Les investigations et les affirmations sur l’emploi d’armes chimiques en Syrie ont amené As’ad AbuKhali, alias Angry Arab, à s’interroger sur l’emploi de telles armes pendant la guerre du Rif dans les années 1920. Angry Arab avait en effet entendu parler d’une telle utilisation d’armes chimiques, mais manquait d’éléments à ce sujet.
Un de ses lecteurs, sans doute Marocain, a bien voulu combler cette lacune et apporter des précisions très intéressantes ainsi qu’un renvoi à un travail universitaire sur cette question.
Comme beaucoup d’entre nous, Angry Arab était en effet perplexe voire outré par la posture moralisatrice de gouvernements occidentaux qui restent pour l’instant les plus grands utilisateurs d’armes chimiques comme on a pu le constater entre autres à Gaza en 2008 – 2009 et au Vietnam dans les années 1960-1970.
Ce post est en passant l’occasion de rappeler le rôle considérable dans l’histoire du nationalisme maghrébin et algérien de l’émir Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi, dit Abdelkrim, le fondateur de la république du Rif en 1922. Ce même Abdelkrim qui animera bien des années plus tard le Comité de Libération du Maghreb Arabe au Caire qui sera le lieu de convergence des nationalistes Nord-Africains.
Sur la guerre chimique dans le Rif marocain
Angry Arab, 1er octobre 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri
De Mohamed: «J’ai lu avec intérêt votre post sur l’utilisation d’armes chimiques par l’Espagne dans le Rif marocain (région berbérophone marocaine bordée par la Méditerranée) pendant la guerre du Rif de 1921 à 1926. C’est quelque chose d’important parce que le bombardement aérien à l’arme chimique de populations civiles dans le Rif marcoain a été le premier dans l’histoire.
Comme vous le savez, les gaz toxiques avaient été utilisés auparavant à Ypres en Belgique pendant la première guerre mondiale et en Irak (1919) quand l’infâme Winston Churchill avait déclaré «Je ne comprends pas la sensiblerie par rapport à l’utilisation du gaz contre des tribus non civilisées» Mais dans ces utilisations précédentes, c’étaient des bombardements d’artillerie, pas d’aviation. L’Espagne n’a pas encore reconnu ce fait historique qui a été établi par l’historien Britannique Sebastian Balfour dans son livre ‘Etreinte mortelle: le Maroc et la route vers le guerre civile espagnole’ (chapitre V) et par l’historienne Espagnole Maria Rosa de Madariaga dans plusieurs ouvrages traitant de l’histoire du colonialisme espagnol dans la Maroc du nord (voir par exemple son long article ici). De fait, une pétition lancée par le parti catalan de la «Gauche Républicaine» pour soulever cette question au parlement avait été rejetée par la commission constitutionnelle du parlement en 2007.
Les premiers types de gaz employés dans le Rif furent le phosgène, le sisphogène et la chloropicrine qui avaient été fournis aux Espagnols par la France. Mais par la suite, la guerre chimique connut une escalade (en particulier à cause des défaites répétées contre le mouvement de résistance) avec l’utilisation de gaz moutarde fourni indirectement par l’Allemagne via le chimiste Hugo Stoltzenberg.
Les Allemands fournirent du gaz moutarde aux Espagnols tout en les aidant à établir des sites de production du gaz. La seule étude à ce jour sur cet épisode particulier reste le livre de Rudibert Kunz et Rolf-Dieter Muller (1990), ‘Giftgas gegen Abd el Krim: Deutschland, Spanien und der Gaskrieg in Spanisch-Marokko, 1922-1927’.
Des câbles diplomatiques montrent que la France comme la Grande Bretagne connaissaient et soutenaient l’utilisation de gaz moutarde par l’Espagne pendant la guerre (du Rif).
Quant à la position du régime marocain [par rapport à ces évènements], ses motivations ne sont pas aussi simples que ce qu’en dit votre lecteur de Berlin. La principale raison qui fait que ce sujet est tabou au Maroc est que l’ensemble de l’épisode historique de la résistance dans le nord du Maroc est tabou. Particulièrement sensible est l’appellation de «République du Rif» pour désigner l’entité politique qui est née de la guerre de libération du Rif, appellation qui reflétait la conception par le dirigeant du mouvement d’un Etat moderne inspiré essentiellement par l’idéologie réformiste islamique (Abduh, Kawakibi) et par l’Etat turc de style ataturkien ‘Abdelkrim était fasciné par l’expérience d’Ataturk).
Sans oublier que sous le protectorat protectorat, Français et Espagnols étaient supposés agir pour protéger le roi. En outre, certains soutiennent que le régime s’abstient de soulever cette question parce qu’il a lui-même employé du napalm dans sa brutale répression de la rébellion du Rif (désobéissance civile en réalité) pendant l’hiver 1958-1959.
Ces allégations restent cependant encore difficiles à prouver ou à étayer. La campagne (de l’hiver 1958-1959) avait été conduite par le prince héritier Hassan (qui deviendra Hassan II) et son bras droit, le général Oufkir (le même général qui avait pris la tête d’un coup d’état manqué en 1972).
Plus triste, le récent travestissement politique et journalistique de ce sujet le banalisent franchement au lieu de refléter une intention sérieuse d’affronter un chapitre important de l’histoire du Maroc. La question du gazage de la population civile rifaine est évoqué seulement à des fins politiques, particulièrement dans les moments de tension diplomatique entre le Maroc et l’Espagne. Dans cette démarche, le régime marocain est épaulé par de nombreux acteurs dans la presse politique et du côté des ONG. Même les membres d’une ONG dont la conférence avait été annulée en 2001 (un groupe de poseurs pseudo-gauchistes) sont maintenant sur la ligne du régime. La plupart d’entre eux sont devenus membres du PAM (Parti de l’Authenticité et de la Modernité), un parti lancé il y a quelques années par un haut responsable du ministère de l’intérieur ami du roi. De fait, on appelle ce parti «le parti de l’ami du roi».» En fin de compte, beaucoup ici sont convaincus que le taux de prévalence du cancer incroyablement élevé dans le Rif (le plus élevé du Maroc) est dû à l’utilisation de gaz moutarde dans les années 1920. Il est certain que ce gaz cause le cancer chez des victimes qui y sont exposées directement à des doses suffisantes, mais aucune étude scientifique n’a encore établi de lien entre le gaz moutarde et les descendants des victimes.
Source : Mounadil Al Djazaïri
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