Maroc, DGED, services secrets, espionnage, Yassine Mansouri
Si les services de Sa Majesté la Reine Elisabeth II ont toujours fasciné le public, du moins sur les écrans du cinéma et de la TV, ceux du roi du Maroc Mohammed VI ont été plutôt médiocres. En raison de leur manque de professionnalisme, les espions de Mohammed VI sont vite découverts, dénoncés et expulsés.
Sous couvert de diplomates, ils agissent au sein de la communauté marocaine résidente en Europe en vue de guêter tout mouvement ou activité d’opposition au régime autocrate de la monarchie alaouite. Ce qui est vu par les autorités du pays d’accueil comme une immixtion dans leurs affaires internes.
Ainsi, le gouvernement hollandais a procédé en 2008 à l’expulsion de deux fonctionnaires de l’ambassade du Maroc aux Pays Bas. Selon une dépêche publiée par Le Monde du 20/09/2008, « un fonctionnaire de police a été suspendu de ses fonctions à Rotterdam après avoir, apparemment, livré des informations confidentielles sur des personnes d’origine marocaine domiciliées aux Pays-Bas ».
Selon des médias locaux néerlandais, d’autres fonctionnaires de police ont affirmé avoir été également approchés par les “services” marocains. C’est le cas de Fouad El Haji, ancien député et conseiller municipal à Rotterdam. Ce dernier a déclaré que « des parlementaires et des élus locaux sont régulièrement contactés dans le même sens et que certains auraient même accepté l’offre”.
En Allemagne, Mohamed Baghdad, un germano-marocain de 56 ans a été arrêté et jugé à Berlin en février 2012 pour des actes d’espionnage contre la communauté sahraouie en Allemagne.
En Espagne, les activités des agents de la DGED sont connues. En 2013, le CNI, le service de renseignement espagnol a expulsé Noureddin Ziani, un ressortissant marocain qui était utilisée par le parti nationaliste catalan CDC pour mobiliser la communauté marocaine en faveur de la cause indépendentiste de la région de Catalogne. Selon des déclarations du chef du CNI, Felix Roldan, Ziani est « un collaborateur important d’un service de renseignement étranger depuis 2000 » en allusion à la DGED marocaine.
Dans le but de contrôler les mouvements des opposants marocains, la DGED a acquéri chez la société italienne Hacking Team et la néo-zélandaise Endace ainsi que de la française Amesys des logiciels d’espionnage qu’elle utilisera aussi pour espionner le Secrétariat de l’ONU, notamment dans la question du Sahara Occidental.
L’accusation émane de l’ancien SG de l’ONU, Ban Ki-moon. Dans son rapport d’avril 2012, accuse le Maroc de compliquer la tâche de la MINURSO et de l’espionner. « Il semble également que la confidentialité des communications entre le quartier général de la Minurso et New York ait été compromise occasionnellement », signale le rapport.
Plus recent encore, le scandale éclaté suite aux révélations faites par les ONG Forbidden Stories et Amnesty International. Avec le logiciel espion israélien, la DGED a espionné des journalistes, des personnalités françaises et algériennes, y compris le président français Emmanuel Macron. Une affaire qui a mis en cause les relations très étroites entre l’Elysée et Rabat.
Ignacio Cembrero, ancien correspondant du journal espagnol El País et grand connaisseur du Maghreb en parle dans cet article mis en ligne le 16 décembre 2012:
A la recherche de l’espion marocain
Le service secret de Mohamed VI est, après le Russe, celui qui perd le plus d’agents sur le Vieux Continent Yassin Mansouri, condisciple du roi, le dirige depuis 2005
Bagdad A., Marocain, 59 ans, a circulé librement au sein de l’immigration maghrébine en Allemagne. Elle a recueilli « des informations sur les manifestations organisées par des groupes d’opposition », selon le parquet fédéral allemand. En 2007, il s’est offert aux services secrets de son pays, alléguant qu’il avait « un vaste réseau de contacts » au sein de la communauté marocaine. Ils l’ont embauché. Cinq ans plus tard, le 7 décembre, le parquet de Karlsruhe l’inculpe « d’activités pour le compte de services secrets étrangers ».
