Le Maroc des records

Bonsoir les gens,

Camarades et patriotes marocains, aujourd’hui est un grand jour.

Notre pays a encore une fois battu un record mondial. Non il ne s’agit plus d’athlétisme, c’est de l’histoire ancienne, ce n’est même pas une question de sport. Ce ne sont pas non plus les trains de la SNCF qui ont battu le record de la ponctualité ni nos administrations qui ont battu le record du nombre de services rendus aux citoyens en une journée et encore moins le record du prix le plus bas pour des légumes qui ne sont même pas importés.

Cette prestigieuse performance n’est pas non plus un exploit politique, ce n’est pas un record d’embauche ou l’éradication de l’analphabétisme, la lutte contre la corruption ou la construction d’écoles ou d’hôpitaux dans un temps record, comme en Chine, au Brésil ou au Venezuela, non hélas. Il ne s’agit pas non plus d’un record au niveau du classement des universités mondiales, le Maroc n’arrive toujours pas à figurer dans la liste des 3000 premières. Non il s’agit là d’un tout autre domaine.

Notre prestigieux royaume réinscrit son nom dans l’histoire des Guinness : après le plus grand couscous du monde à Agadir et le plus grand tajine au monde de Casablanca, le Maroc est fier d’avoir confectionné le plus grand drapeau au monde à Dakhla ! Je suis fébrile, mes ailes tremblent et mon cœur bat la chamade.. QUELLE PERFORMANCE ! Le Monde devra désormais s’y faire, le Maroc collectionne les médailles et se fait sa petite place dans le livre qui regroupe le plus grand nombre d’imbéciles heureux sur Terre.

Aux cotés de la femme aux plus longues moustaches en Inde, de la plus grosse citrouille de Bretagne, du plus long orteil aux Philippines, le record de pets à répétition aux USA, le mangeur de vers le plus rapide du monde au Bengladesh, voilà le plus grand drapeau au monde aux couleurs du Maroc. Fruit d’un long mois de dur labeur, l’étoffe rouge centrée de l’étoile verte s’étend sur plus de 60.000m2 et pèse plus de 20 tonnes.

La claque introductive et la gifle statistique passées, une fois les applaudissements patriotiques terminés; osons un brin de réflexion.

Cette idée brillantissime en décalage avec l’échelle des priorités nationales n’est pas l’œuvre du gouvernement, pour une fois, mais d’un groupe de « jeunes marocains démocrates » qui visaient, selon eux, « à inculquer les valeurs de la citoyenneté à leurs compatriotes », la ville de Dakhla aurait été choisie « pour des raisons techniques, son emplacement permet le déploiement d’un aussi grand drapeau ».

Jusque là je veux bien m’en tenir à la version officielle, mais pour croire que notre gouvernement a vite pris sous son aile ce projet dans le souci d’encourager la jeunesse marocaine à entreprendre des actions citoyennes, il faut être soit profondément débile soit franchement de mauvaise foi ! C’est bien plus facile de tisser un drapeau que de trouver des solutions politiques aux problèmes sociaux.

Organiser l’événement à Dakhla – cœur du Sahara; l’orchestre philharmonique marocain jouant l’hymne national pendant la cérémonie; inviter 350 jeunes marocains représentant les 16 régions du Royaume pour le déployer – symbolisant les 350.000 marocains de la marche verte qui signa la récupération du Sahara en 1975; confier le drapeau au Maire de la ville qui s’engage à le déployer chaque année à la fête de la Jeunesse ne sont pas des faits anodins.

