– Commission d’enquête « Tubert »: un goût d’inachevé
Le rapport de la commission d’enquête « Tubert », sur les massacres du 8 mai 1945 dans le Nord-constantinois, demeure, à ce jour, l’unique source d’importance sur ce qui s’est réellement passé durant ces événements, malgré que les rédacteurs du rapport d’enquête avait déploré le fait que la commission n’avait pas pu mener « concrètement » sa mission.
Ainsi, 73 ans après les événements sanglants ayant foudroyé des populations algériennes entières dans les villes et villages des régions de Guelma, Kherrata et Sétif, la vérité historique demeure partiellement connue, au regard des entraves vécues par la Commission d’enquête officielle, nommée le 18 mai par le général Charles de Gaulle et conduite par le général de gendarmerie, Paul Tubert, lors de son déplacement en Algérie.
Jeté pour longtemps dans les oubliettes, le contenu du rapport de la commission Tubert sur les événements, préfacé par l’historien Jean-Pierre Peyroulou, a été révélé, il y a quelques années, grâce au site électronique de la Ligue française des droits de l’Homme.
Si le rapport n’a consacré que peu d’espace à la « férocité » de la répression contre les Algériens, il dresse, néanmoins, un tableau sur la situation qui prévalait avant le début des massacres et l’atmosphère « insurrectionnelle » qui régnait en Algérie où « le désir d’émancipation s’était clairement exprimé depuis la remise en 1943 par Ferhat Abbas du Manifeste du peuple algérien aux autorités françaises.
Le rapport de la commission Tubert, qui avait mis l’accent sur le refus des réformes par les colons, a pu, cependant, cerner le climat psychologique qui prévalait en Algérie avant les événements.
Il a illustré, en outre, le mobile patriotique des manifestations par la demande de libération de Messali Hadj (leader du mouvement national et dirigeant du PPA).
« (…) La commission a constaté que bon nombre de manifestations se sont déroulées en Algérie les 1er et 8 mai. Toutes ces manifestations étaient à caractère exclusivement politique et avaient pour but de réclamer la libération de Messali et l’indépendance de l’Algérie », lit-on dans ce rapport.
Les rédacteurs de ce document ont, à la fin du rapport, suggéré « la présence de troupes mobiles (…) pour ramener la confiance et empêcher la formation de groupes armés échappant à tout contrôle et la définition, avec netteté et sincérité, des programmes politiques et économiques que les pouvoirs publics (autorités coloniales) décideront d’appliquer en Algérie ».
Le rapport ne pouvait prétendre cerner l’ensemble des événements, en raison des « tergiversations » du gouverneur général d’Alger, Chataigneau, obligeant, selon le document, la commission à recourir aux informations confiées par un nombre de personnalités à Alger et aux renseignements recueillis à Sétif durant la journée du 25 mai 1945.
L’historien Peyroulou qui écrivait que la commission n’avait pas pu se rendre à Guelma où « les massacres de civils se poursuivaient » au-delà de la date de l’arrivée de la commission Tubert à Alger, a relevé qu’elle (commission) avait fait du « sur-place à Alger » du 19 au 25 mai.
Une répression menée jusqu’au 25 juin
« Pourquoi la commission n’est-t-elle pas allée à Guelma? Non seulement parce que le général de Gaulle voulait absolument sauver un représentant de la résistance en Algérie, André Achiary, l’un des organisateurs de la milice européenne, mais aussi parce qu’à Guelma, la répression menée par cette milice officiellement dissoute, se poursuivait toujours dans les faits. Elle s’est poursuivie jusqu’au 25 juin », avait expliqué l’historien Peyroulou dans sa préface.
En effet, et selon cet historien, qui a consacré un ouvrage sur les événements de mai 1945 à Guelma, « la répression s’est poursuivie jusqu’au 25 juin, jour où le ministre de l’Intérieur Tixier arriva à Guelma. Il y eut 4 morts ce jour-là. Ce furent les derniers. Quand il repartit, les meurtres cessèrent ».
« En somme, on promena Tubert et la nomination de la commission +Tubert+ fut une menace qu’agita le gouvernement provisoire pour faire cesser la répression.
