Un an après les élections du 31 décembre 2018, « Fatshi Béton » a multiplié les promesses. La population attend les résultats.
Voici unan, à la veille d’élections qui avaient été déjà retardées de deux ans et que le Congo comptait financer sur ses fonds propres, à hauteur de 500 millions de dollars, tous les voyants étaient au rouge et les ambassades multipliaient les consignes de prudence. Le 31 décembre cependant, le pire ne s’est pas produit : la « machine à voter » coréenne a tourné à plein régime, les électeurs congolais se sont déplacés en masse et dès le soir des élections il apparaissait que le « dauphin » de Joseph Kabila, Emmanuel Shadary, ne serait pas élu.
Trois semaines plus tard, la Cour Constitutionnelle rendait son verdict : Félix Tshisekedi était proclamé vainqueur même si Martin Fayulu, le « candidat unique » de l’opposition défendait sa victoire. A la tête de CaCh, Coalition pour le changement, le fils d’EtienneTshisekedi, opposant légendaire et obstiné, devenait le 5eme président de la République démocratique du Congo. La population, au lieu de se soulever, acceptait de donner sa chance à cethomme de 58 ans. Ayant passé une bonne partie de sa vie en exil, il incarnait soudain une notion jusqu’alors inconnue dans le turbulent Congo : une cohabitation « pacifique et civilisée » avec son prédécesseur Joseph Kabila, qui devenait ainsi le premier chef d’Etat congolais à quitter le pouvoir sans avoir été chassé ou assassiné.
Ayant nommé au poste de directeur de cabinet Vital Kamerhe, un politicien chevronné qui avait accompagné les débuts de Joseph Kabila avant de passer à l’opposition, Félix Tshisekedi se mit en devoir de relever de multiples défis. Il tenta, à la fois, de répondre aux attentes de la population, de la communauté internationale, des pays voisins. Mais il veilla aussi à éviter le conflit avec un prédécesseur aguerri qui avait gardé la main sur plusieurs leviers du pouvoir : une majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat capable de démettre le nouveau chef de l’Etat, le contrôle des forces armées et de sécurité, ainsi que des finances, et last but not least une coalition, les FCC (Forces congolaises pour le changement) composée de politiciens expérimentés ayant déjà en vue les élections de 2023.
Pour conforter sa légitimité, le nouveau président se lança sur plusieurs terrains.
1. La diplomatie. Multipliant les voyages, (et dépassant largement le budget prévu) Félix Tshisekedi s’employa à rassurer les pays voisins : le Rwanda, l’Angola, puis l’Ouganda, l’Afrique du Sud, le Congo Brazzaville, quitte à multiplier les gages économiques : la compagnie Rwandair dessert désormais le Congo, le pont reliant Kinshasa à Brazzaville sera construit, l’or du Congo est raffiné en Ouganda… L’offensive diplomatique se poursuivit aux Nations Unies, culmina avec un accueil triomphal à Bruxelles, très positif à Paris et Washington où, en matière de lutte anti terroriste, le président multiplia les promesses souhaitées par ses hôtes.
2. L’Etat de droit. Le respect des libertés publiques, dont les droits de la presse, le retour des exilés (dont Moïse Katumbi) ,la libération des prisonniers politiques, l’autorisation des manifestations, représenteun acquis incontestable. Sur le plan politique, le nouveau président veilla, lien après lien, à se délier de l’emprise de Kabila et des siens: quoique issu du camp d’en face, son Premier Ministre Ilunga Ilunkamba apparaît comme un politicien expérimenté.Cependant, si la lutte contre la corruption a été décrétée, aucune sanction n’a encore été prise.
