Les bordels militaires de campagne.
Les expéditions et les guerres coloniales donnèrent lieu aux départs de nombreux bateaux chargés d´hommes partant pour longtemps. Parfois, des « contingents de femmes » empruntaient le même chemin, envoyées en tant que bordel dans le but d´ »apaiser les guerriers ». Le bordel à soldats n’est pourtant pas une invention des guerres coloniales. Il a du exister sous Alexandre ou sous les Romains.
En France, l´histoire le fait remonter à la croisade de Philippe Auguste qui, « choqué de l’étendue des viols et des pratiques sodomites attribués aux Francs , les remit dans le chemin de Dieu en faisant venir de France un plein bateau de filles de joie ». Depuis, l’armée françaises en fait bon usage, même si en 1946, une loi interdit l´exploitation des maisons closes en France.
Depuis des siècles, « le Soldat et la putain » font bon ménage. Longtemps, les militaires et les prostituées ont partagé la même histoire. Mais sans que la présence des prostituées ne soit rapportée dans les documents de l´armée. Pour Christian Benoit, qui a étudié la question, il s’agit même d’un couple indissociable : « Cela s’explique par le fait que les armées sont des groupements d’hommes jeunes et célibataires qui ont besoin de temps en temps de rencontrer une femme, pas toujours pour coucher avec elle d’ailleurs, mais pour avoir aussi une présence. Cette masse d’hommes constitue une clientèle pour la prostitution. Les proxénètes arrivent tout de suite là où il y a des soldats » et les fournissent en prostituées. Ces professionnelles n’ont pas bonne publicité. Alors qu’une vague de moralisme s’abat sur une France qui part en guerre, elles sont accusées de tous les maux : « Cela a été vrai à toutes les époques. On l’a vu en 1870 ou en 1944. On s’en prend à elles. On les traite d’espionnes parce qu’elles rencontrent tout le monde. On cherche à les éloigner de l’armée, mais cela ne marche pas. » Sans compter qu´elles propagent les maladies vénériennes, dont la syphilis », incurable avant 1945.
Il y a aussi des villages non loin des combats où il reste encore de la population. Une partie des habitantes de ces villages se livre elle-même à la prostitution pour diverses raisons. Là où les filles de joie manquent aux soldats, ou l´armée, ou les proxénètes font vite venir des prostituées. Celles-ci « travaillent » dans des maisons proches des casernes, et se déplacent en tentes, quand l´armée part au front.
L´armée française avait des bordels militaires de campagne (BMC) dans ses colonies, au Maroc, en Algérie, en Indochine etc…mais ce n’est que lors de la première guerre mondiale, quand la France fait appel à ses troupes stationnées outre-mer, que les BMC vont arriver en métropole.
Côté ennemi, de 1914 à 1918 l’armée allemande disposait d’établissements analogues et, l´armée allemande avait des « maisons closes » distinctes pour les officiers, et pour les soldats.
Plus tard, le commandement militaire optera pour les BMC dans le but de restreindre la contamination des troupes par les maladies vénériennes, principalement la syphilis « responsable de la contamination de 400 000 hommes lors de la première guerre mondiale ».
Les bordels militaires se sont multipliés pendant l’entre-deux-guerres, presque chaque ville ayant une garnison ou un régiment militaire, possédait son propre bordel. Lors des guerres coloniales, l’organisation et la fréquentation des BMC était de notoriété publique et encouragée par l’armée, notamment en Indochine et en Algérie .
D´esprit raciste, le commandement militaire, colonialiste aussi, tenait à faire la différence entre ses recrues de Blancs de métropole d´avec les « Indigènes », provenant d´Afrique noire, d´Afrique du Nord ou d´Indochine. Pour cette raison, durant la seconde guerre mondiale, des « Indigènes », soldats venus d’Afrique du Nord, surtout les Goumiers du Maroc qu´on placait en première ligne, étaient accompagnés de BMC. Les prostituées d´Afrique du nord de ces BMC, les ont suivies jusqu’en Allemagne, où s´acheva leur parcours avec la victoire finale des alliés.
En Indochine, pays rural et pauvre, la prostitution fit son apparition au grand jour avec l´arrivée en nombre des troupes françaises. Les hommes des premières troupes débarquées (fin du XIX ième siècle) n´avaient certaiment pas de scrupules à violer ces « demi-sauvages » comme ils qualifiaient les Vietnamiennes. Au XXiéme siècle, à 13000 km de chez eux, les hommes étaient facilement tentés par les femmes locales vendant leurs charmes pour vivre. Beaucoup de soldats se « mariaient » ou prenaient maîtresses, avec des femmes locales, comme le firent avant eux, les Hollandais en Indonésie.
En France les bordels ferment leurs portes en 1946, avec la promulgation de la loi Marthe Richard, interdisant les maisons closes.
Cependant en octobre 1946, le ministère des Armées autorise le maintien de BMC pour les unités d’Afrique du Nord stationnées en France, les prostituées venant alors d’Algérie pour la plupart. Une autre exception est faite pour la Légion étrangère.
