Ce ne sont pas les guirlandes lumineuses qui ont électrisé la fête nationale mauritanienne du jeudi 28 novembre. « Il n’y a pas eu de tentative de coup d’État », a dû rassurer, le samedi suivant, le ministre mauritanien de la Défense devant le Parlement. Pendant plusieurs jours, les rumeurs de révolution de palais ont tenu Nouakchott en haleine. L’absence remarquée du président sortant, Mohamed Ould Abdel Aziz (2008-2019), aux célébrations et défilés qui se tenaient dans son propre fief d’Akjoujt en a paru une illustration grandeur nature. Les limogeages, dans la foulée, du chef du Basep, le bataillon de la sécurité présidentielle, un fidèle d’Aziz, ont été lus comme des précautions d’urgence prises par le nouveau président élu en juin dernier, Mohamed Ould Ghazouani.
Un vent de rumeurs
« Les Mauritaniens ont déjà vécu quatre coups d’État, la perspective d’une réédition les tétanise », rappelle un observateur local. L’on évoque ici une initiative parlementaire de poursuites contre l’ancien président. L’on entend là qu’il serait en résidence surveillée. « Il y a toute sorte de rumeurs d’arrestations de militaires, d’interrogatoires, de mises en résidence surveillée… Cela n’existe pas. Ce sont de fausses rumeurs », insiste le président Ghazouani lui-même auprès du Point Afrique et du Monde, le 29 novembre. Et précise, à propos du remaniement de la garde présidentielle : « J’aurais dû faire ce changement avant. »
La crise qui a éclaté sourdement entre les deux hommes en a surpris plus d’un. Amis de quarante ans, camarades de promotion, ils se sont liés à l’académie militaire de Meknès et ont depuis fait route main dans la main, inséparables. En août 2008, Mohamed Ould Ghazouani était déjà chef d’état-major de l’armée mauritanienne quand Mohamed Ould Abdel Aziz, qui dirigeait le Basep, a écarté du pouvoir le président civil Sidi Ould Cheikh Abdallahi, élu un an plus tôt. C’est Ghazouani qui a réorganisé l’armée mauritanienne, en créant les fameux groupes spéciaux d’intervention, les GSI, des unités mobiles quadrillant le territoire désertique pour combattre les infiltrations djihadistes. Le pays, grand comme deux fois la France, n’a plus connu d’attaque terroriste depuis 2011, alors que toute la région sahélienne a basculé dans la violence. En octobre 2018, à quelques mois de l’expiration de son deuxième et ultime mandat, Aziz décide de nommer son frère d’armes ministre de la Défense : la rampe de lancement idéale pour une transition constitutionnelle.
Homme de pouvoir, sanguin et impulsif, Mohamed Ould Abdel Aziz a longtemps donné l’impression de ne pas vouloir lâcher les rênes, même si la Constitution lui interdisait de se représenter. Jusqu’au bout, ses partisans l’ont exhorté à briguer un troisième mandat, que ses opposants tenaient pour acquis. Lors de la fête nationale de 2018, Aziz affirmait : « Si je ne peux pas me représenter au 3e mandat, je peux me représenter après », et l’on avait alors cru voir en Ghazouani un intérimaire aux ordres, sur le modèle du duo russe Medvedev-Poutine. Un an plus tard, Ghazouani lui fait clairement savoir qu’il ne sera pas une doublure. La rupture est consommée entre les deux frères généraux.
Démenti
Il n’y a pas eu de tentative de coup d’État, mais il y a bien eu la passation très tendue de la réalité d’un pouvoir que l’ex-président ne semblait pas décidé à abandonner. Certes, « il ne s’est rien passé d’extraordinaire, tout s’est joué dans le cadre démocratique et constitutionnel », souligne le Premier ministre Ismail Ould Bedde Ould Cheikh Sidiya, un fidèle de Ghazouani. Mais le président sortant conservait encore au sein de l’armée, de l’État et surtout de l’Union pour la République (UPR), le parti qu’il a fondé en 2009, une influence confinant à la puissance. Rentré le 17 novembre pour la fête nationale après trois mois passés à l’étranger, Mohamed Ould Abdel Aziz n’entendait pas rester spectateur de la vie politique de son pays. Le 20 novembre, il préside au siège de l’UPR une réunion de son comité directeur qui publie un communiqué faisant de lui « la référence » du mouvement. Une qualification qui lui permettrait d’avoir une influence décisive sur le parti présidentiel et au Parlement, où celui-ci dispose de la majorité absolue. Certains membres du comité, proche du nouveau président, quittent la séance.
