COLONISATION DE L’algérie Par la france
Crimes contre l’humanité et génocides : Pas 5, mais 12 millions de victimes !
La polémique née après la rencontre Erdogan – Tebboune et qui a frisé l’incident diplomatique à propos du nombre de victimes de la colonisation pose un réel problème de mémoire puisqu’à ce jour il n’existe pas d’étude précise sur le nombre de morts durant les 132 ans de colonisation française. Selon M. Tebboune «la France a massacré plus de 5 millions d’Algériens en 130 ans». (Daily Sabah du 29 janvier 2020).
Un nombre d’habitants volontairement réduit pour cacher l’horreur
Par sentiment de culpabilité, les auteurs français affirment unanimement que la population algérienne ne dépassait pas 3 millions en 1830. Cette affirmation ne repose sur aucun critère objectif sinon à crédibiliser les recensements de populations effectués dans la 2ème moitié du XIXème siècle. Les auteurs algériens sont en droit alors de s’interroger : comment un peuple si peu nombreux et dispersé sur un immense territoire a-t-il pu résister, trois siècles durant, à plus de 80 agressions venant de l’étranger ? La disparition des archives de la Casbah, relatives notamment aux impôts, aux agglomérations et aux Mahalla (zones rurales et tribus), a-t-elle vraiment été une fatalité ? Hamdan Khodja, très au fait du sujet, parlait de 10 millions d’habitants dans son livre «Le Miroir» paru à Paris en 1833. Le Bey de Constantine estimait en 1831 à cinq millions le nombre de la population de sa province. Le général Desmichels qui gouvernait Oran, estimait en 1834 la population de cette région à 2 millions d’habitants. Le général Bugeaud, gouverneur militaire, estimait la population à 8 millions en 1840 avant de parler de 4 millions en 1845 ! Quel que soit le chiffre avancé, on constate qu’il a diminué lors du 1er recensement de 1856 qui donnait une population globale de 2,3 millions d’habitants. En 1876, soit 20 ans plus tard, cette population n’avait augmenté que de 6% (la population algérienne a été multipliée par 2 entre 1962 et 1978) ? Où est donc passé le «manque à gagner» ?
Crimes contre l’humanité et génocides
Les exactions coloniales de différents degrés comprenant des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des génocides, bien que l’agression soit elle-même un crime, ont été pour beaucoup dans la disparition de pans entiers de la population algérienne.
Bugeaud a écrit les pages les plus sanglantes de la colonisation. Il a fait régner le régime du sabre. C’est le responsable des enfumades, le père des hordes infernales, des razzias, de la terre brûlée… Son culte du détail et de la minutie d’exécution de tant de crimes fait de lui le père des génocidaires de l’armée coloniale. Les six colonnes infernales, qui comprenaient 83.000 hommes en 1842, 90.000 en 1844 et 108.000 en 1846, étaient chargées «d’empêcher (les Arabes) de semer, de récolter, de pâturer…», en un mot, de faire une politique de la terre brûlée. Le général Bugeaud a d’ailleurs expliqué lui-même pourquoi une force aussi considérable était nécessaire dans ce pays, alors que l’Italie par exemple avait pu être conquise avec une armée de 30.000 hommes… «Ce n’est que par leur multiplication [razzias] et en prenant les tribus les unes après les autres, que nous sommes parvenus à vaincre les Arabes». (Vignon L., La France en Algérie, Hachette Ed, Paris, 1893, p. 21). Bugeaud a défini lui-même son action : «C’est la guerre continue jusqu’à l’extermination». La politique des razzias incitait les militaires au viol, au pillage, au meurtre, à la destruction…
Aux razzias ont succédé des crimes aussi abjects : massacre de la Zaâtcha, le 26 novembre 1849 commis par plus de 8.000 soldats français. Tous les hommes du village âgés de plus de 15 ans ont été pendus publiquement dans les décombres «pour l’exemple». (Garrot, Histoire générale de l’Algérie, impr. P. Crescenzo, 1910, pp. 885-886). Un journaliste français Baudicour qui a assisté à la prise de la Zaâtcha rapportera : «Les zouaves, dans l’enivrement de leur victoire, se précipitaient avec fureur sur les malheureuses créatures qui n’avaient pu fuir. Ici, un soldat amputait, en plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait comme grâce d’être achevée et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre la muraille ; ailleurs c’était