Au grand dam des populations sahraouies représentées par le Front Polisario dès 1973, le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est colonisé en 1975 par le Maroc. Hassan II y envoie, le 6 novembre, des Marocains pour l’envahir, avant de lancer une offensive armée contre les Sahraouis. L’attaque marocaine est même appuyée par des bombardements massifs. Le peuple sahraoui lutte depuis plus de 40 ans pour son droit à l’autodétermination. Dans les territoires sahraouis occupés par le Maroc, la vie des Sahraouis est marquée par la répression et le harcèlement constants. Le Sahara occidental est aujourd’hui la dernière colonie d’Afrique. Spécialiste des conflits au Maghreb, Jacob Mundy de l’université Colgate (New York) explique le stratagème mis en place par le roi Hassan II pour accaparer ce territoire.
– Cela fait maintenant 40 ans depuis que le Maroc a envahi le Sahara occidental. Pourquoi l’ONU n’arrive toujours pas à régler ce conflit conformément à la légalité internationale ?
Actuellement, l’Organisation des Nations unies a un double discours sur le Sahara occidental : le Conseil de sécurité appelle à la fois à une solution politique et à une solution qui respecte le droit du Sahara occidental à l’autodétermination, conformément au droit international. Ceci est une pure contradiction. Le Maroc rejette l’idée d’un référendum d’autodétermination, et ainsi le Conseil de sécurité a donné à Rabat un pouvoir de veto sur le processus de paix. Dès lors, pour le Front Polisario, la seule façon d’avancer serait de compromettre son droit à l’autodétermination et d’accepter cette injustice comme un fait accompli.
Mais pourquoi les Sahraouis renonceraient-ils à ce droit alors que le Maroc n’a pas fait une offre sérieuse d’une réelle autonomie ?
Cependant, je ne suis pas convaincu que les Nations unies puissent régler cette question, même si le Front Polisario se montre prêt à s’engager dans des négociations dans lesquelles l’option de l’indépendance ne serait pas à l’ordre du jour. Au fil du temps, le statut non résolu du conflit du Sahara occidental est devenu un élément central dans le fonctionnement du régime marocain sur le double plan intérieur et extérieur. Le Maroc se présente comme un modèle de stabilité dans une région instable du monde. Pourtant, comme nous le savons tous, cette stabilité est basée sur un fondement instable, le Sahara occidental.
La monarchie marocaine a utilisé la menace perpétuelle du Sahara occidental pour contrôler la politique intérieure marocaine et maintenir des alliances sécuritaires vitales avec Paris et Washington. Ces processus de «sécurité à travers l’insécurité» sont assez courants en géopolitique ; nous observons ces processus dans les relations-clés des États-Unis comme Israël, l’Arabie Saoudite et le Maroc.
– Pour quelle raison le Maroc refuse, à ce jour, au peuple sahraoui d’exercer son droit à l’autodétermination comme le recommandent pourtant un rapport de la Cour internationale de justice daté du 15 octobre 1975 et de nombreuses autres résolutions de l’ONU ?
Le Maroc refuse le déroulement d’un vote sur l’indépendance du Sahara occidental parce qu’il sera perdant. Cela était clair en 1975 lorsqu’une mission des Nations unies a visité le Sahara occidental et cela est clair aujourd’hui dans les camps de réfugiés et au Sahara occidental.
Les manifestations quotidiennes des Sahraouis qui vivent sous occupation montrent qu’il y a une forte majorité en faveur de l’indépendance. Après 40 ans d’occupation, le Maroc n’a pas réussi à gagner les cœurs et les esprits des Sahraouis. Le Maroc a tenté de gagner le vote dans les années 1990 en inondant l’électorat avec de faux Sahraouis. L’ONU n’a pas accepté cela. C’est la raison pour laquelle le Maroc parle maintenant d’autonomie, sachant qu’un vote légitime n’ira pas en sa faveur.
– D’après vous, pourquoi le roi Hassan II a-t-il organisé la Marche verte le 6 novembre 1975 ? Avait-il le droit d’envahir le Sahara occidental ? Cette marche était-elle pacifique comme le soutient le Maroc ?
Comme les historiens l’ont découvert, les plans marocains d’invasion du Sahara occidental avaient été préparés des années auparavant. Nous connaissons tous l’échec de la «guerre des sables» menée en 1963 par le Maroc contre l’Algérie. Ce qui est moins connu, c’est que Hassan II avait même un plan avancé pour envahir la Mauritanie.
