Par Leila Aslaoui-Hemmadi
L’immunité parlementaire ne cesse d’alimenter, depuis quelques semaines, des commentaires de journalistes et d’internautes. Tous les propos convergent vers la même conclusion : la suppression pure et simple de cette immunité qualifiée par les intervenants de passe-droit qui l’assimilent à une impunité.
Suite au scandale des sièges qui auraient été achetés à coups de milliards par certains députés FLN selon les déclarations détaillées d’un de leurs ex-collègues du même parti devant la juridiction pénale qui l’a condamné à huit années d’emprisonnement, l’on comprend parfaitement la colère citoyenne et j’y adhère totalement, car si j’ai été désignée dans le tiers présidentiel au Sénat, le 7 juin 2020, ce n’est évidemment pas pour être éclaboussée par ces salissures (et le mot est faible) qui ont incontestablement terni l’image du Parlement. Cependant, sans doute serait-il utile de rappeler que l’immunité parlementaire protège ceux qui en bénéficient des pressions de l’extérieur sous quelque forme que ce soit. Cela signifie qu’à l’occasion de leurs missions parlementaires, un député, un sénateur ne sauraient être l’objet d’intimidations ou être poursuivis et jugés pour leurs opinions politiques ou leur vote.
Mais qu’en est-il lorsque le parlementaire est l’objet d’une demande de levée de son immunité pour des faits qu’il aurait commis hors ses missions parlementaires, c’est-à-dire des infractions punies par la loi?
Dans un passé récent, le ministre de la Justice, Monsieur Belkacem Zeghmati, avait introduit auprès du Bureau de l’Assemblée nationale une demande de levée d’immunité à l’encontre d’un député pour que la justice puisse l’auditionner pour des faits de corruption au temps où il avait exercé des fonctions de ministre. Après avoir transité par la commission des affaires juridiques, la demande fut soumise au vote en plénière rapidement et se solda par un non majoritaire. Voici que ces jours-ci une seconde demande visant le même député a été introduite par le ministre de la Justice, M. Zeghmati. Et cette fois-ci, soucieuse du respect des formes procédurales, la même commission des affaires juridiques a décidé d’entendre le concerné, voire de lui accorder un délai pour lui permettre de rapporter des documents prouvant son innocence. Qu’on ne s’attende pas de ma part à des noms, à des faits, puisque ce n’est pas l’objet de ma contribution. Je souhaite surtout mettre l’accent sur les comportements versatiles face à une question importante telle que la levée de l’immunité parlementaire. Une première fois un non massif, une seconde fois le respect de la procédure. Vers quoi aboutira un nouveau vote en plénière ? Les députés se déjugeront-ils ? Dans ce cas, comment expliquer leur non la première fois ? Je ne dis pas justifier — ils n’ont pas à le faire —, mais faire adhérer le citoyen à leurs décisions, eux les élus du peuple. Attendons pour voir…
On peut également citer les cas de trois sénateurs en 2019 aujourd’hui derrière les barreaux et condamnés par une juridiction pénale dont les collègues avaient traîné les pieds pour la demande de levée de leur immunité. Ce sont ces ex-sénateurs anciennement ministres de A. Bouteflika qui avaient renoncé d’eux-mêmes à leur immunité.
C’est précisément pour que cessent les tergiversations, les humeurs changeantes, l’indécision que la future Constitution a rappelé la distinction entre l’immunité rattachée aux activités parlementaires et les actes non rattachés aux missions parlementaires (article130). Ceux pour lesquels le parlementaire peut faire l’objet de poursuites judiciaires.
Chose importante : désormais, la Cour constitutionnelle pourra être saisie pour examiner la levée ou pas de l’immunité parlementaire pour des faits commis hors missions parlementaires, si le député ou le sénateur ne renonce pas volontairement à son immunité (article 130 alinéa 2).
Une disposition qui a fait grincer des dents certains parlementaires. Je la considère personnellement comme une avancée et la qualifie d’excellente. Loin de la compassion, de l’empathie, du subjectivisme, de la gêne, de la solidarité partisane, la Cour constitutionnelle statuera avec comme seuls outils : le Droit et la Raison. Cela contribuera — du moins faut-il l’espérer — à faire oublier l’image ternie du Parlement. Après les législatives, les futurs candidats à la députation, et après eux ceux qui postuleront aux sénatoriales, devront savoir qu’entre la politique et les affaires, ils devront choisir. Parce que immunité parlementaire ne signifiera plus impunité, faveurs, et privilèges. Ce sera une véritable immunité qui enterrera à jamais l’ère sombre des dobermans attaquant des mouhafeds, ou l’image désolante d’un président de l’Assemblée nationale interdit d’accéder à son bureau par des députés qui avaient cadenassé la porte d’entrée de l’intérieur.