Pas un détachement de la Légion étrangère, ne quittait la Métropole, sans qu´il soit accompagné de son BMC. Les prostituées de ce BMC étaient françaises pour la plupart. Leur nombre était au moins égal au dixième du nombre des légionnaires. Certains légionnaires emmenaient leur »femme ».
En Indochine, le nombre des soldats en croissante augmentation, jusque´à dépasser le demi-million en 1952, le nombre de prostituées suivit. Pour mettre de l´ordre dans ses troupes, le ministère des armées (françaises) crée dès 1946, des bordels militaires (BMC) d´Indochine, pour mieux gérer le côté sanitaire de la « détente » des soldats, rapportant que « les maladies vénériennes étaient aussi efficaces pour décimer les troupes que le Viet Minh « (la guérilla Vietnamienne).
La métropole, mais aussi le Sénégal ou le Maroc, d’où viennent les nombreux tirailleurs, sont à trois semaines de bateau d´Indochine. Les soldats ne revoient leur foyer qu’une fois tous les deux ans, au mieux. La guerre de tous les instants menée par un ennemi caché dans la population crée un stress terrible. Pour le vaincre, il n’y a que «l’alcool, l´opium et les filles». Le premier se trouve en abondance. Le deuxième, la France Coloniale en est l´exploitant, avec des bénéfices qui vont renflouer les caisses de la métropole. Mais les troisièmes ? Certains optent pour la tradition coloniale des congaïs, ces concubines choisies parmi les filles du pays.
Les autres ont recours aux prostituées locales, qui se vendent dans des conditions de misère et d’insalubrité terribles, d’où l´éclosion des maladies vénériennes.
Pour éviter les maladies vénériennes, l’armée offre des sortes de «délégation de service public» à des mères-maquerelles, qui peuvent ouvrir leurs bordels sous protection militaire, en échange d’une soumission totale de leur personnel à la surveillance médicale. Les filles sont visitées par les médecins militaires plusieurs fois par semaine.
Saïgon, la capitale était la ville où affluaient tous les soldats en permission, à la recherche d´alcool et de femmes.
C´est donc en 1946 à Saïgon, que le plus grand bordel fut installé, boulevard Gallieni à Cholon, boulevard qui s’appelle aujourd´hui Tran Hung Dao, dans le quartier chinois, et qu´on surnomma le « parc aux buffles ».
Au « parc aux buffles », les hommes ne peuvent aller coucher avec une prostituée qu’après une visite « médicale » consistant à faire examiner son sexe par un infirmier chargé de l’enduire de permanganate.
Le parc aux buffles, mais aussi d´autres établissements sous contrôle de l´armée vont bon train, supprimant le spectre de la syphilis, et la prostitution non contrôlée des filles qui se vendaient sur les trottoirs des rues.
Par ailleurs, le gros des clients étant en « campagne » hors des villes, certaines «maisons-closes» se transforment en maisons volantes, et les putains, en escouade, suivent les bataillons en opération. Les soldats sollicitant leurs services aux heures de repos.
L´armée, si pointilleuse dans ses rapports, ses notifications et ses archives n´a rien consigné sur les bordels militaires de campagne. Seules sont connues aujourd´hui quelques prostituées Marocaines, dont la plus célèbres est Fadma.
Cependant, dans les mémoires (1952 ) du capitaine des Goums Marocains J. Augarde, celui-ci écrit qu´après la prise de Rome, et juste à l´embarquement de la troupe des Goums Marocains pour la Corse (1943), il refuse de donner un fusil à une fille du BMC qui le lui demande pour combattre, lui disant qu´elle ne sait pas tirer. La fille (prostituée) lui répond : Moi, je t’ai dit : « Donne-moi une moukala (fusil), va te mettre à quatre cents mètres. Je tire. Si tu es vivant, tu payes le «piritif !» et tu n’as pas voulu. ».
A la fin de la guerre d´Algérie, la légion étrangère a même ramené en France avec elle ses BMC et ses prostituées. Jusqu’en 1978, il y en avait encore dans quatre garnisons : à Corte, à Bonifacio, à Calvi et à Orange. » Le tout dernier BMC de l’armée en territoire français a fermé ses portes en 1995, à Kourou, en Guyane . En 2003 celui de Djibouti fonctionnait encore, et peut-être, fonctionne -t-il aujourd´hui encore.
Photos:
– 1. Note : Horaire de travail d´un BMC.
– 2. BMC allemand dans une synagoge à Brest 1943
– 3. Le Chabanais, bordel pour soldats Allemands à Paris, 1940.
– 4. Le Parc aux buffles, vue aérienne.
– 5. Prostituées dans Le Parc aux buffles à Saïgon, Vietnam.
Photos, toutes empruntées à la littérature sur le sujet.
Nafredy
Tags : Maroc, armée, prostitution, France, armée, II Guerre Mondiale,