Malgré la rude concurrence des puissances émergentes, Paris veut garder la haute main dans cette région du nord de l’Afrique. Jean-Yves Le Drian est venu à Alger solliciter le soutien d’Alger qui condamne pourtant les interventions militaires comme moyen de règlement des conflits.
Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian était invité pour un séjour de deux jours à Alger, les jeudi 15 et vendredi 16 octobre courant. À l’invitation de Sabri Boukadoum. Selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères, « cette visite permettra de faire le point sur les avancées enregistrées, de part et d’autre, dans la coopération bilatérale ».
Elle donnera également lieu à un échange de vues sur les questions régionales et internationales d’intérêt commun, notamment la situation au Sahara Occidental, le dossier malien et la situation dans la région du Sahel ainsi que la crise en Libye, dont le règlement sera au centre des discussions entre les deux parties », souligne le communiqué.
L’éminence grise du Quai d’Orsay, accompagnée d’une forte délégation, n’est pas venue à Alger avec sous le bras des accords économiques ou la relance d’autres actuellement en souffrance, comme le projet de construction automobile Peugeot ou la question de la fermeture de l’usine de montage Renault.
Au demeurant, il se contentera de revenir sur le nombre des entreprises françaises implantées en Algérie et leur « contribution à l’emploi et à la prospérité de l’économie algérienne », donc à défaut d’une annonce qui pèsera dans le futur sur les rapports entre les deux pays, longtemps dans l’ornière de l’attentisme.
Le diplomate français, à son arrivée à l’aéroport d’Alger, sera accueilli tout juste par un cadre du ministère des Affaires étrangères. Il déclarera, néanmoins : « Je suis venu à Alger marquer la solidité des liens d’amitié entre nos deux pays », car pour la France, l’Algérie est un partenaire incontournable et de premier plan dans le règlement des crises régionales, dira-t-il. C’est la troisième visite qu’effectue à Alger Jean-Yves Le Drian et sera reçu par le Président Abdelmadjid Tebboune, ainsi que le Premier ministre Abdelaziz Djerad.
Cette escale, qui devait durer deux jours vu l’acuité des questions à l’ordre du jour, sera écourtée d’une journée, la partie algérienne exprimant de la sorte son courroux, quand bien même on n’en sait pas plus sur les raisons des divergences de vues. Si le premier diplomate français a esquivé la conférence de presse qu’il devait tenir en janvier dernier au siège du ministère des Affaires étrangères, pour cette fois-ci, il se contentera d’une déclaration lue à sa sortie de la présidence de la République.
Il évoquera notamment le Hirak dont seuls les Algériens sauront traduire les revendications, une clarification qu’il tenait à faire, sachant que ce fut une pomme de discorde entre Alger et Paris suite aux déclarations du Président Emmanuel Macron quant à la légitimité du scrutin présidentiel qui n’ont pas été du tout du goût du nouveau locataire du palais d’El-Mouradia, et n’a pas manqué de l’exprimer publiquement, haut et fort. Un épisode qui poussera Jean-Yves Le Drian à tenter de réparer les dégâts pour aboutir à une réconciliation entre les deux chefs d’État, à la faveur du Congrès de Berlin sur la crise libyenne.
Dans la foulée de cette prédisposition à l’endroit des autorités du pays, dans sa déclaration, il exprimera le soutien au référendum du 1er novembre sur la révision de la Constitution chère au Président Tebboune. Mais au-delà des déclarations de bonnes intentions, dans le fond diplomatique, l’on reproche à Paris son jeu trouble tant dans ses relations de deux poids deux mesures avec les pays du Maghreb, avec une forte propension à s’aligner sur les positions marocaines, en particulier sur la question du Sahara Occidental, question inscrite dans l’agenda de cette nouvelle rencontre d’Alger.
Cette préférence, estime-t-on, ne saurait cacher des soubassements politiques. Il est donc juste de revendiquer des rapports exempts de toute discrimination. L’embellie que semblait dessiner la restitution des restes mortuaires de premiers résistants algériens à la colonisation devait aller dans le sens du travail de mémoire, loin des passions et dans le cadre de la vérité historique. Si cette question a été rappelée dans la déclaration de l’hôte français, il est clair que pour Alger, il faut aller vers des « excuses officielles » de l’État français afin de refermer, une fois pour toutes, les querelles de mémoires qui pèsent de tout leur poids pour des relations apaisées entre l’Algérie et la France. Cette reconnaissance a toute son importance, s’il faut considérer les rapports entre les deux pays sur un pied d’égalité et de respect de la souveraineté. Or, c’est loin d’être le cas.
La France a à son actif plusieurs points de litiges avec son voisin de la rive sud de la Méditerranée qui ne facilitent guère le règlement de contentieux qui tendent plutôt à prendre le dessus sur les bonnes intentions d’Alger. Parce que Paris entend, sur nombre de questions, garder la main haute. À commencer par le Mali et le Sahel où les autorités françaises successives prennent un malin plaisir à saborder les efforts d’Alger à établir la paix et réussir à rapprocher les positions des belligérants qui ont fini par signer les Accords d’Alger de 2016.
L’ingérence militaire de la France au Mali a débouché sur la grave crise en cours et la radicalisation des groupes armés qui sèment la mort dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Idem en Libye, devenue un pot-pourri des ingérences étrangères et de trafiquants d’armes, un tremplin de l’immigration clandestine, cauchemar de l’Europe. S’il va de soi que l’Élysée veut sauvegarder ses intérêts économiques dans la région qu’il considère comme zone d’influence exclusive, l’évidence montre que les rapports de force ne sont plus en sa faveur.
Paris est en perte de vitesse dans de plusieurs de ses anciens bastions, que ce soit au Mali ou en Syrie, sans oublier le Sahel. Les aventures militaires sont fermement dénoncées par Alger qui n’a de cesse d’appeler au règlement des crises politiques par le dialogue.
À Alger, Jean-Yves Le Drian rejoint les thèses algériennes, et tout en reconnaissant son rôle, ne cherche pas moins son soutien ! Sans aucune contrepartie. La réponse d’Alger est cinglante, l’Algérie ne veut pas d’un rôle de sous-traitant au service de la France. La visite de travail est alors réduite à une seule journée, Le Drian est rentré dans son pays hier vendredi matin.
Brahim Taouchichet
Le Soir d’Algérie, 17 oct 2020
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