3. L’armée et les forces de sécurité. Le domaine militaire demeure le fief de Joseph Kabila, et François Beya, l’un des hommes de confiance de ce dernier, assure la sécurité du nouveau président tandis que Christian De Schryver, proche de l’ancien chef de l’Etat gère toujours la flotte présidentielle. Le crash d’un avion de la suite présidentielle qui reliait Goma à Kinshasa a d’ailleurs suscité bien des questions…Au Kivu, en Ituri, l’armée mène des opérations d’envergure afin d’éradiquer les groupes armés d’origine étrangère (Hutus rwandais, opposants burundais, musulmans ADF venus d’Ouganda, de Somalie, du Kenya et s’entraînant dans les forêts congolaises). Au Nord et Sud Kivu, des succès militaires sont enregistrés mais en Ituri, les rebelles traqués ont répliqué en assassinant plus de 200 civils. Cependant, les forces armées demeurent une forteresse intouchable : des officiers de haut rang, frappés de sanctions internationales ou soupçonnés, en vrac, de trafics divers, de complicité avec l’ennemi, voire de massacres et crimes contre l’humanité sont toujours en poste, sans doute protégés par l’ex président et jouissent d’une impunité dénoncée par les défenseurs des droits de l’homme.
4. Le peuple d’abord. Fidèle à son slogan de campagne, Félix Tshisekedi multiplie les promesses sur le plan social et il s’est engagé, le temps de son mandat, à sortir 20 millions de ses compatriotes de la pauvreté. Il promet d’améliorer le quotidien des militaires, lance à Kinshasa de grands travaux, les « saute mouton », viaducs censés fluidifier la circulation. C’est qu’il y a urgence : 73 % de la population vit toujours dans l’insécurité alimentaire, le taux de pauvreté est de 63%, et, dans le pays du barrage d’Inga, 10% de la population est alimentée en électricité. Mais le budget ne suit pas : avec 7 milliards de dollars, « Fatshi Béton »ainsi nommé à la suite de ses promesses de bâtisseur ne peut aller très loin. JokOga, analyste politique et financier constate que « les investisseurs ne concrétisent pas leurs promesses, comme s’ils attendaient encore, la Gécamines est embourbée dans les scandales… »Quant à la diaspora, qui multiplie les retours au pays, elle va, vient et regarde, mais sans se lancer dans de grands projets. Paralysée par les embouteillages, les inondations dues à la crue du fleuve et aux rivières encombrées d’immondices, Kinshasa est à l’image du pays, elle vibre d’espoir mais n’a pas encore vu le changement annoncé.
5. La gratuité de l’enseignement primaire.
Décréter, au milieu de l’été, à quelques semaines de la rentrée, que l’enseignement primaire serait gratuit et que les parents seraient désormais déchargés de « frais scolaires » pouvant osciller entre 300 et 400 dollars par an, voilà qui représentait un « coup politique » fumant, répondant parfaitement aux aspirations d’une majorité de Congolais privés d’enseignement gratuit depuis la moitié des années 80. La fréquentation scolaire explosa, mais…les enseignants du réseau catholique (80% des écoles) multiplièrent les grèves, redoutant de perdre leurs « sursalaires » ! Si la mesure de gratuité représente 26 millions de dollars par mois, il apparut assez vite que le gouvernement avait peut-être surestimé la générosité et la promptitude des bailleurs dont la Banque mondiale qui renâcla à débourser le milliard de dollars escompté. Quoique bien inspirée, la mesure, décidée sans planification préalable, risque de se fracasser sur les dures réalités congolaises.
6. Le sablier du temps. Accédant au pouvoir Félix Tshisekedi s’était donné cent jours pour frapper les esprits et lancer ses réformes. Mais l’analyste Jean-Claude Mputu constate que le temps file vite : « le président, qui a multiplié les voyages, s’est surtout cantonné à la représentation, aux mesures d’annonce, sans diriger de réelles réunions de travail avec son cabinet. Or la première année est déjà « consommée », sans véritables résultats tangibles. Et avant la prochaine échéance, celle de 2023, la dernière année sera consacrée à la campagne, elle ne comptera donc pas. Restent trois ans pour convaincre et surtout pour réaliser… » Ce délai est d’autant plus court que tous les observateurs estiment que Joseph Kabila n’a pas renoncé à revenir au pouvoir : sa coalition des FCC demeure en ordre de marche, et lors de ses rares apparitions publiques il lui arrive d’être applaudi par ceux qui hier le conspuaient ! Si ses premiers mois au pouvoir ont permis au nouveau président de surprendre, de convaincre et de ranimer l’espoir, « Fatshi Béton » est désormais confronté au défi de réaliser, de construire. A nouveau, il y a urgence.
Le carnet de Colette Braeckman, 28 déc 2019
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