Par Mohamed Benchicou
Mardi, à la surprise générale, le ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi, a révélé l’existence du projet d’études d’un gazoduc algéro-marocain pour approvisionner le royaume à partir de Hassi Rmel. Ainsi donc, l’Algérie envisage de vendre du gaz au Maroc, en dépit de la guerre froide que se livrent les deux pays en raison du conflit au Sahara occidental.
Mieux : M. Yousfi a ajouté que le partenariat énergétique algéro-marocain va aboutir à la conclusion prochaine d’un partenariat entre Sonelgaz et le bureau marocain de l’électricité et du gaz et d’un projet commun «d’arrimage » au marché européen. Curieux… L’initiative est d’autant plus étonnante que l’Algérie a, jusqu’ici, soigneusement évité une collaboration avec Rabat dans le domaine du gaz. En dehors des droits que le Maroc perçoit pour le passage du gaz d’Algérie vers la péninsule ibérique, par le gazoduc Pedro Duran Farrell, aucune coopération ne lie les deux pays. Mieux, un nouveau gazoduc, le Medgaz, entrera bientôt en service et reliera directement l’Algérie à l’Espagne
alors même que les capacités du premier ne sont pas pleinement utilisées. Alors, comment en eston venu à parler d’un prochain gazoduc algéro-marocain pour approvisionner le royaume à partir de Hassi Rmel ? La réponse est dans la fracassante déclaration, mercredi 23 février, lors d’une conférence de presse, de Mourad Medelci, ministre des Affaires étrangères, qui nous apprend que le Maroc et l’Algérie ont convenu d’une «initiative politique destinée à renforcer leurs relations bilatérales », que «des efforts étaient faits par l’Algérie et le Maroc pour favoriser un climat positif» et que «l’Algérie travaille à accroître ses relations avec ses amis et frères marocains». La sortie de Youcef Yousfi était ainsi annoncée dans ce discours de nouveau type, comme l’une des premières concrétisations de cet accord algéro-marocain dont personne n’avait deviné l’existence. «Trois ministres vont se rendre dans les deux pays en mars prochain pour discuter des moyens nécessaires d’insuffler une nouvelle dynamique aux relations bilatérales dans des domaines sensibles, notamment l’énergie et l’agriculture» Quelques jours auparavant, et pour mieux attester d’un état d’esprit nouveau entre Alger et Rabat
le ministre marocain des Affaires étrangères, Taieb Fassi Fihri, déclarait à la TV marocaine que Rabat était prêt à accueillir des membres du gouvernement algérien pour commencer une «ère nouvelle ». «Ere nouvelle», «initiative politique», «nouvelle dynamique aux relations bilatérales»… Quand les diplomates usent, à ce point, de vocables courtois, c’est que les évènements ont pris, à notre insu, une nouvelle tournure. Un vent nouveau souffle sur les rapports algéro-marocains, un vent d’ouest. Un vent américain. Des indiscrétions diplomatiques révélées par le bulletin confidentiel La Lettre de Méditerranée, avaient déjà fait état d’un plan qu’aurait concocté la Maison Blanche, et qui vise rien moins que la normalisation des relations entre le royaume chérifien, son allié traditionnel, et l’Algérie et à trouver une issue acceptable au conflit du Sahara occidental. On réalise, en effet, que les généreuses déclarations de Medelci et Yousfi se font entendre une semaine après la visite à Alger du sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires politiques, William Burns. Selon des sources diplomatiques, l’une des missions à Alger du sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires politiques, William Burns, était de baliser un terrain d’entente entre Alger et Rabat, et de proposer une issue acceptable au conflit du Sahara occidental.
Ce qui semble accréditer ces thèses est que les deux entrevues qu’a eues à Alger William Burns avec le ministre algérien des Affaires étrangères Mourad Medelci et ensuite avec le président Bouteflika à la résidence Djenane El Mufti, se sont déroulées en présence du ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel. Celui-là même qui d’habitude conduit la délégation algérienne aux négociations informelles sur le Sahara entre le Maroc et le Polisario. Le plan américain entre dans le cadre du programme de repositionnement de Washington dans la nouvelle carte géopolitique arabe. Il devrait recevoir l’aval des dirigeants des pays européens traditionnellement liés avec les deux pays maghrébins voisins.
