Espoir et craintes chez les Sahraouis

L’élection d’Antonio Guterres en tant que neuvième secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a enthousiasmé de très nombreux diplomates et observateurs dans le monde. Ces derniers voient en lui un homme politique expérimenté capable de surmonter les divisions qui minent l’ONU et relancer son action à l’échelle mondiale, notamment pour la résolution des conflits.
Les Sahraouis, pour leur part, sont encore au stade du bilan du secrétaire général Ban Ki-moon qui achève son deuxième et dernier mandat le 31 décembre prochain «Au début, les Nations unies ignoraient presque le dossier du Sahara occidental. Mais au fil du temps, l’organisation a fini par comprendre que le Maroc est une puissance occupante et que nous sommes un peuple colonisé», a dit dans une déclaration à Reporters Ahmed Baba Dahi, membre du parlement sahraoui. Une façon pour lui d’évaluer le parcours de Ban Ki-moon à la tête de l’ONU et l’importance qu’il a accordée à la question sahraouie. Il salue le courage du Sud-Coréen, mais regrette aussi le fait qu’il n’ait qualifié l’existence du Maroc sur le territoire sahraoui comme «occupation» qu’à «la fin de son mandat». Il estime même qu’au fond, Ban Ki-moon «n’a rien dit de nouveau, sauf de rappeler la réalité des faits dans les territoires sahraouis». Il rappelle qu’avant Ban Ki-moon, «Boutros Ghali en 1994 avait appelé au parachèvement du processus de décolonisation». 
Si M. Ban a dit la stricte vérité en utilisant le terme «occupation» à propos de la domination du Maroc au Sahara occidental, les Sahraouis restent, dit-il, sur un «immense sentiment de frustration» et de «trahison» par la communauté internationale. 
« On attend depuis plus de 25 ans l’organisation d’un référendum d’autodétermination depuis l’accord du cessez-le-feu de 1991. L’ONU et la Minurso n’ont pas pu accomplir leur mission au Sahara occidental. Nous sommes un peuple déçu, frustré, mais déterminé à défendre notre indépendance », ajoutera le responsable sahraoui. « L’option du retour aux armes n’a jamais été exclue », affirme-t-il. « On ne fait pas l’apologie de la guerre, mais s’il s’avère que la lutte armée est l’ultime choix pour recouvrer l’indépendance à nos territoires, on n’hésitera pas à prendre les armes d’autant que nous avons des institutions militaires modernes», dit pour sa part Abdallah Hmayen, député sahraoui, au point de vue plus nuancé sur le bilan du secrétaire général de l’ONU sortant : « Ban Ki-moon avait des positions plus avancées par rapport aux autres SG de l’ONU. Il a essayé de faire ramener le Maroc à la légitimité internationale par des déclarations sans équivoque », dira-t-il.
Confiance en la personne de Guterres… mais pas de l’ONU
Pour Salma Beirouk, vice-présidente du Parlement africain, « toute la question est de savoir si ce vocabulaire restera de mise face au Maroc qui ne veut pas respecter la légitimité internationale ». A ses yeux, comme pour beaucoup de responsables sahraouis, l’ONU « n’est pas très efficace. Elle n’a rien fait contre le Maroc, et rien fait non plus pour les Sahraouis ». Quid alors de l’élection d’Antonio Guterres comme SG de l’ONU? Entre l’espoir qu’il fera avancer le dossier et la certitude qu’il aura en face de lui non pas des principes, mais des intérêts qui vont s’exprimer, l’attitude est à la prudence. Il était à la tête de l’UNHCR et que c’est ainsi qu’il a connu le dossier sahraoui et les camps de réfugiés de Tindouf, rappellent certains. « On ne peut juger Guterres avant qu’il prenne ses fonctions officiellement à la tête de l’ONU. Ce que je peux confirmer, c’est qu’il est un bon connaisseur du dossier sahraoui. C’est un homme qui a des principes, mais cela ne va pas l’épargner de subir des pressions de certaines parties », relève Ahmed Baba Dahi. 
Dans ce contexte, il se rappelle avec amertume d’une ancienne militante politique du PP, parti espagnol, qui participait aux côtés des Sahraouis à des manifestations et sit-in à Madrid en signe de solidarité avec notre cause. « Mais, quand elle a été nommée ministre, elle nous a tourné le dos », regrette le parlementaire sahraoui. « Malheureusement, les droits de l’Homme sont sujets aux caprices des grandes puissances. Toutefois, on essaye de positiver et de rester optimistes », poursuit Baba Dahi. « L’ONU est bâti sur des intérêts et non sur des principes. Sur des rapports de force et non de droit », déplore pour sa part Abdallah Hmayen qui estime que les principes sur lesquels est bâti l’ONU sont injustes, « elle préserve les intérêts des grandes puissances et délaisse les peuples opprimés », indiquant que ce sont notamment les jeunes à « ressentir la trahison onusienne ».
Pour sa part, Mme. Beirouk souhaite que « le Maroc n’essayera pas de corrompre ou de soudoyer Guterres ». « J’espère que Guterres suivra les pas de Ban Ki-moon et aura le courage et l’audace de faire respecter au Maroc les différentes résolutions onusiennes et le droits des peuples à l’autodétermination». A ses yeux, la situation est « propice» pour régler le conflit sahraoui. « Le tribunal de l’Union européenne avait annulé les accords agricoles du Maroc avec l’UE et conclu aussi que le Sahara occidental n’est pas un territoire marocain lorsqu’il a parlé du pillage des ressources sahraouies ; une reconnaissance implicite que le Maroc est un occupant », a-t-elle renchéri. A mon avis, ajoute Mme Beirouk, « le nouveau SG de l’ONU a toutes les données pour lui faciliter la tâche et amener le Maroc à respecter la légitimité internationale ». Contrairement à ces deux compatriotes, elle est plus confiante et enthousiaste, car « la solution est connue, elle est là. Ce qui manque, c’est de convaincre l’occupant de l’inéluctabilité de notre droit à l’autodétermination ». 

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