Informé de son résultat, Ghazouani n’avait pas été prévenu de la tenue de cette réunion. Mais cet homme de consensus et de dialogue cherche d’abord l’apaisement. Le 22 novembre, après la prière du vendredi, il se rend pour un long entretien chez son prédécesseur. Il lui indique que la référence du parti au pouvoir ne peut être que le président en exercice, Aziz lui rétorque qu’il ne saurait abandonner son rôle au sein du parti. Le lendemain, la troupe des députés UPR est sommée d’arbitrer. Aziz, qui garde d’importants relais au sein de l’armée et de l’État, a des raisons d’être confiant : tous lui doivent leur fauteuil.
« Mais les Mauritaniens ne reconnaissent qu’un seul chef, celui qui tient la réalité du pouvoir », note un proche du nouveau président. Le 23 novembre, 88 des 102 députés de l’UPR désignent Ghazouani comme sa référence unique. « Le président Mohamed Ould Abdel Aziz est un président qui a marqué l’histoire », explique alors le président du parti, Habib Brahim Diah. Les jours suivants, la plupart de ceux qui n’avaient d’abord pas signé en sa faveur se rallient à Ghazouani. Yahya Ould Hademine, l’ex-Premier ministre, et Moctar Ould Diay, l’ex-ministre des Finances, deux des plus fidèles grognards d’Aziz, désertent celui-ci. La tentative de reconquête d’Aziz a fait long feu. Il a perdu la main politique et, avec les limogeages au sommet de la Basep, ses meilleures cartes sécuritaires.
Grande fermeté
Débarrassé d’une influence encombrante, son ancien homme de l’ombre tient le pouvoir sans partage. Écarté avec ménagement mais fermeté, Aziz reste muet de dépit. Il vit son second échec en quelques jours : briguant le poste prestigieux de médiateur conjoint pour les Nations unies et l’Union africaine en Libye, ses espoirs étaient si bons qu’il avait pris des cours d’anglais. Mais l’on apprenait, peu avant son retour à Nouakchott, que sa candidature avait été rejetée. Derrière les rideaux toujours tirés de son vaste palais, Ghazouani a la victoire discrète et ordonne de ne pas accabler Aziz. Le vendredi 29 novembre, une semaine après s’être rendu pour parlementer au domicile du frondeur, le nouveau raïs recevait un de ses proches parents venu intercéder avant la prière solennelle.
Issu d’une prestigieuse lignée maraboutique, Ghazouani prêche le dialogue et l’ouverture et c’est la voie qu’il semble suivre avec son ancien ami. Tout en consolidant prudemment son pouvoir par des remaniements ciblés. Muré dans le silence, Aziz, qui conserve des relais dans la gendarmerie, la police et l’armée de l’air, pourrait-il se laisser à nouveau emporter par son ambition ? Le drame qui vient de se jouer aura également révélé les profondes nuances de caractère des deux généraux dont on disait qu’ils étaient comme « boubou blanc et blanc boubou ». Succédant au guerrier Aziz, le marabout Ghazouani, qui louait lors de la fête nationale aussi bien « le fusil et l’épée, la foi et la plume », le concède prudemment. « Je ne cache pas qu’il existe un décalage entre nos visions et nos appréciations d’une situation donnée, mais je pense que c’est l’environnement politique qui lui a donné plus d’importance qu’elle n’en a réellement. » Si le nouveau président vient de prouver sa différence et son indépendance, il devrait rejoindre l’ancien dans son projet de deuxième mandat comme l’appelle déjà de ses vœux son ministre de l’Économie et de l’Industrie : « C’est avec le temps et la stabilité que nous pourrons mener à bien la vision ambitieuse qui est celle de ce gouvernement. » La campagne 2024 verra-t-elle s’affronter au grand jour les deux hommes qui se disaient frères ?
Mushahide, 9 jan 2020
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