d’autres scènes qu’un être dégradé peut seul comprendre et qu’une bouche honnête ne peut raconter» (Dresch J., Ch-A. Julien, La question algérienne, les Editions de Minuit, Paris, 1958). Le massacre de Laghouat, le 2 décembre 1852, a vu pour la première fois dans l’histoire l’utilisation de gaz de combat contre les populations civiles. Le colonel Pein rapporte dans ses «Mémoires» : «Le carnage fut affreux ; les habitations, les tentes des étrangers dressées sur les places, les rues, les cours furent jonchées de cadavres. Une statistique faite à tête reposée et d’après les meilleurs renseignements, après la prise, constate le chiffre de 2.300 hommes, femmes ou enfants tués…» La pacification de la Kabylie en 1857 : «On avait tué femmes, enfants, vieillards». (cf. L. de Baudicour (1815-1853), La guerre et le gouvernement de l’Algérie, Paris, Sagnier et Bray, 1853, p. 371 ; Sur l’expédition en Kabylie). La répression d’El Mokrani de 1871, «La répression fut terrible, écrit Théodore Rinn, et, pour beaucoup, hors des proportions avec la culpabilité…» Le massacre d’El Amri en 1876 qui a subi le même sort que la Zaâtcha et Laghouat.
La répression des Aurès de 1879, la répression de l’insurrection de Bouamama dans le Sud oranais (1881-1883), la répression de l’insurrection d’Aïn Turki (actuelle Arioua, ex-Margueritte) en 1901, la répression des Béni Chougrane et Mascara (septembre-octobre 1914)…
L’histoire coloniale en Algérie est encombrée d’évènements tragiques. Si «la liste des excès, des humiliations, et même des crimes de guerre, est très longue», peut-on parler de génocide ? Certains historiens français pour ne citer que certains considérés comme anticolonialistes, tel le regretté Claude Liauzi ou Gilbert Meynier en 2005, le rejettent et accusent même ceux qui en parlent de «désinformation victimisante» ! Pourtant, le mot «extermination» a été utilisé de nombreuses fois par les suppôts du colonialisme. Ce mot était très explicite comme le montre le «Littré» de 1872, «exterminer» peut être considéré comme synonyme, de «chasser entièrement, faire périr entièrement», c’est-à-dire commettre un génocide. Il était pratiqué couramment au XIXème siècle : «L’idée d’extermination eut longtemps cours en Afrique [du Nord]» (Hippolyte Castille, Le général de Lamoricière, Sartorius F. E.d, Paris 1858, p. 13) C. de Feuillide dira à ce propos : «Quand nous occupâmes le Sahel, il fallut raser le sol et exterminer les races ; sans quoi, disaient ces hommes, on ne pourrait ni s’établir ni cultiver. On rasa, on extermina. (C. de Feuillide, L’Algérie française, p. 65, Plon Ed, Paris 1856).
Il existe de nombreux exemples de génocides : le massacre de Blida de novembre 1830 ordonné par Clauzel, commandant en chef de l’armée d’Afrique : «J’ai ordonné aux bataillons de détruire et de brûler tout ce qui se trouve sur leur passage». L’extermination de la tribu d’El Aouffia à Maison Carrée le 6 avril 1832 qui a fait 12.000 victimes. Les «enfumades» et les «emmurades» de la Dahra qui sont des «chambres à gaz» de fortune et dont seulement quatre épisodes sont connus car des directives ont été données aux militaires de taire leurs crimes. Bugeaud a donné à ses officiers l’ordre d’être «impitoyables». Il a précisé dans une note écrite datée du 11 juin 1845, à propos des habitants de la Dahra qui ont l’habitude, en cas de danger, de se réfugier dans des grottes : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac : fumez-les à outrance comme des renards» (Maspero F., L’honneur de Saint-Arnaud, p. 205, Casbah Ed., Alger, 2004). Des tribus entières ont disparu à jamais comme les Ouled Riah et les Sbéahs. Cynique, Tocqueville, l’un des théoriciens de la colonisation écrira quelque temps plus tard : «J’ai pu sans péril traverser avec vingt-cinq personnes le Dahra dont nous avons décimé la population, il y a six mois» (Lettre du 1er décembre 1846 adressée à Corcelles, in Oeuvres complètes, op.cit. t. XV, 1, p. 224, cité par le Cour Grandmaison). Des variantes aux enfumades vont se répéter au cours du XXème siècle avec les asphyxiés de Zéralda (1942), les fours à chaux de Guelma, Héliopolis et Belkheir en 1945, l’enfumade du douar Terchioui (1957), les caves ont souvent été utilisées comme dernière sépulture de nombreux militants et civils durant la Guerre de libération (1954-1962).
