Maroc – Rabat
Aux portes de l’Europe, l’enfer des migrants subsahariens
Dans la minuscule pièce, Florence découpe une pastèque. Le téléviseur crépite dans un coin, seule distraction du petit Emmanuel, 3 ans, étendu sur le matelas posé à même le sol. Une simple lucarne éclaire le foyer de cette famille nigériane. Aujourd’hui, Steeve, le père de famille a gagné 1,50 euros en mendiant depuis 6h du matin. “De quoi acheter un kilo de poisson”, lance-t-il sans grand enthousiasme. Ce couple nigérian a débarqué à Rabat en 2004 avec comme unique rêve, celui de rejoindre un pays européen pour une vie meilleure.
Dans un angle, Florence a soigneusement rangé ses bassines pour la vaisselle qu’elle a dissimulées derrière un rideau. Sur les murs, des photos du Christ. La température intérieure atteint facilement les 30°. “Malgré les 50 euros de loyer mensuel, le propriétaire ne veut pas qu’on utilise la lumière ni qu’on branche un ventilateur”, raconte Steeve. “Cela fait 3 ans que nous sommes là et nous n’avons aucun droit. Si seulement je pouvais travailler. C’est une situation très stressante pour moi, avec la peur d’être agressé ou d’être arrêté par la police”.
Comme ce jeune couple de migrants, ils sont entre 15 000 et 30 000 à se retrouver bloquer à Rabat, aux portes de l’Europe, avec des conditions de vie inacceptables. “Lorsqu’ils arrivent ici, ils n’ont plus d’argent pour continuer. Durant le voyage, ils doivent se débarrasser de tous leurs papiers. Ils n’existent plus. Au Maroc, ils n’ont aucun droit. Ils ne bénéficient d’aucune protection et se retrouvent à la merci de tous les abus et de toutes les violences possibles”, explique le coordinateur d’une ONG. 60 % d’entre eux ont entre 18 et 30 ans, 30% ont plus de 30 ans et 10% sont des mineurs. Ces migrants viennent principalement d’Afrique de l’Ouest ((Sénégal, Gambie, Mali, Guinée, Côte d’Ivoire) du Nigeria et de la RDC.
Pour la plupart, le périple s’est déroulé dans la souffrance avec des violences sexuelles et physiques, dans l’enfer des camions surchargés traversant le désert algérien, sans eau ni nourriture. « Le trajet a été épouvantable. Nous avons beaucoup marché, même les enfants. Nous avons dû payer sans arrêt pour franchir les frontières. C’est une véritable mafia », explique Bienvenu qui a quitté la RDC en 2004 avec sa femme. « Nous avons mis plus de 2 ans pour arriver ici en passant par le Cameroun, le Nigeria, le Bénin… Mais chez nous, il y a la guerre, la famine, tout ». Le couple a obtenu le statut de réfugié via la représentation internationale du HCR basé à Rabat. Seul problème… les autorités marocaines ne reconnaissent pas ce bureau destiné à favoriser l’enregistrement des demandeurs d’Asile, la reconnaissance et l’installation des réfugiés au Maroc.
Pourtant, le Maroc a signé les Conventions de Genève de 1951 relatives à la protection des réfugiés. « En un an et demi, le HCR n’a reconnu que 600 réfugiés avec un taux de reconnaissance de 16%. Ce statut est principalement attribué aux Ivoiriens, Congolais, Sierra Leonais et Libériens. Le récépissé remis aux réfugiés n’a, pour l’instant, aucune valeur aux yeux des autorités marocaines. Il ne leur donne pas droit à une carte de séjour et ne permet donc pas d’accéder au marché du travail ou aux soins », précise le coordinateur. « Tant que le HCR et le statut de réfugié ne sont pas reconnus par le Maroc, le bureau international de Genève devrait assurer une assistance financière mensuelle aux réfugiés. Et la Communauté internationale devrait doter le bureau du HCR de Rabat des moyens politiques et financiers suffisants pour assurer tant la protection juridique que l’assistance de ces réfugiés, et plus particulièrement des mineurs non accompagnés ».
En attendant, le Maroc a renforcé le dispositif de surveillance des frontières avec des ratissages autour des enclaves tout en laissant les migrants en ville. « Les politiques publiques européennes et des Etats membres en matière d’immigration s’inscrivent fortement en coopération avec les pays frontaliers de l’espace Schengen dans le cadre du « bon voisinage ». Elles consistent à vouloir réguler les flux migratoires et lutter contre l’immigration clandestine en «externalisant» le contrôle des frontières et les procédures d’asile vers les pays limitrophes. L’Algérie et le Maroc se renvoient la responsabilité. L’action policière se concentre sur les zones de frontières. L’Union européenne envoie de l’argent au ministère de l’Intérieur marocain mais ces fonds ne redescendent pas forcément aux policiers qui n’ont pas les moyens de procéder aux arrestations. Cette coopération policière avec l’Europe existe mais le problème reste celui de la corruption », constate le coordinateur.
Résultat, les migrants, réfugiés ou non, vivent dans la plus grande précarité, victimes de violences et de discriminations. « J’ai pris un bateau pour rejoindre les Canaries et il a chaviré noyant une quinzaine de personnes sous mes yeux. J’ai été récupéré et depuis je lutte pour survivre. Il y a un mois, un Marocain m’a agressé pour me voler. Il m’a tailladé le visage et le corps à coups de couteau et m’a brisé un tibia. Personne n’a bougé. Les gens regardaient », raconte Jimmy, un Nigérian.
Libres de leur mouvement, au bon vouloir des autorités, les migrants mendient dans les rues et survivent dans des bidonvilles entassés dans de minuscules chambres. De véritables taudis où les nattes et les matelas se succèdent au milieu des cafards, de la crasse et de la chaleur. La gale est une maladie courante de même que la tuberculose et les troubles mentaux. Sans espoir, sans avenir, les migrants de Rabat se débattent dans ce climat de violence, rejetés par une bonne partie de la population marocaine en se disant « j’avais un rêve, je suis maintenant dans une prison libre ».
* Le nom de l’ONG et celui du coordinateur ne sont pas publiés afin de ne pas nuire à leur action sur le terrain.
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