Bagdad A. est le quatrième Marocain arrêté pour espionnage en Allemagne depuis 2011. Tous se consacraient à rendre compte des activités de leurs 230 000 compatriotes qui y résidaient, sauf Mohamed B., 56 ans, arrêté en février à Berlin, et qui se consacrait à surveiller les membres du Front Polisario. Il l’a facturé 22 800 euros, selon le parquet.
De tous les agents marocains tués ces dernières années en Europe, celui qui a fait le plus de bruit était, en 2008, Redouane Lemhaouli, 42 ans, un policier d’origine marocaine qui avait accès aux bases de données du ministère de l’Intérieur des Pays-Bas. . De là, il a obtenu des informations sur « des actions contre le roi du Maroc », du « terrorisme » et du « trafic d’armes », pour les communiquer aux espions qui, sous couverture diplomatique, l’avaient recruté.
L’affaire de Re, le surnom que ses collègues avaient donné au policier, a été celle qui a eu le plus de retentissement car l’agent est venu côtoyer la princesse Máxima, épouse du prince Orange, et avec un membre du gouvernement néerlandais. Il s’est assis à côté d’elle, au premier rang, lors d’une cérémonie au cours de laquelle 57 enfants immigrés, dont beaucoup d’origine marocaine, ont reçu des diplômes leur permettant de travailler comme personnel au sol à l’aéroport de Rotterdam. Rê les avait formés.
Des mois plus tard, le policier a été expulsé de la force et condamné à 240 heures de travail social. Le ministre néerlandais des Affaires étrangères de l’époque, Maxime Verhagen, a envoyé une lettre aux députés déplorant « l’intervention de secteurs ou de services pour influencer les citoyens d’origine marocaine ».
« Les agents marocains trébuchent dans le nord de l’Europe, mais circulent plus librement dans le sud de l’Europe »
Au total, depuis 2008, il y a eu 10 arrestations et poursuites d’agents ou expulsions de diplomates marocains en Europe – la Mauritanie a également expulsé un onzième confident l’année dernière – un nombre seulement dépassé par la Russie, qui au cours des cinq dernières années a perdu 31 espions dans l’Ancien Continent.
Les 11 agents marocains travaillaient pour la Direction générale des études et de la documentation (DGED), le service d’espionnage étranger de Yassin Mansouri, 50 ans, le premier civil à le diriger. C’est le seul service de renseignement qui dépend formellement du palais royal du Maroc et qui est devenu quelque chose de plus qu’un service secret. C’est un instrument de la diplomatie marocaine. La personnalité de son patron l’explique.
Mansouri fait partie du cercle des proches collaborateurs du roi Mohamed VI, avec qui il a étudié au collège royal. Il est également le seul parmi les intimes du monarque à ne pas avoir été touché par un scandale économique ou politique.
« Votre voyage dans le désert »
Sa loyauté envers le futur roi lui a même valu, en 1997, d’être écarté du poste qu’il occupait au ministère de l’Intérieur par son propriétaire, Driss Basri. Il soupçonnait qu’il l’espionnait pour le compte du prince héritier, qu’il surveillait pour le compte de son père, Hassan II. Mansouri était cependant le seul des jeunes amis du prince que Basri aimait. Il a vanté sa capacité à travailler avant Hassan II et le roi l’a envoyé aux États-Unis en 1992 pour former le FBI.
Né à Beejad, dans le centre du pays, fils d’un Alem (sage de l’islam), Mansouri a reçu une éducation religieuse, quelque peu contrariée par les amis de gauche de son frère, jusqu’à ce qu’on lui propose une place à l’école royale. Aujourd’hui encore, il reste un homme pieux qui essaie de prier souvent, qui ne boit pas d’alcool, ne fume pas et ne se vante pas.