Du côté du Palais de justice et plus précisément de la Cour d’Alger, les avocats ont décidé de suspendre le boycott des audiences. Une bonne nouvelle que celle-ci car les incidents entre avocats et magistrats sont monnaie courante, surtout lorsqu’il s’agit d’affaires hors du commun de par la nature de l’infraction : corruption, détournements de biens et deniers publics, blanchiment d’argent. De par la qualité des auteurs, co-auteurs, complices : anciens hauts fonctionnaires de l’État qui ont profité de leurs fonctions pour ruiner littéralement le pays. Il ne s’agira nullement pour moi de dire qui des avocats ou du juge a raison ou tort. À quel titre le ferai-je d’ailleurs ? Aucun. Je me bornerai à livrer mon opinion sur ce qui s’est passé au regard de ce que j’ai lu dans la presse.
Le bâtonnier d’Alger, Maître Abdelmadjid Sellini, après avoir demandé un renvoi des plaidoiries qui lui a été refusé par le magistrat président de l’audience, a été pris d’un malaise et évacué vers l’hôpital. Avant qu’il ne s’écroulât, le ton serait monté, selon les journalistes et des confrères à lui.
Chose courante, disais-je, dans ces procès, l’incident n’était qu’un incident et rien de plus. Maître Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice en France, avocat pénaliste brillant, relate dans son ouvrage Le droit d’être libre que lorsqu’il sentait que le président des assises mettait en difficulté son client, il créait un incident. Chez nous aussi il existe des avocats champions de l’incident. C’est de bonne guerre et il n’y a rien de grave ou de fâcheux si les mots et le comportement n’outragent pas les magistrats. Dans le cas de l’incident Sellini/ juge, celui-ci avait le droit de décider de la poursuite des plaidoiries. Pour autant, il n’est en rien responsable du regrettable malaise dont a été victime le bâtonnier d’Alger. La fatigue, les pressions de son client, l’âge peuvent peut-être expliquer son pic tensionnel. Par contre, la solidarité «spontanée» des avocats avec leur confrère me laisse dubitative. Le plus franc d’entre eux étant celui qui a déclaré : «Maître Sellini est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.» Comprendre «ce fut l’occasion rêvée pour régler nos comptes». Pourquoi suis-je sceptique sur l’élan de solidarité des confrères de Maître Sellini ? Parce que j’ai gravé dans ma mémoire les propos acerbes, voire fielleux de certains avocats (tes) rencontrés au gré du hasard à l’encontre du même Sellini. Des confrères notamment de sa génération et plus jeunes. Ils m’avaient commenté avec des mots durs le comportement de leur bâtonnier lorsque, pour des raisons que lui seul détenait, il s’était incliné devant A. Bouteflika, valide à cette date et tenant sur ses deux jambes, lors d’une rencontre internationale des barreaux (l’image est sur internet). Ces avocats l’ont critiqué en privé, mais, ce jour-là, ni celui d’après, aucune voix d’avocat ne s’est élevée publiquement pour s’insurger contre la «courbette» de maître Sellini. Signifiait-elle liberté ou servitude ? Ne fut-elle pas une atteinte aux droits et libertés de la défense ? Le fait est passé inaperçu. Un non-événement.
Ou encore aucune voix d’avocat ne s’était fait entendre le jour où la justice de Tayeb Belaïz et de Bouteflika avait ordonné à une magistrate de rendre une décision tard dans la nuit en 2003. Pourquoi les avocats n’ont-ils pas scandé ce jour-là ou plutôt le lendemain «Belaïz dégage» ?
Ces mêmes avocats ont déclaré que leur combat est celui du Hirak. Avec cette précision que l’une des principales revendications du mouvement populaire était, dès le 22 février, le jugement de cette mafia qui a pris en otage le pays, ses richesses et qui a poussé la «plaisanterie» diabolique jusqu’à confectionner une loi (26 février 2006) sur mesure puisque leurs infractions sont correctionnalisées. Mais Dieu merci, la loi n’est pas immuable. Et puisque les avocats se disent aux côtés du Hirak, ils ne peuvent qu’entériner ses revendications quand bien même ils ont le droit de défendre qui ils veulent et qui les sollicite. Mais s’opposer à l’audition de leurs clients par visio-conférence par temps de pandémie n’est pas lisible pour moi. Le président de la République ne préside-t-il pas les Conseils de ministres par visio-conférence ? En quoi cela est-il humiliant ou déshumanisant ? Le plus important n’est-il donc pas d’extirper notre pays de cette mafia et de confisquer tous ses biens ? Faire en sorte aussi que la justice puisse les récupérer.
L. A.-H
Le Soir d’Algérie, 5 oct 2020
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