Fiasco dans le désert malien

Opération militaire conjointe franco-mauritanienne dans la zone sahélo-saharienne : Fiasco dans le désert malien
Une opération militaire mauritanienne avec la participation de troupes françaises qui vire à la catastrophe et nous voilà en plein dans le débat sur la gestion de la sécurité dans la zone sahélo-saharienne.
Al Qaida au Maghreb Islamique, du moins un enregistrement de personnes se présentant de cette organisation, annonce l’exécution de l’otage français Michel Germaneau. Celui-là même pour lequel les militaires français ont participé à l’opération menée dans le désert malien à quelque 150 km au nord-ouest du Mali. Mais ce n’est pas la seule conséquence de cette action ; l’implication de la France dans l’opération pourrait occasionner une augmentation de l’activité des groupes armés dans cette région. La presse citant des sources proches des services de sécurité algériens rappelle justement cette évident enchaînement. Le raid mené jeudi dans le désert malien visait à libérer Michel Germaneau kidnappé depuis il y a un peu plus de quatre mois au Niger. Une trentaine de soldats français ont participé à l’opération menée en territoire malien. L’opération a été un fiasco puisque l’otage n’a pas été libéré, pire il est annoncé pour mort,et le chef de la faction la plus active dans cette région de l’AQMI Abdelhamid Abou Zeid n’a pas été éliminé ou capturé. On annonce toutefois que sept islamistes armés ont été éliminés dans cette opération. Mais plus que jamais, le raid tient du «secouage gratuit de la ruche». Plus que jamais donc, la région doit être surveillée de près.
Sous haute surveillance
La région sahélo-saharienne, dont on a évoqué le sujet à chaque occasion dans ces mêmes colonnes, est devenue un point focal, une zone d’enjeux fondamentaux et si on devait s’en convaincre, il suffirait de relire ce que Janet Sanderson, ancienne ambassadrice US à Alger, actuellement sous-secrétaire d’Etat adjointe chargée du Maghreb et du Proche-Orient à ce propos. Dans un entretien au journal arabophone paraissant à Londres El Hayet, elle indique que les Etats-Unis sont prêts à soutenir l’Algérie et les autres pays du Sahel engagés dans la lutte contre l’organisation d’Al-Qaida au Maghreb Islamique, tout en rappelant que ces pays veulent mener leurs actions sans assistance étrangère. Pour Janet Sanderson, «il semble que les algériens de par leurs efforts tout au long des années écoulées, les douloureux sacrifices consentis et les difficultés auxquelles ils ont dû faire face ont réussi à lutter efficacement contre le problème du terrorisme dans leur pays. «Nous avons un programme de lutte antiterroriste dans la région du sahel (Transsahel). A travers ce programme, les contacts avec le commandement militaire américain pour l’Afrique (Afrikom), et les efforts de nos ambassades dans la région, nous tentons d’offrir notre soutien à ces pays dans leur lutte contre l’AQMI. Mais ils souhaitent mener cette mission eux-mêmes, et pour être franche, ils font un excellent travail avec à leur tête l’Algérie», a ajouté Sanderson. Pour la diplomate américaine, l’Algérie fait du «bon travail» même si l’Algérie indique clairement refuser toute ingérence même sous couvert d’aide ou de soutien en matière de lutte antiterroriste.
Faut-il s’en réjouir ? Sanderson n’est pas la première à féliciter l’Algérie dans son action en matière de lutte antiterroriste et de sécurité dans la région sahélo-saharienne. Cela est d’autant plus intéressant que toutes les puissances occidentales veulent mettre un pied dans cette région et que justement les bons résultats obtenus par l’Algérie ne justifient en aucune manière cette présence. Cela est encore plus vrai quand on sait que la volonté supposée ou réelle des américains à vouloir contrôler le Sahara au nom de la préservation de la sécurité a été clairement affichée en mars 2006 au moment où était organisée une réunion à Alger au sujet de l’Africom. La souveraineté des États, tous indépendants au début de la seconde moitié du vingtième siècle, n’étant pas négociable du moins en principe, on évoque également la spécificité de la région et on lit en filigrane les errements de l’ingérence étrangère quand on voit ce qui est advenu de l’Irak. Dans la région sahélo-saharienne, les populations nomades, les relations familiales inter-ethniques, les us et coutumes, l’identité saharienne de ces gens du sud qui font de leur libre circulation un fondement de leur identité interdisent pratiquement totalement les approches draconiennes occidentales. Des soucis très africains dans une région où la frontière n’a qu’une existence juridique ou politique difficilement vérifiable physiquement ou ethniquement.
