MAROC ET SAHARA OCCIDENTAL. L’ONU DOIT SURVEILLER LA SITUATION DES DROITS HUMAINS AU SAHARA OCCIDENTAL ET DANS LES CAMPS DE RÉFUGIÉ·E·S SAHRAOUIS À TINDOUF
Le suivi indépendant, impartial, exhaustif et permanent des droits humains doit occuper une place centrale dans le cadre du maintien de la présence de l’ONU au Sahara occidental et dans les camps de réfugié·e·s sahraouis, a déclaré Amnesty International le 21 octobre 2020. L’organisation demande au Conseil de sécurité de l’ONU de renforcer la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) en ajoutant à son mandat le suivi et le compte-rendu de la situation des droits humains.
Le Conseil de sécurité de l’ONU doit voter sur le renouvellement du mandat de la MINURSO le 28 octobre 2020, soit trois jours avant son expiration. Celle-ci est l’une des seules missions modernes de maintien de la paix des Nations unies n’ayant pas de mandat relatif aux droits humains. Des atteintes à ces droits et des violences ont été commises par les deux camps – les autorités marocaines et le Front Polisario, mouvement indépendantiste – au cours des plus de 40 années de conflit autour de ce territoire.
Le 14 septembre, dans son Intervention sur la situation actuelle des droits de l’homme dans le monde, lors de la 45e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la haute-commissaire aux droits de l’homme a déclaré que le Hautcommissariat aux droits de l’homme des Nations unies continuait « de suivre la situation au Sahara occidental », où les dernières missions techniques remontent à cinq ans.
Absence de mécanisme indépendant de suivi des droits humains
L’accès des organisations indépendantes de défense des droits humains et des journalistes à la région reste restreint, ce qui a entravé le suivi des atteintes aux droits humains au Sahara occidental et dans les camps de réfugié·e·s de Tindouf, en Algérie. Les 25 et 28 février 2020, les autorités marocaines ont expulsé au moins neuf personnes à leur arrivée à l’aéroport de Laayoune, dont plusieurs députés espagnols et une avocate espagnole, qui devaient observer le procès d’un défenseur des droits humains (Khatri Dada, évoqué ci-dessous).
Les autorités marocaines, qui gèrent de facto le territoire situé à l’ouest de la berme, un mur de sable de 2 700 km qui sépare les zones du Sahara occidental contrôlées par le Maroc et le Polisario, affirment que le Conseil national des droits de l’homme du Maroc (CNDH) joue déjà un rôle dans la « protection des droits humains sur le territoire ».
Cependant, le président du CNDH et au moins 27 de ses membres sont nommés par le roi du Maroc, ce qui entrave son indépendance et son impartialité. De plus, le CNDH ne peut pas accéder aux camps de Tindouf.
Il faut sans attendre mettre sur pied un mécanisme totalement indépendant et impartial au sein de la mission de maintien de la paix de l’ONU, doté du mandat et des ressources lui permettant d’effectuer un suivi efficace et constant des atteintes aux droits humains commises au Sahara occidental et dans les camps de Tindouf, a déclaré Amnesty International le 21 octobre 2020.
Dans son rapport publié en septembre, le Secrétaire général des Nations unies a rappelé au Conseil de sécurité que dans sa résolution 2494 d’octobre 2019, il avait encouragé vivement à renforcer la coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), y compris en facilitant des visites dans la région. Le rapport note également que « [l]a surveillance des droits humains au Sahara occidental demeure fortement entravée par le manque d’accès du HCDH à ce territoire. Les défenseurs et défenseuses des droits humains, les chercheurs et chercheuses, les avocats et avocates et les représentantes et représentants d’organisations non gouvernementales internationales continuent également de rencontrer des contraintes similaires ».
Atteintes aux droits humains et violences persistantes au Sahara occidental en 2020
Amnesty International continue de recenser les atteintes aux droits humains et violences commises au Sahara occidental. En janvier, la police marocaine a interdit un rassemblement dans les locaux de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme commises par l’État marocain (ASVDH) organisé en l’honneur d’Aminatou Haidar, défenseure des droits humains et lauréate du prix Nobel Alternatif de la paix 2019.
Le 4 mars 2020, à l’issue d’un procès inique, un tribunal de Laayoune a déclaré coupable et condamné à 20 ans d’emprisonnement le militant sahraoui de 21 ans Khatri Dada, en raison de son implication dans des actes de vandalisme, des accusations qu’il nie, et pour « outrage à fonctionnaires publics », au titre des articles 580-2 et 263-267 bis du Code pénal. Ces accusations sont liées aux événements du 19 avril 2017, dans la ville de Smara, où un véhicule de police avait été attaqué par un groupe de 15 personnes. Pendant son procès, Khatri Dada a affirmé qu’il n’était pas présent pendant ces événements et a déclaré au juge que les « aveux » utilisés contre lui à titre de preuve avaient été obtenus sous la contrainte pendant l’interrogatoire dont il avait fait l’objet après son arrestation pour une formalité administrative le 26 décembre 2019, plus de deux ans et demi après les faits. La condamnation du militant a été confirmée en appel le 12 mai 2020.
