Une actrice, une suite et deux arrestations (d’autres encore) pour adultère au Maroc
Ignacio Cembrero
Vanitatis, 12 julio 2019
Son mari, qui vit aux États-Unis, a porté plainte et la police l’a arrêtée à Casablanca avec son nouveau partenaire, un réalisateur.
L’année dernière, 3048 personnes ont été jugées pour adultère au Maroc, selon le rapport du Bureau du Procureur général du royaume alaouite publié à la fin du mois de juin. Presque tous sont des gens inconnus du public à qui les juges ont donné jusqu’à deux ans de prison en vertu de l’article 491 du code pénal qu’un bon nombre de Marocains considèrent comme dépassé.
Cependant, parfois, le poids d’une loi sans équivalent en Europe tombe aussi sur des célébrités à qui la presse marocaine consacre de longues chroniques et qui suscitent la fureur dans les réseaux sociaux. C’est le cas du « scandale » dont la police judiciaire de Casablanca a mis fin dimanche dernier. Suivant les instructions du parquet, les agents sont entrés par effraction dans un appartement du quartier aisé de Gauthier, où ils ont retrouvé Najat El Ouafi, 44 ans, l’une des actrices de cinéma les plus connues du Maroc, et Said Khalaf, 49 ans, réalisateur qui a reçu plusieurs prix au monde arabe.
Tous deux ont été transférés au bureau du procureur, qui les a envoyés en prison, tandis que la police scientifique prélevait des échantillons du « délit » dans la chambre à coucher. L’actrice, qui a tourné de nombreuses séries télévisées, a été dénoncée par son mari, résident aux États-Unis. Le mari avait chargé des amis ou une entreprise en vue d’filature privée de la femme à Casablanca. Une fois certain de l’endroit où elle se trouvait et avec qui, il a contacté le ministère public. En cas d’adultère, le Parquet n’agit jamais d’office au Maroc.
L’opération de police qui a conduit l’actrice et le réalisateur en prison a été dévoilée mardi par le journal « As Sabah » à Casablanca et depuis lors, toute la presse écrite marocaine en a fait écho bien que la plupart des journaux n’aient pas révélé l’identité des concernés. Par contre, dans les réseaux sociaux, ils sont défendus ou critiqués tout en précisant leurs noms et prénoms.
Il s’agit du deuxième cas, au cours des trois dernières années, de célébrités au Maroc détenues pour adultère. Début 2017, la police a arrêté la femme d’affaires Hind el Achchabi, mère de trois enfants et propriétaire de Dania Air, une compagnie aérienne privée, qu’elle considérait comme son mari, l’homme d’affaires Moshine Karim-Bennani.
Au cours de l’enquête, la femme a déclaré qu’elle avait divorcé de son premier mari, un diplomate Koweïtien, et qu’elle avait même épousé Karim-Bennani au Mali. Le Koweïtien a toutefois dénoncé l’infidélité de celle qu’il considérait toujours comme son épouse et la justice marocaine l’a cru et n’a pas validé le divorce de Hind el Achchabi ni son deuxième mariage.
Pour éviter de se retrouver en prison, Hind Al Achchabi a même mis en circulation une vidéo dans laquelle son fils aîné, âgé de 11 ans, demandait, les larmes aux yeux, de la clémence devant la caméra, mais le diplomate koweïtien n’a pas retiré sa plainte et la femme a été condamnée, en avril 2017, à deux ans, qu’elle a pleinement accomplis. Les juges étaient plus bienveillants avec son amant, qui n’a reçu que sept mois. Dans ce type de jugements, la sentence la plus dure tombe, habituellement, sur les femmes.
Parfois, les magistrats prononcent des peines pour adultère sans avoir même constaté de relations sexuelles. Dans la ville de Missour, au centre du pays, une femme a pris, en décembre 2017, quatre mois de prison et une amende de 5 000 dirhams (460 euros) juste pour avoir embrassé un homme qui n’était pas son mari. « Pour que nous puissions parler d’adultère, il est nécessaire qu’il y ait eu un rapport sexuel avec pénétration », a déclaré à la presse son avocat, Mohamed el Haini. En vain, l’avocat a insisté sur le « manque donc de fondements juridiques ».
En mars 2018, un autre mari séparé a déclaré à Salé, ville voisine de Rabat, que sa femme avait été déclarée coupable d’adultère après avoir échangé avec un homme de photos sexuellement explicites sur WhatsApp qu’il avait découvertes sur le téléphone portable de son épouse en profitant d’un oubli. L’affaire est tombée à l’eau. Pour un adultère, il faut « une relation sexuelle entre un homme et une femme et qu’au moins l’un des deux soit marié », a écrit le juge dans son acquittement. « Rien dans cette affaire ne démontre l’existence d’une relation sexuelle (…) », a-t-il déclaré.
L’adultère sert également d’arme aux services de sécurité marocains, sous les ordres de l’intérieur, et finalement au palais royal pour discréditer les islamistes, ses principaux adversaires politiques. Pour porter atteinte à leur réputation d’honnêteté, la presse la plus proche du régime, parle régulièrement d’enquêtes de police en cours sur le libertinage présumée de certains leaders d’organisations religieuses qui prêchent urbi et orbi les vertus les plus strictes.
À l’exception de la pédophilie, les «délits contre l’ordre de la famille et la morale publique» ne concernent pas les étrangers non musulmans qui résident ou visitent le Maroc en tant que touristes. Française, âgée de 42 ans, Valérie avait, en juillet 2018, le malheur d’être l’unique exception qui dément cette règle non écrite.
Elle a passé une nuit dans un hôtel à Marrakech avec un Marocain marié, bien qu’elle ne connaissait pas son statut matrimonial. La police judiciaire, probablement alertée par l’épouse de son partenaire nocturne, l’attendait « au pied du lit », a déclaré Valérie au journal français « Le Parisien ». Elle a été transférée au poste de police où elle a passé 30 heures dans des « conditions déplorables », selon son récit. Elle n’est sortir de là qu’après avoir payé une amende de 5 000 dirhams (460 euros) et une convocation dans sa poche à comparaître quelques jours plus tard devant un tribunal de première instance qui la jugerait pour « complicité d’adultère ». La police n’ayant pas retiré son passeport, elle s’est enfui de Marrakech dans le premier avion à destination de Paris.
Le code pénal marocain punit non seulement l’adultère, mais aussi l’homosexualité, avec jusqu’à trois ans de prison, et les relations sexuelles consensuelles entre adultes célibataires, qui peuvent être punies d’un mois à un an. Les femmes qui avortent peuvent avoir jusqu’à deux ans et celles qui les aident jusqu’à dix ans. L’année dernière, 170 personnes ont été poursuivies pour homosexualité et seulement 73 pour avortement.
Sous la direction de l’association Printemps de la Dignité, une vingtaine d’associations, féministes dans leur majorité, réclament avec insistance la décriminalisation de l’adultère, de l’avortement et des relations extraconjugales, ainsi que le durcissement des peines pour violence sexiste. La Chambre des représentants du Parlement marocain est plongée dans une révision du code pénal et il est possible que certaines peines soient rendues plus légères, sans toutefois dépénaliser l’avortement ou l’homosexualité.
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