« Dans notre métier, en effet, on ne met plus en prison un professionnel pour ses écrits, car cette pratique était courante par le passé. Il peut être poursuivi, bien sûr, mais il ne risque que des amendes. Jamais des peines de prison ».
Par Mohamed Abdoun
Le ministère de la Culture a ordonné, manu militari, le limogeage du directeur de la culture de M’sila. Le dénommé Rabah Drif, via son compte Facebook, a gravement porté atteinte à une grande figure de notre guerre de libération nationale, Abane Ramdane en l’occurrence.
Cette décision, radicale et très rapide, vient peut-être mettre un terme définitif à cet inexplicable et éternel règne de l’impunité. Beaucoup d’individus, n’occupant pas forcément de hauts postes au sein de l’administration algérienne, se livrent en effet aux écarts de langage les plus outranciers qui soient sans jamais en être inquiétés.
L’exemple le plus flagrant et le plus grossier qui me vient immédiatement à l’esprit est bien celui de Naima Salhi. Celle-ci avait déjà menacé de tuer sa fille si elle osait un jour s’exprimer en tamazight. Il n’est pas seulement question d’intolérance et de racisme ici. Il est carrément question de crime. D’assassinat. Cette personne, qui n’en est pas à un dépassement prêt, a également menacé tous ceux qui n’ont pas fait semblant –comme elle- de pleurer à la suite du décès de Gaïd Salah. Impossible, non plus, de ne pas penser à ce tristement célèbre « ministre insulteur ».
Lui, en revanche, n’a pas du tout inquiété. Mais, l’on pourrait nous rétorquer que ses « écarts de langage » étaient antérieurs à sa promotion. Notre réponse serait que cela représente une raison de plus de ne jamais faire appel à un pareil individu, quelles que soient ses compétences, si le pouvoir, dans son acceptation la plus large, était vraiment sincère dans sa démarche.
En tous cas, autant je me félicite de la célérité et de la radicalité de la décision prise à l’encontre de ce Rabah Drif, autant je me demande si la Salhi and co vont continuer de bénéficier d’une quasi-totale impunité. Elle n’est pas la seule, du reste. Les réseaux sociaux, où l’on croise le meilleur comme le pire, sont un terreau très favorable à la prolifération de toutes les formes d’écarts et de dépassements. Y mettre bon ordre passe peut-être par la loi à laquelle a appelé Tebboune le même jour.
Il s’agit, indique un communiqué officiel émanant de la Présidence de la République, « d’élaborer un projet de loi criminalisant toutes formes de racisme, de régionalisme et du discours de la haine dans le pays ». Deux questions de taille se posent cependant. Est-ce qu’il n’y pas de risque que cette future loi soit utilisée comme alibi afin de procéder à de la censure bien ciblée au sein des réseaux sociaux ?
En outre, le fait de criminaliser une déclaration, une parole, un mot, ne porte-t-il pas atteinte à la démocratie et à la liberté d’expression ? Le fait de « criminaliser » des déclarations, des avis, des messages, me semble être une mesure par trop radicale, alors qu’il eut surtout fallu qualifier de « délits » ce genre d’attitude ou de sorties publiques, au même titre que la fonction de journalisme.
Dans notre métier, en effet, on ne met plus en prison un professionnel pour ses écrits, car cette pratique était courante par le passé. Il peut être poursuivi, bien sûr, mais il ne risque que des amendes. Jamais des peines de prison.
Pour le cas qui nous intéresse, on est à la lisière de la violence, du rejet de l’autre et du recours à la force qui sont, eux, des crimes parfaitement qualifiés. L’idéal serait donc d’arriver à distinguer entre une déclaration, un avis, qui relève strictement du simple délit, et un appel à l’acte, à la violence, même soufflé à mots couverts que je qualifierais, moi, de crime pur et simple.
Et, puisqu’il est question ici de « liberté d’expression », il serait bon au passage que des instructions soient données afin que les sites d’information bloqués chez nous ne le soient plus. Ce serait un gage de changement et de bonne volonté à l’adresse du hirak, lequel attend par ailleurs que tous les détenus d’opinion soient libérés…
M. A.
La Tribune des Lecteurs, 14 jan 2020
Tags : Algérie, Hirak, racisme, régionalisme, amazigh,