Washington veut passer par Khartoum pour convaincre les pays arabes de normaliser leurs relations avec Israël, et par Alger pour lutter contre le terrorisme sur le continent.
L’Afrique revient dans le viseur des Etats-Unis. Alors que le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, est engagé dans une course contre la montre pour dénouer le contentieux de son pays avec le Soudan avant l’élection présidentielle aux Etats-Unis, le chef du Commandement militaire américain en Afrique (Africom), Stephen Townsend, s’est rendu mercredi 23 septembre en visite en Algérie.
« Les Etats-Unis ont une occasion qui ne se présente qu’une fois d’assurer enfin une compensation aux victimes des attentats terroristes de 1998 menés par Al-Qaïda contre les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie », a écrit Mike Pompeo dans une lettre à des sénateurs dont l’AFP a eu connaissance. « Nous avons aussi une fenêtre unique et étroite pour soutenir le gouvernement de transition dirigé par un civil au Soudan, qui s’est enfin débarrassé de la dictature islamiste », a-t-il ajouté.
Au cœur de ce dossier, l’inscription du Soudan dans la liste noire américaine des Etats soutenant le terrorisme. Cette sanction, synonyme d’entrave aux investissements pour le pays, remonte à 1993. La crise s’est envenimée avec les attentats de 1998, qui avaient fait plus de 200 morts. Le Soudan d’Omar al-Bachir était alors devenu un paria pour avoir accueilli le chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden.
Ces dernières années, Washington a changé de ton lorsque l’ex-autocrate soudanais a commencé à coopérer dans la lutte antiterroriste et joué le jeu de la paix au Soudan du Sud. Les Etats-Unis ont renoué avec Khartoum, déjà sous l’ex-président démocrate Barack Obama, puis engagé un dialogue pour retirer le Soudan de leur liste noire. La révolution qui a balayé Omar al-Bachir, en 2019, n’a fait qu’accélérer le mouvement. Depuis, Mike Pompeo ne ménage pas son soutien au premier ministre de transition, Abdallah Hamdok.
Mais les négociations achoppaient sur l’épineux dossier judiciaire de l’indemnisation des familles des victimes des attaques de 1998. Le secrétaire d’Etat pense désormais qu’une solution est en vue et en a fait « une de ses premières priorités », a dit à l’AFP une porte-parole de la diplomatie américaine. Son « plan » prévoit le versement par Khartoum, sur un compte bloqué, de fonds qui ne seront versés que sous conditions aux Etats-Unis pour indemniser les plaignants. Des médias américains ont cité le montant total de 335 millions de dollars (environ 287 millions d’euros).
Parmi ces conditions, le retrait du Soudan de la liste noire antiterroriste et l’adoption d’un texte de loi proclamant la « paix légale » avec Khartoum, pour écarter le risque de nouvelles poursuites. Dans son courrier, Mike Pompeo fait pression sur le Congrès américain afin qu’il vote cette disposition. « Cette loi doit entrer en vigueur mi-octobre au plus tard afin de garantir le paiement des indemnisations aux victimes dès que le Soudan sera retiré de la liste des Etats soutenant le terrorisme », ce qui interviendra « très probablement » d’ici fin octobre, a-t-il expliqué. C’est-à-dire avant l’élection présidentielle américaine du 3 novembre. Au sein du gouvernement, on s’inquiète toutefois d’une résistance de quelques influents sénateurs démocrates.
Pourquoi un tel empressement de la part d’un secrétaire d’Etat par ailleurs peu intéressé par l’Afrique ? C’est probablement au nom d’un autre dossier cher à l’administration Trump. Mike Pompeo s’est rendu fin août à Khartoum lors d’une tournée pour convaincre des pays arabes de normaliser leurs relations avec Israël. Le camp du président-candidat veut capitaliser sur les accords historiques conclus sous son égide par l’Etat hébreu avec les Emirats arabes unis et Bahreïn – un succès qui manquait à son bilan diplomatique, qui plus est favorable aux intérêts israéliens et donc susceptible de galvaniser son électorat évangélique.
Abdallah Hamdok avait semblé doucher les espoirs américains, en affirmant qu’il n’avait « pas de mandat » pour trancher cette question sensible. Mais les tractations se poursuivent en coulisses, avec des positions peut-être moins figées. Le général Abdel Fattah al-Burhane, chef du Conseil souverain au Soudan, qui avait rencontré en février le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a eu trois jours de pourparlers cette semaine à Abou Dhabi avec une délégation américaine. Au menu, bien entendu, la sortie de la liste noire, mais aussi, selon l’agence officielle soudanaise Suna, « l’avenir de la paix arabo-israélienne » et « le rôle que le Soudan devrait jouer dans la réalisation de cette paix ».
En parallèle à ce front, mais plus au nord sur le continent, le général Stephen Townsend, chef de l’Africom, a effectué mercredi une visite à Alger dans un contexte de tensions régionales, en particulier en Libye et au Mali, a-t-on appris de source officielle. Le général Townsend, « accompagné de membres de l’ambassade américaine en Algérie », a été reçu par le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, précise un communiqué de la présidence algérienne, qui ne divulgue pas la teneur des discussions. Le gradé de haut rang américain a également eu des entretiens avec le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chanegriha, et le ministre des affaires étrangères, Sabri Boukadoum.
« Nous avons beaucoup à apprendre et à partager les uns avec les autres. Renforcer cette relation est très important pour nous », a expliqué le chef de l’Africom, cité dans un communiqué de l’ambassade des Etats-Unis en Algérie. « L’Algérie est un partenaire engagé dans la lutte contre le terrorisme. Affaiblir les organisations extrémistes violentes, les activités malveillantes et renforcer la stabilité régionale est une nécessité mutuelle », a plaidé le général Townsend. Il s’agissait de la première visite en Algérie d’un commandant de l’Africom depuis 2018.
L’Algérie, qui craint les risques d’instabilité à ses frontières, s’efforce de réactiver son rôle sur la scène diplomatique régionale et tente d’endosser un rôle de médiateur dans les crises en Libye et au Mali.
Source : Decryptnews.com, 27 sept 2020
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