Mais celui-ci n’avait aucune intention de le laisser constater effectivement l’ampleur de la répression », écrivait encore Peyroulou.
S’agissant du devenir de cette commission, il a souligné que « le rapport fut oublié. Il ne fut pas diffusé. De toute façon, après la révolte de Madagascar, et une fois la guerre d’Indochine entamée, l’épisode du 8 mai 1945 dans la région de Constantine n’intéressait plus personne en France ».
La commission avait cessé de travailler officiellement le samedi 26 mai au soir, « dès qu’elle reçut des instructions de revenir à Alger », précise le rapport.
Le général de gendarmerie Tubert, résistant contre l’occupation allemande en France, était depuis 1943, membre du Comité central provisoire de la Ligue des droits de l’Homme et membre de l’Assemblée consultative provisoire à la fin de la deuxième Guerre mondiale.
Il a été nommé à la tête de la commission d’enquête sur les événements du 8 mai 1945 en Algérie, par le général de Gaulle à la demande du ministre de l’Intérieur Tixier.
Les crimes coloniaux toujours pas reconnus par la France
Cinq décennies après l’indépendance, les crimes coloniaux ne sont toujours pas reconnus par la France officielle, alors que l’Algérie commémore mardi le 73e anniversaire des événements du 8 mai 1945, où plus de 45.000 Algériens ont été massacrés dans une vague de répression sanglante perpétrée par les forces coloniales contre une population qui réclamait son droit légitime à la liberté et à l’indépendance.
Les massacres du 8 mai 1945 étaient une démonstration du caractère génocidaire de la France coloniale à travers ses crimes des plus abominables et inhumains commis à l’égard du peuple algérien.
Des personnes désarmées abattues à bout portant, exécutions sommaires, d’autres transportées dans des camions pour être jetées dans des ravins,alors que d’autres sont emmenées en dehors des villes pour être exécutées.
Leurs corps brûlés sont ensuite enterrés dans des fosses communes. Des fours à chaux étaient, également, utilisés par l’armée française pour se débarrasser des cadavres des victimes, tandis que les bombardements et tous types d’exactions se poursuivaient.
Malgré les appels à la repentance, le volet mémoriel entre l’Algérie et la France reste toujours d’actualité, et demeure un point d’achoppement pour l’essor des relations bilatérales, même si des avancées ont été enregistrées ces derniers temps.
Le président français, Emmanuel Macron, s’est contenté d’utiliser l’expression de « crime contre l’humanité » à propos de la colonisation, une expression qu’il a employée lors de sa visite à Alger lorsqu’il était candidat à la présidentielle.
« Mes convictions sur ce point n’ont pas changé depuis que j’ai été élu président de la République », avait-il affirmé lors de sa dernière visite à Alger en décembre 2017, ajoutant: « Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ». Il a estimé qu’il ne faut pas s' »enfermer » dans ce passé mais « construire un avenir commun et une espérance ».
Pour le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, il y a une « question d’âge du président Macron et une question d’époque, parce qu’il ne faut pas, à chaque visite présidentielle, revenir sans arrêt sur le passé ».
D’après Le Drian, « il faut dire que ce passé a eu lieu, que ce passé était douloureux, parfois dramatique, et dire aussi qu’entre nos deux pays, il y a une chance historique de collaborer ensemble ».
Dans le même sillage, l’ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, a noté, récemment, que le dossier mémoriel entre les deux pays « avance discrètement ou parfois trop discrètement, mais il avance ».
Pour sa part, l’Algérie, par la voix de son ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, la France « reconnaîtra tôt au tard », les crimes qu’elle a commis pendant 132 ans de colonisation, mettant en avant le droit des générations montantes de tout savoir sur les pratiques répressives des politiques coloniales.
La vérité sur ces pratiques reste toutefois inaccessible aux Algériens, a-t-il relevé, précisant que « seulement 2 % de la totalité des archives, qui sont un bien et un droit de l’Algérie, ont été restitués par la France ».
Pour le ministre des Moudjahidine, ce dossier reste en suspens aux côtés de ceux inhérents aux disparus pendant la guerre d’indépendance et aux indemnisations des victimes des essais nucléaires dans le Sahara.
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