Les crimes contre l’humanité ne se sont pas manifestés uniquement par des tueries, des assassinats ou des exécutions sommaires, ils concernent également les lois iniques mises en place comme le Code de l’Indigénat qui a réduit la population autochtone à l’esclavage, l’internement des populations qui a été mis en place dès 1834, les punitions collectives qui ont commencé par le massacre des Aouffias en 1932, les amendes collectives, généralisées par Bugeaud en 1844, le séquestre des biens immobiliers, des terres et même des mosquées qui a commencé avec la confiscation des biens publics dits Beylik en 1833, le cantonnement des populations, leur regroupement au cours de la grande famine, la déportation des Algériens vers Calvi en Corse, puis dans le sud de la France, à Sète (1846) et dans les Iles Sainte Marguerite (1843), puis en NouvelleCalédonie (à partir de 1853) et en Guyane (1888), leur nombre total avoisine les 50.000 personnes dont des femmes et des enfants, la grande majorité est morte lors du transfert ou sur place…
Suite à leur conscription obligatoire, de jeunes Algériens se sont trouvés mêlés à différentes guerres menées par la France : guerre de Crimée (1853-56), guerre contre l’empire austro-hongrois en Italie (1859), guerre du Mexique (1861 à 1867), guerre franco-allemande de 1870, grande guerre (1914-1918) Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et guerre d’Indochine (1946-1954). Les pertes ont été particulièrement lourdes lorsqu’on sait que les Algériens ont été utilisés comme chair à canon, elles sont estimées à plus de 100.000 morts et un nombre plus important de blessés et de handicapés à vie.
La colonisation de l’Algérie a été une période de non-droit avec des prisons surpeuplées, des camps d’internement appelés pudiquement d’hébergement gérés par les préfectures, des camps militaires clandestins, des laboratoires de torture… dont le nombre global dépassait les 400 et qui enfermaient plus de 150.000 personnes. Les rafles, les exécutions sommaires, les viols, la torture, les condamnations à mort avec des décapitions en chaîne, les attentats ciblés menés par la «main rouge», les mutilations, les cadavres exposés en public, les profanations de lieux de culte et de mausolées, la destruction de cimetières, l’exportation d’ossements humains…
Les crimes commis contre les populations civiles lors des évènements de Mai 1945 avec 45.000 morts ; les évènements du 20 Août 1955 avec 12.000 morts, les manifestations du 17 Octobre à Paris avec des centaines de morts.
Les essais nucléaires français en Algérie avec 4 explosions atmosphériques et 13 souterraines en plus des 57 essais plus réduits ont exposé directement plus de 2 millions d’Algériens à des radiations ionisantes. Les descendants de ces derniers vont continuer à payer indéfiniment un lourd tribut en maladies génétiques en cancers et en malformations. Les méfaits des expérimentations chimiques et balistiques de Hammaguir sont peu connus bien que celles-ci aient été menées jusqu’en 1986. La guerre de libération nationale a exacerbé l’agressivité du colonialisme et s’est terminée par un véritable holocauste commis par l’OAS. L’Algérie parle de 1,5 million de morts et la France reconnaît seulement 200.000 !
