La vanité de «la Coloniale» parade aux Champs-Elysées

Cinquante ans après les indépendances africaines, Paris déroule le spectacle de la Françafrique
La vanité de «la Coloniale» parade aux Champs-Elysées

15-07-2010

Par Mohamed Bouhamidi
1-De la notion d’amitié néocoloniale : Il est convenu, en francophonie, de situer en l’année 1960 les «indépendances africaines».

Il ne s’agit pas que d’un abus de langage ou d’une imprécision historique. L’expression désigne un processus par lequel l’Etat colonial français organisait littéralement «l’accession à l’indépendance» de ses colonies subsahariennes. La guerre d’indépendance engagée par les Algériens avait accentué la pression sur l’Etat colonial français. Il devait lâcher du lest ailleurs pour mieux tenir ici. Mieux tenir ici, c’était, depuis Tocqueville, un point de doctrine pour la grandeur française. Tous les vrais et tous les supposés stratèges français s’accordaient sur ce point que l’Algérie était essentielle aux ambitions françaises de puissance. Partout ailleurs, la France pouvait lâcher du lest mais pas en Algérie. Depuis, le tableau a gagné en nuances. Dès 1958 et les bases de l’Union française, l’Etat français avait programmé les indépendances sous contrôle. L’ossature de l’empire colonial français s’appelait «la Coloniale». D’abord, armée de seconde zone pour aventuriers en mal d’exotisme ou de pouvoir loin des regards indiscrets, «la Coloniale» est progressivement devenue la colonne vertébrale de la puissance française. Sa profondeur stratégique face à tous les aléas de la guerre, allant de la défaite imprévue sur le sol européen au besoin d’une base de reconquête, le tout dominé par la «menace soviétique». Comprenez la
menace pourtant très virtuelle de l’Armée rouge mais surtout la menace d’une révolution «rouge». «La Coloniale» avait déjà frappé le prolétariat parisien tout au long du XIXème siècle et particulièrement la Commune de Paris en 1871 par Cavaignac et consorts interposés. L’histoire peut vous livrer de ces prémonitions ! De cette situation, la Seconde Guerre mondiale en fut une belle illustration quand les Forces françaises libres se sont constituées autour de De Gaulle et à partir des territoires coloniaux. Mais, on peut s’en douter avec ce nom, «la Coloniale» était aussi une armée des indigènes. Chasseurs indigènes, spahis, tirailleurs, tabors ou sous d’autres appellations, ces coloniaux d’Algérie, du Maroc, du Sénégal, de Tunisie, du Burkina et d’ailleurs ont foulé la France pour aller au casse-pipe de la Première Guerre mondiale. Ils fournirent les premiers contingents de l’«émigration choisie». Il fallait à l’Etat français des costauds, durs à la discipline, des hommes qui ne bronchent pas sous les obus ou en montant à l’assaut. Il les a pris dans les colonies. Rebelote pour la Seconde Guerre mondiale. Là ils furent choisis et même triés sur le volet. Avant, pendant et après la guerre. A la moindre protestation, l’Etat français passaient les mutins par les armes. Pas seulement après la guerre avec les tirailleurs sénégalais du camp de Tiyaoré de décembre 1944 mais aussi pendant avec le massacre des tirailleurs algériens de Maison-Carrée en janvier 1941. Les tirailleurs sénégalais réclamaient juste leur solde et n’avaient pas de munitions. Ils moururent pour l’exemple. Les 800 tirailleurs algériens protestaient contre les discriminations de leur colonel, devenues intolérables quand il les a intensifiées le vendredi, jour de la prière collective. Ils laissèrent entre deux cents et trois cents morts et leurs officiers indigènes, au nombre de trente-sept, furent ensuite exécutés.
Les discriminations dans «la Coloniale» étaient monnaie courante. On ne pouvait traiter les indigènes comme les Français. Le racisme était une réalité quotidienne. Terrible. Mais c’était aussi la meilleure épreuve et la meilleure preuve d’intégration des indigènes dans le moule colonial. Il fallait même cet excès pour s’assurer que le sous-officier et surtout l’officier indigène ont été dressés à l’acceptation de la supériorité du maître blanc. Vous vous êtes intéressés au dressage des chiens et comment on les prépare à accepter l’autorité absolue de leurs maîtres et leurs conditions d’inférieurs ? Intéressez-vous ! C’est saisissant pour comprendre les processus qui ont amené des milliers de soldats et d’officiers à intérioriser si profondément la grandeur du Blanc en général et de l’officier français en particulier. Le soldat indigène devient carrément un