Le 15 mai, la police a arrêté Ibrahim Amrikli, un journaliste citoyen et militant des droits humains de la Fondation Nushatta, et l’a accusé de « violation de la loi relative à l’état d’urgence ». Il a été libéré sous caution après 48 heures et a déclaré à Amnesty International qu’il avait subi de mauvais traitements pendant sa détention. S’il est possible que l’urgence sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 justifie l’imposition par l’État de mesures restrictives, les circonstances de l’arrestation d’Ibrahim Amrikli, de son interrogatoire et de sa mise en accusation semblent indiquer qu’il a été pris pour cible en raison de son travail de journaliste engagé et de militant en faveur des droits humains. Sa prochaine audience est prévue le 16 novembre.
Le 17 juin, les autorités marocaines ont eu recours à une force excessive pour disperser un rassemblement de commémoration du 50e anniversaire des manifestations de Zmala contre l’occupation espagnole. Le rassemblement devait avoir lieu à 7 heures dans la rue Smara, à Laayoune, mais dès que 10 militantes sont arrivées, la police a commencé à les disperser. Une vidéo de cette dispersion montre au moins 20 policiers poussant, giflant et arrachant le voile des militantes Mina Baali et Salha Boutenguiza.
Le 1er juillet, des policiers de Laayoune ont maintenu arbitrairement en détention pendant au moins 10 heures Essabi Yahdih, fondateur d’Algargagrat Media, et l’ont interrogé sur ses activités journalistiques, alors qu’il s’était présenté au commissariat pour obtenir un certificat administratif.
Le 29 septembre, le procureur général du Roi près la Cour d’appel de Laayoune a annoncé qu’une enquête avait été ouverte sur l’Instance sahraouie contre l’occupation marocaine, une association fondée neuf jours auparavant et appelant à la « défense des droits de la population sahraouie à la liberté, à l’indépendance et à la dignité par des moyens légitimes pacifiques ». Le même jour, la police a interdit une réunion des membres de l’association. D’après ses trois fondatrices, Aminatou Haidar, Mina Baali et Elghalia Djimi, des véhicules de police sont restés garés devant leur domicile du 30 septembre au 7 ou au 8 octobre, pour empêcher tout nouveau rassemblement et les intimider. Les militantes ont déclaré à Amnesty
que, tout au long de l’année, leur domicile avait été surveillé, que des véhicules de police, banalisés ou non, avaient été régulièrement stationnés devant chez elles et que des policiers en civils les avaient suivies, elles et leur famille, dès qu’elles sortaient.
Les autorités marocaines maintiennent toujours 19 hommes sahraouis en prison dans des lieux éloignés de leur domicile, ce qui empêche leur famille de leur rendre visite régulièrement. Ces hommes avaient été condamnés en 2013 et 2017 à l’issue de procès iniques entachés par l’absence d’enquête adéquate sur les allégations de torture des accusés. Ils avaient été déclarés responsables de la mort de 11 membres des forces de sécurité tués lors d’affrontements intervenus en 2010, lorsque ces forces avaient démantelé un grand camp de protestation à Gdim Izik, au Sahara occidental.
Situation opaque dans les camps de Tindouf, contrôlés par le Front Polisario
Un suivi permanent de l’ONU en matière de droits humains est également nécessaire dans les camps de Tindouf, où l’accès aux informations concernant la situation sur le terrain est limité, exposant les habitant·e·s au risque d’atteintes aux droits humains et les privant de recours pour amener les responsables à rendre des comptes. Le Front Polisario n’a pris aucune mesure pour mettre fin à l’impunité dont bénéficient les responsables des atteintes aux droits humains commises dans les camps qu’il contrôle.
Le 8 août, la police des camps du Front Polisario à Tindouf a maintenu le journaliste citoyen Mahmoud Zeidan en détention pendant 24 heures et l’a interrogé sur des publications sur Internet dans lesquelles il critiquait la manière dont les autorités géraient la répartition de l’aide liée au COVID-19.
Complément d’information
Le Sahara occidental fait l’objet d’une querelle territoriale entre le Maroc, qui a annexé ce territoire en 1975 et revendique sa souveraineté sur celui-ci, et le Front populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario), qui appelle à la création d’un État indépendant et a établi un gouvernement autoproclamé, en exil dans les camps de réfugié·e·s de Tindouf (sud-ouest de l’Algérie). Un accord conclu aux Nations unies en 1991, qui a mis fin aux affrontements entre le Maroc et le Front Polisario, requiert l’organisation d’un référendum afin que le peuple du Sahara occidental puisse exercer son droit à l’autodétermination, en choisissant l’indépendance ou l’intégration au Maroc. Le référendum ne s’est pas encore tenu, du fait de désaccords persistants sur le processus visant à déterminer qui est habilité à voter dans le cadre de cette consultation.
La Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) a été établie en 1991 pour intervenir dans le territoire annexé par le Maroc en 1975, ainsi que dans les camps de réfugié·e·s sahraouis situés à Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie. Depuis lors, son mandat l’engage à veiller au respect du cessez-le-feu entre les forces armées marocaines et le Front Polisario, et à mettre sur pied un référendum afin de déterminer le statut définitif du Sahara occidental.
Le 23 mai 2019, l’ancien président allemand Horst Köhler a démissionné de ses fonctions d’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental. Il n’a pas encore été remplacé.
Le 22 janvier 2020, la Chambre des Représentants du Royaume du Maroc a adopté deux lois ajoutant une partie des eaux territoriales du territoire non autonome du Sahara occidental à son domaine maritime.
Source : Amnesty International, 22 oct 2020
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