Victimes des épidémies, des famines et des camps de regroupement
L’occupation française de l’Algérie a aggravé durant le XIXème siècle la situation sanitaire et épidémiologique des populations algériennes. Les redoutables épidémies de peste des XVIIème et XVIIIème siècles ont été remplacées par la violence meurtrière du choléra, du typhus, de la syphilis, de la tuberculose, des famines… Il est aujourd’hui établi que de nombreuses infections ont été importées et propagées par l’armée française et les colons, certaines ont été réactivées et rendues très virulentes par une importation massive de réservoirs humains. Ainsi, les épidémies de choléra ont, en effet, été importées et diffusées par les militaires français, les plus importantes ont eu lieu en 1834, 1835, 1837, 1839, 1846, 1849, 1855, 1859, 1865, 1866, 1884 et 1893. Les Rickettsies, agents du typhus historique, ont été ramenées en Algérie avec le pou de corps humain, que des milliers de va-nu-pieds d’Europe portaient sur eux, au moment ils étaient envoyés pour coloniser l’Algérie. La syphilis a été réactivée à travers les nouveaux réservoirs ramenés en Algérie pour entretenir le moral des soldats mais également à travers les multitudes de centres de dépravation mis en place par les autorités militaires françaises au niveau des villes-garnisons. La tuberculose était pratiquement inconnue en Algérie à la veille de l’occupation, elle a été propagée par la main-d’œuvre algérienne appelée à soutenir l’effort industriel français, mais placée dans un état d’insalubrité, de promiscuité et de carence alimentaire tel qu’elle a contracté le bacille de Koch puis est revenue dans le pays pour mourir, essaimant à tout va le bacille meurtrier. Le paludisme reste une exception épidémiologique car s’il était bien présent avant l’occupation, son épidémiologie a littéralement explosé avec les bouleversements écologiques opérés par les autorités coloniales, l’anophèle (femelle du moustique), agent de transmission du parasite, s’est allié aux habitants pour retarder la colonisation du pays. Globalement, il n’est pas exagéré de dire que les épidémies ont tué plus d’un million et demi de personnes en Algérie durant l’occupation française. A titre de comparaison, Noin évalue à 1.450.000 décès, les ravages de la peste, du choléra et de la variole au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle au Maroc (Noin, 1970). Les autres épidémies ayant eu de grands impacts, notamment la variole, la rougeole, la scarlatine, la dysenterie, la typhoïde… ne sont pas comptabilisées !
Les famines observées en Algérie durant l’occupation française ont, par leur envergure et le nombre de victimes occasionnées, été les plus meurtrières de l’histoire d’Algérie. La responsabilité de l’occupant dans les famines de 1838, de 1847, de la grande famine 1866-1868, de celles de 1891-1892 et de 1921-1922 est liée à la déstructuration de la société autochtone, à la dépossession des terres, à la confiscation des terres pastorales, à l’altération des pratiques sociales qui permettaient traditionnellement à la population de faire face aux calamités (dispersion des populations, constitution de silos de réserve [mtamers], développement de l’élevage, prêts sans intérêt [mouaouana], etc.). Ces famines ont été responsables au minimum d’un million et demi de victimes. La grande famine seule a tué plus d’un million de personnes. (Djilali Sari, Le désastre démographique, Sned Ed, Alger 1982)
Les camps de regroupement mis en place en dehors de tout cadre légal dès 1955, ont abrité plus de 2,5 millions jusqu’au 19 mars 1962. L’absence d’une hygiène minimale, des conditions d’habitat proches de celles des SDF et l’existence d’une sous-alimentation chronique ont été responsables d’une très forte mortalité dénoncée en 1957 par le rapport de Michel Rocard. Selon ce dernier, il y avait plus d’un décès par jour pour 1.000 habitants ce qui donne en 5 ans (mars 1957 à mars 1962) plus de 4,5 millions de victimes.
La colonisation de l’Algérie : un défi mémoriel pour la France
Emmanuel Macron qui est né en 1977 n’a pas le complexe des enfants de la guerre coloniale menée par son pays. Il avait qualifié lors de sa visite à Alger le 15 février 2017, durant sa campagne électorale que la colonisation française est «un crime contre l’humanité». Il y a quelques jours, il récidive considérant la colonisation de l’Algérie comme l’un des plus grands défis mémoriels pour la France : «La guerre d’Algérie est sans doute le plus dramatique» a-t-il déclaré. Il ajoute : « je pense qu’il a à peu près le même statut que la Shoah» (AFP/RP, 25 janvier 2020). En termes de responsabilité de la France, la colonisation de l’Algérie ne peut aucunement faire l’objet d’une comparaison avec la Shoah car d’une part le régime de Vichy ne représentait qu’une partie de la France et d’autre part ce qui a été commis contre les Algériens dépasse largement les 12 millions de victimes.
Mostefa Khiati
Professeur, chercheur
SOURCE : Le Quotidien d’Oran
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