L’ancien lieutenant de l’armée marocaine Abdelilah Issou, réfugié politique vivant en Espagne, a publié il y a un peu plus d’un mois un livre intitulé « Mémoires d’un soldat marocain – La face cachée du royaume enchanté », dans lequel il enregistre non seulement son expérience au service des forces armées royales, mais aussi d’autres aspects de la vie au Maroc et où se déroulent certaines révélations considérées comme des secrets d’État, mais qui, dans une large mesure, sont et ont toujours été connues de la population et même de l’opinion publique étrangère plus familières avec ce pays du Maghreb. Il va sans dire que la vente du livre est naturellement interdite au Maroc et qu’il n’est pas facile de le trouver quelque part, même en France, où il a été édité.
Dans ce livre, Abdelilah Issou raconte son histoire depuis son adhésion à l’Académie Royale Militaire en 1984, jusqu’à sa désertion de l’armée en 2000, mécontent de la pratique politique poursuivie dans le pays et désireux de constituer et d’intégrer un réseau de conspirateurs pour renverser le pouvoir du régime alaouite. Peut-être une prétention naïve, avouons-le, puisque Hassan II a survécu à deux tentatives de coup d’Etat bien organisées, l’une en 1971 au palais de Skhirat (Rabat) le jour de son 42e anniversaire, dirigée par le général Mohamed Medbouh avec la participation de 600 élèves-officiers de l’École militaire de Ahermoumou, qui a fait plus de 100 morts et 200 blessés parmi les invités du roi, l’autre en 1972, organisée par le général Oufkir, en collaboration avec des aviateurs des Forces Royales Air qui ont tenté d’abattre l’avion lorsque Hassan II revint d’une visite à Paris et se préparait à atterrir à Rabat. Les deux dirigeants, en plus des principaux collaborateurs, ont évidemment été exécutés.
L’auteur, dans un livre presque bref (moins de 200 pages), décrit les missions qui lui ont été confiées au cours des années où il a exercé les fonctions d’officier, avec parfois des détails techniques qui rendent la lecture un peu fastidieuse.
Parmi les aspects mis en exergue figurent la corruption systémique du régime, du palais aux serviteurs les plus modestes, le trafic de drogue, toléré et même encouragé par le patronage des hautes sphères, la question du Sahara occidental, les relations extérieures, notamment l’Espagne, le terrorisme islamiste et le « printemps arabe ».
Par conséquent, peu d’informations pour les étrangers (c’est sans doute à eux que le livre est destiné) qui soient des connaisseurs raisonnables de la réalité marocaine. Cependant, c’est dans la vie privée que le livre a fait du bruit dans la presse internationale, bien que le passage le plus pertinent ne constitue pas non plus une révélation sensationnelle, car il aborde l’homosexualité présumée du roi Mohamed VI. La majorité des Marocains sont conscients de ce fait, bien qu’il s’agisse d’un sujet tabou dans le pays et dont il ne parle qu’avec la plus grande discrétion.
Depuis que le monarque actuel était encore prince héritier et traité comme Smit Sidi (nom donné au premier-né du roi), des rumeurs couraient sur ses penchées sexuelles. Dans ce livre, Abdelilah Issou raconte des détails moins connus: la connexion du prince héritier d’alors avec un « ami spécial », Abderrahmane Alaoui, surnommé Bihmane, le petit-fils d’un esclave noir qui avait servi dans le palais et qui avait été son copian d’enfance.
Selon l’auteur, l’homosexualité de Mohamed VI a toujours été au Maroc un « secret de polychinelle ». Et ses voyages successifs après l’accession au trône, au Brésil et à la République Dominicaine sont bien connus, car, selon Issou, le monarque a une préférence particulière pour les Noirs. On peut dire en passant qu’il aurait pu opter pour le Cap-Vert ou le Sénégal, ce qui se trouvent plus près, car il aurait été aussi bien servi.