Les arguments américains
Curieusement, on retrouve dans la bouche de Youcef Yousfi les arguments américains développés par le think tank américain Institut Peterson sur le coût du «non-Maghreb». Le département d’Etat travaille sur les études de cet important think tank qui s’intéresse aux problèmes économiques internationaux. L’Institut Peterson (du nom de son président qui n’est autre que le président du Council on Foreign Relations et ancien secrétaire au commerce des États-Unis, Peter G.Peterson), jouit de tous les moyens et de toute l’attention des dirigeants américains. Il est dirigé par C. Fred Bergsten, anciennement secrétaire adjoint aux affaires internationales du département du Trésor américain. Parmi les autres membres importants du bureau des directeurs, on peut citer Nobuyuki Idei, ancien président de Sony Corporation ; David Rockefeller, ancien président de la Chase Manhattan Bank
Lawrence Summers, ancien secrétaire au Trésor des États-Unis ; Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne ; Laura D’Andrea Tyson, ancien président du Council of Economic Advisers du président des États-Unis ; Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale des États-Unis ; Chen Yuan, gouverneur de la Banque chinoise de développement ; Lord Browne de Madingley, Chief Executive de BP; Stanley Fischer, gouverneur de la Banque d’Israël ; Mario Monti, ancien commissaire européen ; Paul O’Neill, ancien secrétaire au Trésor des États-Unis ; David O’Reilly, président de Chevron Corporation, etc. Que dit le rapport du Peterson Institute(2) ? Il énumère les avantages dont bénéficieraient les peuples d’une Afrique du Nord dont les frontières seraient ouvertes. Malgré de nombreuses ressources (pétrole, du gaz, des phosphates en abondance, une production agricole variée ), des paysages magnifiques qui attirent des millions de touristes étrangers chaque année, des millions de jeunes continuent d’arriver sur le marché du travail — 50 % d’entre eux sont déjà au chômage.
Remédier à ce déferlement exigerait, pendant deux décennies, un rythme de croissance plus élevé que celui de la Chine. Aussi, la perte des deux points de croissance que coûtent les frontières fermées représente un défi. Huit milliards de dollars de capitaux privés fuient la région chaque année et s’ajoutent au stock existant, estimé à 200 milliards de dollars. Dans le domaine de l’énergie, note l’institut, l’Algérie est le troisième pourvoyeur de gaz pour l’Europe, après la Russie et la Norvège. Le Maroc détient près de la moitié des réserves mondiales de phosphates ; mais, pour les transformer en engrais, il faut de l’énergie, du soufre et de l’ammoniac, trois intrants dont l’Algérie dispose en abondance et à des prix très compétitifs.
Parmi les grands marchés d’engrais de l’Office chérifien des phosphates (OCP), on trouve l’Inde, le Brésil et la Chine. Un partenariat entre la Sonatrach algérienne, l’entreprise publique qui joue un rôle central dans l’industrie pétrolière nationale, et l’OCP pourrait faire du Maghreb la base de production d’engrais la plus compétitive du monde, entraînant dans son sillage de nombreuses entreprises de sous-traitance et des investisseurs des cinq continents, sans compter un nombre incalculable d’emplois.
L’affaiblissement diplomatique de Bouteflika
Ce qui a précipité l’accord est sans doute l’avalanche des dernières révolutions arabes qui ont affaibli le régime de Bouteflika. Il n’a plus les moyens de son ancienne arrogance. L’Algérie de Bouteflika est diminuée diplomatiquement. Même si elle n’a pas subi de fortes insurrections populaires, elle a été fortement affaiblie sur le plan interne et externe par les évènements de Tunisie et d’Égypte. Le fait que le régime de Bouteflika s’est vu assimilé aux pouvoirs dictatoriaux du monde arabe et que les évènements l’aient conduit à se justifier puis à faire des concessions, l’a fortement fragilisé. Bouteflika est apparu comme un président sans grande légitimité (révélations de WikiLeaks sur les fraudes aux élections de 2009), obligé de négocier ses soutiens extérieurs pour rester au pouvoir.
On peut, sans risque de se tromper, conclure que les Américains ont cherché à profiter de la situation. Ils ont forcé la main d’un pouvoir qui est en situation de demandeur. La crise algéro-marocaine serait sur le point donc d’être réglée et la réouverture des frontières ne saurait tarder. Pour le meilleur ou bien pour le pire ? Quand vous leur posez la question, les Américains disent vouloir agir dans le seul but de résoudre l’instabilité politique et l’absence de démocratie qui sont des facteurs inquiétants pour l’avenir. C’est l’avenir, justement, qui nous le dira.