Guerre de libération nationale: Le Drian plaide pour un travail de mémoire
par Houari Barti
Les diplomaties algérienne et française semblent partager une vision commune sur la nécessité de travailler ensemble, et en toute sérénité, sur la question de la mémoire relative à la Guerre de libération nationale et une volonté exprimée désormais des deux côtés pour son règlement.
C’est du moins ce qui ressort, en partie, de la dernière déclaration du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, qui a estimé qu’«un travail de mémoire» est souhaitable entre la France et l’Algérie «sur la manière dont les uns et les autres avons vécu» la guerre. A la veille de cette déclaration de Le Drian rapportée hier matin par l’AFP, la diplomatie algérienne s’est également exprimée sur le sujet pour répondre à une polémique née de propos attribués au président turc Recep Tayyip Erdogan, dernièrement en visite en Algérie. «(…) De tels propos ne concourent pas aux efforts consentis par l’Algérie et la France pour leur règlement», soulignait en conclusion le communiqué du ministère des AE algérien.
Un communiqué dans lequel on a ainsi tenu à rappeler «le caractère sacré» pour le peuple algérien des questions complexes liées à la mémoire nationale, qualifiées d’«extrêmement sensibles» mais aussi «l’engagement des deux pays à les régler».
Interrogé lors d’une émission conjointe sur RTL/LCI/Le Figaro, Jean-Yves Le Drian répondait aussi à une polémique née des récents propos du président Emmanuel Macron, qui avait établi un parallèle entre la guerre d’Algérie et la reconnaissance par Jacques Chirac, en 1995, de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le chef de la diplomatie française a tout d’abord estimé que «la Shoah est un crime insupportable, comparable à rien, nulle part ailleurs, il faut le reconnaître comme tel». Mais, a-t-il ajouté, «la question qui se pose dans les relations entre la France et l’Algérie sur la mémoire, la manière dont les uns et les autres avons vécu ce conflit, reste là. Et il faudrait que nous ayons ensemble un travail de mémoire».
M. Le Drian a assuré, dans le même ordre d’idées, que les autorités algériennes souhaitaient ce processus non sans insister sur le fait que les Français, eux aussi, avaient «besoin d’avoir sur ce sujet-là un moment de rappel historique et de vérification». «Nous avons en Algérie une situation qui est complètement nouvelle, qui va sans doute engager des évolutions significatives de ce pays», a par ailleurs estimé le ministre des Affaires étrangères en référence à la récente élection du président Abdelmadjid Tebboune.
«De nouvelles perspectives s’offrent pour les relations entre la France et l’Algérie. Si la mémoire partagée peut faire partie de cet ensemble nouveau, ce serait une très bonne nouvelle pour tout le monde», a insisté le ministre. Il faut rappeler que depuis le début de son quinquennat, et même avant, le chef de l’Etat français, Emanuel Macron, a pris le pari courageux de dépassionner le débat sur le sujet en évoquant à plusieurs reprises «les charges mémorielles» de la guerre d’Algérie. Avec un regard neuf et pragmatique, regard que n’ont pas nécessairement ceux qui appartiennent à la génération qui a vécu la guerre d’Algérie, le président français espère surtout tourner cette page douloureuse et plus qu’ambiguë de la République.
En 2017 déjà, alors qu’il était en pleine campagne, le candidat d’En Marche à l’élection présidentielle avait affirmé que la colonisation française est «un crime contre l’humanité». «Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains ont voulu faire cela en France, il y a dix ans. Jamais, vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai toujours condamné la colonisation comme un acte de barbarie».
Et d’ajouter : «La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers qui nous avons commis ces gestes». Il a par la suite œuvré à la reconnaissance par la République française que Maurice Audin, mathématicien pro-indépendance disparu en 1957, était bien «mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France».
Sa dernière position forte exprimée sur le sujet a été dans l’avion qui le ramenait jeudi dernier des territoires occupés, où il participait à la commémoration du 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, où il s’est dit convaincu que la France devait revisiter la mémoire de la guerre d’Algérie (1954-1962) pour mettre un terme au «conflit mémoriel» qui «rend la chose très dure en France».
Le Quotidien d’Oran, 3 fév 2020
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