassoun pourquoi il a été expulsé de la magistrature. Pour avoir informé un journaliste des prochaines nominations décidées par le conseil supérieur de la magistrature dont il était membre, pourrait nous répondre vigoureusement le ministre de la justice, Mohamed Naciri. Pour avoir été le premier juge marocain à avoir eu le courage de s’opposer au PAM dans une affaire d’élections truquées à Marrakech, devrait-on lui rétorquer.
Mais enfin, nous dira-t-on, le roi n’est plus sacré, c’est une extraordinaire avancée. Quelle divine surprise ! Il a fallu attendre 2011 pour que l’être marocain se rende compte enfin qu’un homme, tout roi qu’il est, ne peut être sacré. Ne peut être comparé à dieu. Disons alors que jusqu’en 2011 nous étions des arriérés consentants et qu’en 2011 nous nous sommes rendus compte que nous avons été des arriérés consentants.
Et pour ceux qui croient que nous sommes sortis de la monarchie exécutive dont l’un des fondements réside dans la religion, il faut signaler que Mohamed VI reste le « commandeur des croyants ». Ce n’est certes pas du Ali Khamenei, l’actuel guide suprême de la révolution islamique en Iran, pays avec lequel le Maroc a rompu ses relations pour marquer sa différence, mais cela lui ressemble fort.
Enfin, pour ne pas faire trop dans la critique, on ne peut que saluer la « constitutionnalisation du Conseil de la concurrence et de l’Instance nationale de la probité et de lutte contre la corruption », en espérant que ces deux organismes vont avoir maintenant suffisamment de courage pour s’opposer à la concurrence déloyale et hégémonique de la SNI (Société nationale d’investissement), dont le capital est détenu à plus de 60% par la famille royale et dont le principal dirigeant, Hassan Bouhamou, a été accusé de corruption devant un tribunal américain.
Dernière remarque. La preuve que les choses ne vont pas tellement changer avec la nouvelle charte a été faite vendredi dernier, tout de suite après le discours royal. Immédiatement après que le roi ait demandé solennellement à ses sujets de voter « oui » au référendum, des milliers de marocains, officiellement de manière spontanée, mais en réalité fortement encadrés par des fonctionnaires de l’administration caïdale et quelques partis politiques, se sont jetés dans la rue pour proclamer leur adhésion à un texte dont ils n’ont pourtant que sommairement pris connaissance.
Dans leur hâte à crier « vive le roi ! » et à proclamer éternelle fidélité à la monarchie, ces fidèles téléguidés ne s’étaient pas rendus compte que lors de son allocution télévisée le roi avait commis un léger lapsus en parlant de « constitution imposée ».
En résumé, et en trois quatre mots, c’est pas la nouvelle constitution qui va nous sortir de l’auberge alaouite.
Demain Online
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