Son périple dans le désert s’achève après l’intronisation de Mohamed VI, qui le nomme en 1999 directeur de la MAP, l’agence de presse officielle, d’où il revient en 2003, cette fois par la grande porte, vers l’Intérieur. Pendant deux ans, il a été à la tête de la plus importante direction générale du ministère dont Basri avait déjà été expulsé. De là, il a fait le saut vers l’espionnage et la diplomatie discrète.
Mansouri faisait par exemple partie de la délégation marocaine qui s’est rendue à New York en 2007 pour présenter l’offre d’autonomie pour le Sahara au secrétaire général de l’ONU ; Il s’est assis à plusieurs reprises pour négocier avec le Polisario et a secrètement rencontré à Paris en 2007 la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livn. En 2008, il reçoit à Rabat le sous-secrétaire d’État américain, David Welsh, à qui il fait part de son inquiétude face à la fragilité du régime tunisien et à la « cupidité » de son dictateur Ben Ali, comme le révéleront plus tard les câbles de Wikileaks. Trois ans plus tard, Ben Ali est renversé. Mansouri était l’un des rares à avoir eu raison dans ses prévisions sur la Tunisie.
La DGED se consacre, depuis sa création en 1973, à la surveillance des ennemis exilés de la monarchie alaouite, autrefois de gauche et désormais plus islamistes, et des indépendantistes sahraouis. Mais comme l’émigration marocaine s’est développée, il s’efforce aussi de l’encadrer pour que l’extrémisme ne germe pas en elle, pour qu’elle soit loyale au trône.
En Espagne, le Maroc a développé « une stratégie de grande ampleur », indiquait en mai 2011 un rapport du Centre national de renseignement (CNI) transmis par son directeur, le général Félix Sanz, à trois ministres. « Leur objectif est d’étendre leur influence et d’accroître leur contrôle sur les colonies marocaines en utilisant l’excuse de la religion », a-t-il ajouté. Cette tutelle s’exerce, selon la CNI, « par l’intermédiaire de son ambassade et de ses consulats (…), des personnels assimilés », c’est-à-dire des agents de la DGED sous couverture diplomatique et des confidents recrutés sur le terrain. Collabore également la Fondation Hassan II, présidée par la princesse Lalla Meryem, sœur de Mohamed VI, dont le budget n’est pas soumis au contrôle du Parlement.
Preuve de l’intérêt de la DGED pour la religion, l’intervention de Mansouri, en novembre 2008, devant un large groupe d’imams espagnols et italiens, invités à Marrakech par le ministère des Affaires islamiques. Un an plus tôt, Mansouri s’est rendu à Majorque pour rencontrer ce qui était alors son homologue espagnol, Alberto Saiz, et l’a averti qu’il « jouait avec le feu » en favorisant la montée du tablig, un courant islamique d’origine indienne, à Ceuta. au détriment de l’islam malékite qui prévaut au Maroc.
Peut-être est-ce parce qu’ils veulent éviter les tensions avec Rabat ou parce qu’ils ont davantage besoin de sa coopération dans la lutte contre le terrorisme —la DGED a aidé le CNI à résoudre l’enlèvement par Al-Qaïda, au Mali, de trois volontaires catalans—, la vérité est que les pays du sud de l’Europe comme l’Espagne, la France et l’Italie, ceux dans lesquels il y a le plus d’immigration marocaine, n’expulsent ni ne détiennent les agents marocains. « Oui, ils se produisent, mais ils ne transcendent pas », précise un ancien collaborateur du CNI qui a travaillé au Maghreb.
En 2010, Rabat a expulsé trois agents espagnols, sous couverture diplomatique, en poste au Maroc, mais au cours du dernier quart de siècle, un seul complot d’espionnage marocain en Espagne a éclaté : l’infiltration d’une taupe aux Affaires étrangères, en 1990, qui a obtenu un rapport sur la conversation entre le ministre, alors Francisco Fernández Ordóñez, et un responsable du Front Polisario.
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