L’auteur souligne également que la « haute société » marocaine s’intéressait principalement au fait que, étant officiellement le monarque commandeur (ou prince) des croyants (Amir al-Muminine), il était le chef spirituel de ses sujets, pas seulement les musulmans, mais aussi les chrétiens et les juifs (les croyants des religions du livre) et les descendants du prophète Muhammad pourraient avoir une orientation gay. Je ne pense pas que les Marocains en général soient particulièrement préoccupés par les penchants sexuels de leur souverain. Il est donc normal pour eux, en particulier parmi les jeunes, de pratiquer de telles relations, comme dans la plupart des pays arabes : demandez aux touristes. Et comme dans les autres pays du monde (pages 94 et 95).
Nous savons tous que les trois religions monothéistes ont toujours eu une relation difficile et étrange avec la sexualité en général et avec l’homosexualité en particulier. C’est une disposition obscure de la Torah, que la Bible et le Coran ont décrite, à des fins qui ne sont pas encore parfaitement claires aujourd’hui. Mais les temps ont changé et ce ne sera pas pour ce détail, mais pour sa gouvernance, que Mohammed VI sera jugé par ses sujets.
L’auteur ajoute toutefois un détail digne de mention: l’intimité entre le prince héritier et Bihmane est devenue si évidente que Hassan II, sur le point de s’achever, a ordonné au tout-puissant ministre de l’Intérieur, le Dr Basri, l’élimination du jeune homme, décédé peu de temps après dans un étrange accident de voiture entre Rabat et Kénitra. Il est rappelé, et l’auteur ne le mentionne pas, que l’un des premiers actes du gouvernement de Mohamed VI a été la démission du ministre de l’Intérieur, personnalité que les Marocains détestent mais à laquelle il a également contribué – à confirmer la véracité des faits, sur ledit meurtre (p. 97).
Toujours deux notes moins connues d’Issou: l’une, que Lalla Latifa Hammou Amahzoune, une des femmes de Hassan II, dite « la mère des princes », serait la maîtresse de Hadj Mohammed Médiouri, garde du corps et responsable de la sécurité personnelle du roi et renvoyé par le fils après la mort du monarque. Latifa a ensuite épousé Médiouri avec qui elle vit aujourd’hui à Paris (pages 97 et 98).
L’autre, dont la princesse Lalla Fatima-Zohra, la fille du sultan Abdel Aziz IV et le bras droit du roi Mohammed V (le grand-père de Mohamed VI) était une lesbienne et une toxicomane.
Le livre récemment publié ne présente donc aucun intérêt particulier, ce qui semble plutôt être une tentative de l’auteur pour justifier ses activités antérieures ou, éventuellement, celles qu’il pourrait développer dans le présent et dans l’avenir.
Sur la monarchie chérifienne, ou plus exactement sur les rois Hassan II et Mohamed VI, il existe deux ouvrages d’une grande importance: l’un de Gilles Perrault, publié en 1990 et provoquant une tempête dans les relations franco-marocaines: Notre Ami le roi. L’autre, plus récent, de Catherine Graciet et Eric Laurent, parue en 2012: Le Roi prédateur.
À propos du livre de Perrault, un livre d’accusation sévère et diffamatoire du règne de Hassan II sur lequel des milliers de pages ont été écrites. Il s’agit de l’un des témoignages les plus éclairés sur le règne de la figure controversée mais sans aucun doute charismatique qui était le défunt monarque. Quant à Le Roi prédateur, le livre se concentre particulièrement sur la quasi monopolisation de l’économie marocaine par Mohamed VI, qui a quintuplé sa fortune personnelle depuis son accession au trône, mais l’analyse de ces livres n’est pas possible dans les limites de ce texte.
Plus récemment, publié le mois dernier, Mohammed VI, derrière les masques, d’Omar Brouksy, est un élan qui détruit le règne de quinze ans de Mohamed VI. Dans la préface, l’inévitable Gilles Perrault écrit: « Le royaume de Hassan II, c’était le château de Barbe-Bleue. En comparaison, celui de « M6 » serait plutôt celui de la Belle au Bois dormant avec au sous-sol la caverne d’Ali Baba ».
Au-delà de tout cela, le Maroc est un pays charmant.
Source : Moyen Orient et connexes, 28 nov 2014
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