En 1974, quand l’Espagne a annoncé son intention d’organiser un référendum sur l’indépendance du Sahara occidental, le Maroc a intensifié ses efforts diplomatiques en allant à l’ONU et en demandant l’avis de la Cour internationale de justice. Durant les audiences de la Cour, lors de l’été 1975, il était clair que les juges de la CIJ ne pouvaient pas prendre au sérieux les arguments juridiques avancés par le Maroc pour conquérir le Sahara occidental.
Le Maroc ne pouvait même pas démontrer sa souveraineté continue et effective sur le sud du Maroc (Oued Draa)… alors ne parlons pas du Sahara occidental. C’est comme cela que Hassan II a commencé à peaufiner ses plans d’invasion du Sahara occidental. Selon mes recherches, Henry Kissinger a été informé début octobre (deux semaines avant la publication de la décision de la CIJ) que le Maroc allait envahir le Sahara occidental.
Etant donné qu’une invasion militaire directe d’un Etat d’Europe occidentale allait être trop dangereuse, Hassan II a dû forcer l’Espagne à abandonner le Sahara occidental par d’autres moyens. Ainsi, l’idée ingénieuse de la «Marche verte» a été utilisée pour créer une façade civile pour une invasion militaire. Nous devons nous rappeler que la marche «pacifique» de Hassan II a été soutenue par une présence militaire massive dans le sud du Maroc. Hassan II a averti que si Madrid s’opposait à la Marche verte, le Maroc déclarerait la guerre à l’Espagne.
Cette sortie avait mis Madrid dans une situation impossible. Si Franco n’avait pas été en déclin, l’Espagne aurait peut-être résisté à la pression du Maroc. Mais comme les historiens espagnols le révèlent maintenant, l’agonie de Franco a créé une «guerre civile» dans le cabinet espagnol. En fin de compte, un accord secret a été conclu avec le Maroc fin octobre 1975. Dans les faits, l’invasion militaire par le Maroc de l’est de Saguia El Hamra a commencé les 30-31 octobre.
La Marche verte n’était devenue qu’un spectacle pour apaiser une opinion marocaine envahie par une frénésie nationaliste. Seuls quelques milliers de manifestants ont franchi la frontière du Sahara espagnol et… seulement de quelques kilomètres. La grande majorité des participants à la Marche verte est restée au Maroc compte tenu de l’accord conclu avec Madrid. Cela a permis aux deux parties de sauver la face : Hassan II a obtenu sa marche et l’Espagne a quitté le territoire selon ses propres termes.
– En août 1974, l’Espagne, qui souhaite se retirer du Sahara occidental, annonce l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour 1975. Pourquoi Madrid a abandonné cette option et préféré ouvrir des négociations avec le Maroc et la Mauritanie ?
L’Espagne a été contrainte de négocier avec le Maroc et la Mauritanie parce qu’elle a été abandonnée par le Conseil de sécurité des Nations unies, principalement en raison de l’insistance française et américaine qui soutenait que le Maroc avait réussi son invasion. Lorsque la Marche verte a été annoncée, l’Espagne est allée au Conseil de sécurité de l’ONU pour dénoncer l’acte marocain comme un acte menaçant la paix et la sécurité internationales. Le Conseil a été lent à réagir et, à la fin, il n’a jamais fait plus que dénoncer la Marche verte du Maroc. Et quand la dénonciation est venue, la marche avait déjà commencé.
L’Organisation des Nations unies, qui avait été principalement créée pour prévenir une agression dans les affaires mondiales, n’a rien fait pour arrêter l’agression du Maroc contre l’Espagne, ceci parce que Paris et Washington savaient qu’un échec de Hassan II dans la conquête du Sahara occidental marquerait la fin de la monarchie au Maroc.
– Comment voyez-vous aujourd’hui l’évolution du conflit ? De quoi dépend son règlement ?
Il est difficile de voir tout espoir dans le processus de paix de l’ONU maintenant que le Maroc a tenté de rejeter l’ambassadeur Christopher Ross comme envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Maintenant, nous attendons tous de connaître le point de rupture des Sahraouis.
Combien de temps encore les réfugiés peuvent-il supporter de souffrir à Tindouf ? Le Front Polisario subit une intense pression pour reprendre la guerre, tandis que l’exploitation et la répression marocaine au Sahara occidental se poursuivent avec peu de protestations de la communauté internationale. Je crains que la situation ira en empirant avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne décide de la prendre au sérieux.
El Watan, 5 nov 2015
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