Le Maroc a voulu simplement marquer son territoire, et quoi de mieux que le drapeau du Royaume, emblème national, pour cela. Il faut savoir que l’idée n’est pas nouvelle, elle est loin d’être l’idée du siècle comme le prétend les organisateurs, puisque l’ancien détenteur du record, fraichement détrôné, n’est autre qu’Israël. L’Etat sioniste avait déployé sur plus de 40.000m2 son drapeau entre Tel Aviv et Jérusalem. Sauf qu’Israël a d’abord occupé les terres palestiniennes militairement avant d’aller faire dans le symbolique. Peut être que le Maroc devrait opter pour cette solution afin de mettre un terme au long feuilleton politique du Sahara parce cela ne sert à rien d’attendre une décision qui ne tombera jamais de la part des Nations Unies (ONU) installée à New-York, sous mécénat Américain. Le dossier est volontairement non classé pour permettre ainsi à l’impérialiste Oncle Sam, qui a le contrôle des décisions onusiennes, de continuer à étendre sa domination et à imposer ses produits et sa politique aux pays de la région, en promettant en contre partie, à l’un et à l’autre, d’agir en sa faveur.

Et Comme d’habitude quand il s’agit de chiffres, on nous livre tout et n’importe quoi sauf ceux du budget. Je me suis donc amusé, faute de transparence, à revenir au fameux tajine de Casablanca qui a nécessité 1600kg de viande, 480 kg de pruneaux et 500kg d’oignons. Ce qui nous fait, sans compter l’eau, les épices et la fabrication de l’ustensile du plat qui mesurait 8 mètres de diamètre : (1600 x 75DHS) + (480 x 30DHS) + (500 x 3DHS), soit 135.900DHS. On apprend que le 1/5 du tajine a été gracieusement offert à des organisations de bienfaisance casablancaises pour qu’elles le distribuent au niveau des bidonvilles qui comptent plus de 98.000 familles. Sachant que les 4/5 ont fait la satiété des 6000 ventrus, invités de l’événement. Quel sens de la générosité, de la solidarité et du partage. Avec cet argent on aurait financé, à titre d’exemple, près de 300 opérations de cataracte – 1ere cause de cécité réversible – ou nous aurions pu équiper à peu près le même nombre d’handicapés en fauteuil roulant.. Dans la même logique je me demande le nombre de vêtements que l’on aurait pu confectionner pour les nécessiteux avec ces kilomètres de tissus.

Messieurs les politiques, si vous êtes gaga des grandeurs, alors nous voulons la plus grande bibliothèque, le plus grand centre culturel, le plus grand laboratoire de recherche, le plus grand théâtre, le plus grand hôpital et la plus grande université d’Afrique. Nous n’avons pas besoin pour le moment du plus grand studio et du plus grand terrain de football d’Afrique, ni de la plus grande boite de nuit du Maghreb ou de la plus grande mosquée au Monde. Au Maroc, nous avons assez de records comme ça. Nous nous contenterons du record du plus grand nombre de ministres au sein d’un même gouvernement et du record du nombre de partis politiques d’un même pays, tout comme de notre première place mondiale en terme d’accidents de la route. Le marocain n’a pas besoin de records messieurs, mais uniquement d’une source de revenu stable qui lui permettrait de mener, lui et sa famille, une vie décente.

L’amour de la patrie n’a pas de prix, personne n’oserait avancer le contraire, mais ce n’est pas un tissu qui rendra les marocains plus patriotes. L’amour que l’on porte à notre pays n’est pas proportionnel à la taille de son drapeau. Les valeurs que nous partageons et que nous protégeons ne se mesurent pas au kilomètre.

L’idée de marquer son territoire n’est pas forcement mauvaise, et tous les moyens sont bons pour montrer aux voisins jusqu’où c’est chez nous : personne n’est allé reprocher à l’ours brun d’uriner sur des arbres pour délimiter son territoire de chasse. Mais la question que je pose concerne ces sommes colossales débloquées pour servir des projets qui ne répondent pas aux besoins primaires et élémentaires dont manquent encore malheureusement la majorité des marocains. Des projets qui n’auront au final aucun impact si ce n’est de jeter un coup de phare médiatique sur le Maroc pour que les touristes viennent plus nombreux acheter nos babouches; et enduire d’une nouvelle couche de peinture, par dessus des fissures sociales de plus en plus profondes, le mur de nos lamentations.

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