« Être libre, ce n’est pas seulement ne rien posséder, c’est n’être possédé par rien. » (Julien Green, 1980).
Cinq mois en prison. Patrick Balkany est sorti de la prison de la Santé ce mercredi 12 février 2020 après y être entré le 13 septembre 2019 à l’issue de son procès en première instance. Son procès en appel vient de se terminer et le verdict sera prononcé en principe le 5 mars 2020.
Patrick Balkany a 71 ans et qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il a visiblement été lessivé par ce séjour en prison. Grosse perte de poids, le visage transformé. La chaîne d’information continue BFM-TV semblait très balkanienne en ce sens qu’elle considérait que c’était un événement capital alors que le lendemain, elle ne retransmettait même pas le discours écologique du Président Emmanuel Macron au pied du Mont-Blanc alors que sa concurrente LCI, si.
On peut dire que ceux qui ont enfreint la loi doivent payer. Mais il se trouve que pour la (double) condamnation en première instance de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale (il n’y a pas de corruption), la peine de quatre ans de prison ferme reste très sévère. Il y a eu une part de provocation de part et d’autres : l’allure sûre de lui, volontiers insolent avec les juges, Patrick Balkany n’hésitait pas affirmer qu’il se représenterait à la mairie de Levallois-Perret en mars 2020 et qu’il serait réélu. On ne nargue pas impunément la justice. La prison dès la fin du procès était probablement un moyen de le rendre un peu plus humble, ce qui, avouons-le, n’est pas très judicieux pour une justice neutre et impartiale.
Toujours est-il que Patrick Balkany a été libéré pour raison de santé car celle-ci déclinait à vive allure. Une libération conditionnelle à faible contrainte (se présenter à la police quelques fois par mois, je ne sais plus exactement, deux ou quatre fois), et surtout, aucune caution. De toute façon, caution comme prison provisoire (puisqu’il n’a pas été condamné définitivement) sont généralement utiles pour des prévenus qui risqueraient de fuir à l’étranger. Patrick Balkany a d’ailleurs remis son passeport. Le lendemain, Patrick Balkany avouait qu’il avait pris quinze ans en cinq mois.
Cette après-midi du 12 février 2020, le couple Balkany est apparu soudain attachant. On sait qu’ils sont très liés l’un à l’autre. Avec même un zeste sinon une grande dose de népotisme. Depuis que son mari est à la Santé, Isabelle Balkany dirige les séances du conseil municipal comme maire par intérim, car …elle est la première adjointe. Et justement, il y a un conseil municipal (le dernier de la mandature) le 13 février 2020 au soir.
Si Levallois-Perret était la Roumanie, on serait tenté de dire que les époux Balknay seraient alors les époux Ceausescu. C’est évidemment très exagéré, mais finalement, en politique, le fonctionnement complémentaire par couple est assez rare, jusqu’au couple qui s’étripe par ambitions présidentielles incompatibles (Ségolène Royal et François Hollande).
C’était en préparant ce conseil municipal qu’elle a appris la libération future de son mari. Elle a tout laissé en plan pour aller devant la Santé. Face aux caméras, elle a attendu sagement que la porte s’ouvrît. Félicitations aux agents de la prison, c’est un métier difficile, ils ont toujours été corrects. Hop ! quelques électeurs en plus ! (ah non, ils ne se présentent pas à la prison).
Et l’on a pu ainsi voir une femme septuagénaire assez fatiguée mais avec le sourire et la bonne humeur. On comprend vite comment ils peuvent être élus et réélus : ils peuvent être très sociables, très conviviaux, en revanche, ils peuvent vous faire très mal si vous êtes leur cible. On pouvait avoir l’impression d’un couple de retraités qui revenait de l’hôpital après une chimiothérapie et que le mari est maintenant (presque) guéri (je dis presque car on ne guérit jamais de cette saleté, mais en plus, l’analogie fonctionne puisqu’il y a encore un verdict en appel).
Pour meubler, Isabelle Balkany (j’allais écrire Adajani !) a raconté ce qu’il resterait de sa journée : direction la maison de Giverny (je crois), et câlinothérapie pour le mari (c’était la semaine câlinothérapie, la veille, le Président chouchoutait ses trois cents poussins à l’Élysée). Et elle a raconté le détail qui tuait : elle allait devoir manier la serpillière ! (Sans le personnel de la mairie). Car les trois chiens vont être tellement heureux de retrouver leur papa qu’ils vont faire dans les couloirs. Les chats aussi seraient de la fête. Et les enfants ? Pas évoqués.
Comme vous l’avez compris, ce n’est plus une rubrique politique mais une rubrique « people ». Ou presque : « Point de vue et Image du monde ». On parle du couple Balkany comme de la famille royale (le comte et la comtesse de Levallois-Perret). Et le pire, c’est que l’empathie peut jouer à plein. Après tout, personne ne lui souhaiterait la prison, elle est inutile et dangereuse si les conséquences peuvent ruiner le corps. Il faudrait alors se pencher sur les détenus « ordinaires ». A-t-on parlé, par exemple, de cette jeune détenue de 26 ans qui s’est suicidée le 5 février 2020 dans sa cellule de la prison de Caen ?
On ne peut pas considérer la prison comme inhumaine uniquement pour les personnes du grand monde, il faut aussi la regarder pour les détenus ordinaires. Christine Boutin, animée d’une passion chrétienne qui ne me paraît pas pertinent d’afficher trop explicitement sur le plan politique (par respect aux croyances de chacun), avait eu le bon goût de bosser sur les prisons en France. Des constats toujours terrifiants au fil des rapports et des missions.
L’interview de Patrick Balkany à une chaîne de télévision est-elle scandaleuse ? Oui, certainement. Au lieu de parader, même profil bas, il ferait mieux d’adopter réellement le profil bas, c’est-à-dire le silence médiatique. En clair, l’humilité. Sans gros cigare.
C’est parce que les responsables politiques mettent trop souvent en scène leur vie personnelle qu’ils ont parfois des retours de bâton désastreux. L’accident industriel du retrait de Benjamin Griveaux le rappelle : on ne peut pas être parfait tout le temps et la vie privée doit faire partie d’une intimité qui ne regarde que les proches. Mais à force de violer eux-mêmes cet espace secret, ils se mettent en danger car ils sont à découvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et quelle va être la réaction des juges en le voyant parader une nouvelle fois lorsqu’il s’agira de lui choisir une peine dans quelques semaines ? Il est des mauvais élèves qui n’arrivent toujours pas à retenir leurs leçons… Misérables.
Sylvain Rakotoarison (14 février 2020)
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