Et pour cause, Emmanuel Macron a été particulièrement irrité par les récentes déclarations de certains dirigeants africains, qu’il accuse de distiller un sentiment antifrançais au cœur des populations et de la jeunesse africaine.
Lassaad Ben Ahmed | 13.01.2020
AA / France / Fawzia Azzouz
Le 25 novembre au Mali, périssaient 13 militaires français dans un crash aérien alors qu’ils participaient à une opération antiterroriste de la force Barkhane. Très vite, les débats se sont cristallisés sur la légitimité de la présence de l’armée française en Afrique et sur ses intérêts cachées. Nombreuses ont été les critiques qui considèrent que l’Etat français maintient sa mainmise sur l’économie africaine par une présence militaire sous couvert de lutte antiterroriste.
Le sommet du G5 Sahel, convoqué à l’initiative du président français Emmanuel Macron, s’ouvre ce lundi à Pau. Au programme des discussions, figurent évidemment les opérations antiterroristes au Sahel via l’opération Barkhane, qui mobilise 4500 militaires français dans la zone mais aussi, une quête de ce que le chef de l’Etat appelle « la clarté ».
Et pour cause, Emmanuel Macron a été particulièrement irrité par les récentes déclarations de certains dirigeants africains, qu’il accuse de distiller un sentiment antifrançais au cœur des populations et de la jeunesse africaine.
Après la mort de 13 soldats français au Mali fin novembre, nombreux ont été les observateurs à s’interroger sur la légitimité de la présence de la France dans la région et ont notamment pointé du doigt le fait que si Paris se justifie en invoquant la nécessaire lutte contre le terrorisme, il n’en demeure pas moins qu’elle y possède d’indéniables intérêts économiques.
Le 26 novembre, tandis qu’Emmanuel Macron rendait hommage à ces 13 militaires tombés au Mali via son compte Twitter, le sociologue Mathieu Rigouste lui avait répondu en lui demandant si les victimes étaient mortes pour « protéger » le pays ou pour « protéger les intérêts de l’Etat et des industries françaises ».
Dans une analyse de la situation, publiée sur le média indépendant « l’Orient XXI », le spécialiste explique que « la concurrence chinoise menace les intérêts énergétiques et commerciaux occidentaux en Afrique depuis le début des années 2000 ». Il précise que « le Sahel abrite de grandes réserves pétrolières ainsi que des gisements d’uranium et d’or, mais aussi de gaz, de coltan, de cuivre, de grenats, de manganèse et de lithium, de minerais magnétiques et de terres rares ».
Il rappelle, par ailleurs, dans son écrit, que le chercheur à l’institut stratégique de l’école militaire de Paris, Mahdi Taje, assumait ce positionnement dans les colonnes d’un média malien en 2017, en affirmant que « la réalité géographique de cette zone permettrait à certains États, s’ils se positionnent économiquement et militairement, de mieux contrôler les richesses des États du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest ».
A noter également que dans le rapport du Sénat français de 2013, les parlementaires évoquaient la volonté française d’assurer « un accès sécurisé aux ressources énergétiques et minières » de l’Afrique, à travers l’opération Serval (devenue Barkhane en 2014).
S’agissant de l’activité des entreprises françaises sur le continent africain, Mathieu Rigouste rappelle qu’elles sont au nombre de 40 mille dont 14 multinationales d’envergure, comme les géants Total, Areva ou encore Vinci.
Les vendeurs d’armes comme Dassault figurent également sur la liste des entreprises ayant très clairement un profit à tirer des opérations françaises au Sahel. « Serval puis Barkhane ont été l’occasion de tester et de promouvoir les avions de chasse de Dassault et les missiles de la société aéronautique MBDA » note le sociologue qui mentionne également les « exportations de Rafale au Mali ».
Dans un rapport publié en avril 2019 par Hervé Gaymard, mandaté par la diplomatie française pour « relancer la présence française en Afrique », on apprend qu’en « vingt ans, les exportations françaises ont doublé sur un marché qui a quadruplé, d’où une division par deux de nos parts de marché ».
Sur cette période, « les exportations françaises vers le continent africain ont doublé (d’environ 13 à 28 milliards de dollars, en 2000 puis 2017), sur un marché dont la taille a quadruplé (d’environ 100 à environ 400 milliards de dollars d’exportations) ».
Le stock d’investissement direct étranger français sur le continent africain «sont passés d’environ 5,9 milliards d’euros en 2000 à 52,6 milliards d’euros en 2017 (avec un pic à plus de 56 Md EUR en 2016) », selon ce même rapport.
Les importations, elles, concernent principalement l’uranium, le cacao, les fruits tropicaux ou encore l’huile.
Pour le géopolitologue Pascal Boniface, interrogé par Anadolu, « la France doit faire face à la concurrence d’autres acteurs dans la région dont la Chine et la Russie », illustrée par « la réussite des sommets Chine/Afrique et Russie/Afrique ».
Il estime que la France « sait très bien qu’elle ne peut pas rester éternellement dans le Mali et au Sahel sauf à susciter une grogne » où elle serait qualifiée « non pas d’armée d’occupation mais sa présence sera de moins en moins bien acceptée ».
C’est le cas, d’ailleurs, ces jours-ci, à la faveur de manifestations demandant le départ des forces françaises, devenues fréquentes, la dernière en date a eu lieu vendredi 10 janvier à Bamako.
Boniface, par ailleurs directeur de l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques), considère que la France et l’Afrique doivent « trouver une relation où chacun gagne à coopérer avec l’autre ».
Pour le sociologue Saïd Bouamama, cité par le journal « Jeune Afrique », le néocolonialisme trouve sa source dans « l’instauration de nouveaux mécanismes de dépendance qui ne nécessitent pas l’occupation militaire des pays ».
Il met ainsi en lumière « le double processus d’un encouragement à l’endettement suivi d’une exigence sous condition pour pouvoir continuer à bénéficier des crédits », opérés, entre autres, par l’Etat français.
Le sociologue estime, enfin, que « la décolonisation n’a pas été poussée jusqu’aux domaines économiques et culturels » et que « les imaginaires sont restés ceux du dominant », notamment sur le continent africain.
« Les politiques de coopération, d’aide soi-disant technique, les ONG, la francophonie, etc., ont été des outils de cette mise en dépendance culturelle et psychologique », conclut-il.
À ce propos, le « pacte colonial » imposé par les pays européens à leurs anciennes colonies et selon lequel ces dernières ne peuvent importer que des produits provenant de la métropole et ne doivent exporter que vers celle-ci, a très longtemps pénalisé les pays africains.
Fin décembre, le président Macron annonçait en grande pompe depuis Abidjan, la fin programmée du franc CFA qu’il considère comme l’un des derniers « vestiges de la françafrique » ainsi que la fin du dépôt des réserves de change en France pour les 8 pays d’Afrique de l’Ouest francophones (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo).
Il n’en demeure pas moins que jusqu’à aujourd’hui, ces réserves sont toujours détenues par le trésor français.
Anadolou
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