Un nouvel Afghanistan ?
Au même moment, les informations en provenance de la région sahélo-saharienne n’ont rien de rassurant. La région connaît une présence remarquée d’organisations humanitaires occidentales. Récemment, des volontaires américains ont quitté précipitamment les villages du Yatenga, dans le nord du Burkina Faso après avoir su que des islamistes préparaient des incursions dans la région. Faut-il voir la région et sa proche banlieue géographique devenir une zone dangereuse interdite d’accès aux étrangers ? Ce n’est pas sûr, mais de toute évidence, l’absence d’actions précises et efficaces tendant au moins à réduire de la présence et de la capacité de nuisance de ce qui se fait appeler l’AQMI a facilité l’ancrage de ce groupe dans cette région quitte à en faire une zone de non-droit. Mais en faire une zone de guerre n’est pas non plus la meilleure solution. En avril dernier, l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie ont uni leurs forces sous la férule d’un nouveau commandement militaire installé dans la ville algérienne de Tamanrasset. La création officielle d’un comité d’état-major opérationnel conjoint a permis de donner corps à la volonté politique affichée des Etats et concrétiser les décisions dans un domaine où il est difficile en général de mettre ses billes ensemble. Au bout du compte, l’incapacité supposée des pays du Sud à coopérer dans un domaine aussi sensible que celui de la sécurité, qui permet aux puissances étrangères de dicter leurs manières de voir ou d’imposer leur point de vue à coups d’exercices d’interopérabilité et de coopération aux allures de missions quasi humanitaires devient injustifiable. Les chefs d’état-major militaires des pays du Sahel-Sahara de l’Algérie, du Mali, du Niger, de Mauritanie, de Libye, du Tchad et du Burkina Faso ont décidé de mettre en place un centre de renseignements conjoint à Tamanrasset et poursuivre leurs efforts de contrôle commun des frontières.
On en arrive à donner un nom à tout ce déploiement d’énergies : «Plan Tamanrasset». Un plan qui pour les responsables des questions de sécurité en l’Algérie, au Mali, au Niger et en Mauritanie permet de coordonner leurs efforts de collecte de renseignements dans le cadre d’une campagne de lutte contre le terrorisme, le crime organisé, la contrebande d’armes et les enlèvements. Le plan va permettre d’organiser des patrouilles militaires dans les zones frontalières communes à surveiller et contrôler les mouvements des groupes terroristes. Concrètement, un tel plan constitue une riposte à même d’affronter les groupes terroristes actifs à travers les frontières de ces pays, et déranger les connexions qui existent entre ces groupes et les bandes armées spécialisées dans le crime organisé, le trafic d’armes et de drogue. C’est également une action multilatérale transfrontalière, à l’image de la menace existant dans cette région. Le simple fait de permettre aux forces régulières des pays concernés de passer la frontière en cas de poursuite qui ne s’arrête pas au niveau de leur frontière est déjà une avancée notable. Dans le cadre de ce même plan, l’Algérie pourrait prêter main-forte en matière de formation des agents des autres pays (Mauritanie, Mali, Niger) compte tenu de l’expérience des organismes de sécurité algériens en matière de lutte contre le terrorisme. Une capacité d’organisation et de coordination qui contrecarre la menace terroriste et éloigne le spectre de l’ingérence au nom de la sécurité. Et puis une coopération militaire fondée sur la compréhension de la région est certainement plus utile et efficace que n’importe quelle armada étrangère déployée à grands frais.
Par Amine Esseghir 
Les Débats, 27/7/2010

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