Abdelkader a 55 ans, il est analphabète. Père de 7 fillettes, rongé par le diabète. « Butagaz » au dos de sa blouse et « FBI » sur la casquette. Abdelkader est gardien de voitures, malgré son arthrose qui lui interdit les filatures, il collectionne les insolations et les courbatures. Musulman pratiquant, il ne connait que la droiture et dans son parcours rares sont les ratures. Sur les recommandations de l’Imam, Abdelkader a fait 7 gosses à ses 2 femmes. Ce serait une prescription prophétique que de multiplier les handicaps, mais la fertilité dans ce milieu est une soupape : avoir des garçons est un retour d’investissement d’une certaine façon. Les grossesses se suivent mais toujours pas de petit maçon qui annoncerait la saison des moissons; ce n’est qu’au bout de la septième qu’il retiendra la leçon : la méiose ne cède pas aux caprices. La famille ne comptera aucun fils. Tous les midis il se rend au café du coin pour échanger sa petite monnaie, les billets étant moins lourds à transporter. Il passe devant le cyber d’à coté et ce qu’il y voit ne semble plus l’alerter. En face d’un poste, une de ses filles est assise; maquillage et décolleté, la panoplie requise. Sa fille se vend comme une marchandise sur le marché saoudien. Il est loin d’apprécier, mais ne dit rien. C’est cette webcam qui paye ses séances de dialyse. La discrétion est donc de mise. Il baisse la tête avant de sortir, ravale sa fierté et demande le repentir. Depuis des décennies, feue sa dignité est morte, il n’a plus que sa foi pour continuer à trainer cette carcasse qui le porte. Son épaule heurte celle d’un jeune homme pressé à la porte.
Khalil a 35 ans, handicapé depuis sa tendre enfance suite à des crises convulsives. Devant les récidives successives, ses parents voyant leur enfant s’étouffer dans sa salive, l’emmenèrent aux urgences. Ne voulant pas perdre leur fils par négligence, ils durent soudoyer chacun du personnel de l’hôpital malgré leur indigence. Mais petit bémol, dans l’hôpital il y a que des ampoules de calcium et du paracétamol. Une injection plus tard il fut gardé en surveillance, et depuis Khalil ne pourra apprendre aucun pas de dance. En plus de l’usage de ses pieds, il a perdu tous ses cheveux malgré son jeune âge, Khalil a le cancer du chômage. La beauté intérieure pour seul charme, le courage et la foi pour seule arme, contre une vie au gout mortuaire : le paraplégique habite dans un cimetière. Il ne s’appelle pas Michael, mais vit chaque soir son Thriller. Maintes fois tabassé devant le parlement alors qu’il ne faisait que présenter ses doléances vaillamment; Khalil le militant est désormais vendeur ambulant. Dans son fauteuil à roulettes, derrière sa petite charrette, il prépare des bols d’escargots et du thé à la menthe dont il tient la recette. Fatigué de devoir se contenter des miettes, il ne rêve que de quitter son pays qui l’a condamné aux oubliettes. Ses recettes médiocres, l’empêchent hélas de quitter la ville ocre. Aujourd’hui, garé sous un réverbère à coté d’un café, il est interpellé par deux gendarmes faisant leur ronde dans le quartier qu’ils ont l’habitude de parapher. Ils réclament un billet vert pour ne pas lui confisquer sa cocotte, ses bols et sa théière.
Tags : Maroc, misère, pauvreté, inégalité,
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