Blanc plus blanc que le colon. Quelques-uns d’entre nous se souviennent peut-être des anciens combattants de la Première Guerre mondiale. Dans les limites de mon expérience personnelle, l’écrasante majorité pour ne pas dire tous ces anciens combattants de la Première Guerre mondiale, tous fiers de leurs décorations, prenaient les hommes du 1er Novembre pour des insensés. Pouvaient-ils imaginer affronter la France et ses canons ? Curieusement, ou peut-être logiquement, ils focalisaient sur les canons qui étaient l’arme de destruction par excellence pour ces anciens des tranchées. Et curieusement, ils gardaient une image d’invincibilité de Pétain. Ils glorifiaient plus les canons de Pétain que les armes de la France.
La question reste fascinante de savoir comment se déroule le processus qui fait d’un soldat ou d’un officier de «la Coloniale» un supplétif à vie de l’Armée française. La lecture de Fanon reste évidemment essentielle pour comprendre. Elle reste aussi essentielle pour ce qu’il a pu développer comme analyse sur ces indépendances africaines qu’il a observées en cours d’accouchement. Ses prémonitions sont terribles et sa lucidité effrayante à examiner les prémices d’une inexorable mise en place du néocolonialisme. Il faudrait peut-être y ajouter cette fonction d’expulsion ou de dressage jouée par le racisme et la discrimination. Nul ne peut y résister s’il n’a pas intériorisé pour la vie la condition d’esclave doré, mais d’esclave. Tous ceux parmi les officiers qui auraient conservé encore quelque once ou quelque soupçon de dignité finissent par se trahir ou par se révolter. Notre culture populaire en a gardé une sagesse : «Arabe, tu resteras arabe, même si tu es le colonel Bendaoud !» Mais l’analyse fanonienne, même confortée par d’autres hypothèses, suffit-elle vraiment devant le cours qu’a pris l’histoire et qui fait que, cinquante après ces indépendances, la condition de vassales continuent de marquer les armées africaines ? Nous étions perplexes par la solidité des liens néocoloniaux nés de ces indépendances de l’année 1960. Même le Mali et la Guinée, qui ont vite cherché une vie africaine de l’indépendance réelle, ont fini par retomber sous la dépendance ouverte. En réalité, ces deux pays en dépendance réelle. Et le secret de cette dépendance réelle, c’est «la Coloniale». La Françafrique, c’est en réalité «la Coloniale». Ces Etats aux indépendances octroyées ont été encadrés par les officiers formés et promus dans le cadre de l’armée française et ces armées africaines ont continué ouvertement ou dans l’ombre des casernes à servir les intérêts de la France. Les présidents africains étaient et restent encadrés par des gardes dirigées par des officiers français qui ont le droit de les contacter à toutes les heures du jour ou de la nuit. Tout cela est codifié par des accords publics ou secrets. La présence militaire française au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Congo Brazza, etc. participe du maintien de cette coloniale de fait dans des détachements nationaux. En fait, ces armées sont les détachements nationaux de cette vieille armée coloniale. Et elle s’est symboliquement reconstituée dans le défilé de Paris en ce jour parlant du 14 juillet de la cinquantième année des indépendances.
Il faut se documenter, bien sûr, pour aller au plus loin de cette vanité de la reconstitution coloniale. Ces deux liens peuvent grandement vous y aider : «http://mondeenquestion.blogspot.com/2009/12/de-larmee-coloniale-larmee-neocoloniale.htm», «http://survie.org/billets-d-afrique/2009/185-novembre-2009/article/interview-de-raphael-granvaud»

2 – Les amitiés meurtrières : Beaucoup de discours ont chanté les amitiés franco-africaines. Les circonstances le veulent et les médias aussi. Il faut donner de la consistance à ces choses-là ! Sinon le cas rwandais créera du doute même si la présence militaire française dans les autres pays plaide pour ses «bienfaits». Faut-il croire à l’amitié de l’Etat français et plus particulièrement sous l’actuelle présidence ? Par hasard, quelques jours avant de chanter les amitiés françaises pour l’Afrique, une dépêche (le Figaro, 12 juil 11h37, via Yahoo) nous apprenait le déroulement de manœuvres franco-libanaises pour évacuer des ressortissants étrangers.
Ces manœuvres montrent bien que la France, déjà en accusation au Sud-Liban, a quelques infos de première main sur une agression israélienne.
Et plutôt dure, cette agression, pour envisager le rodage d’opérations d’évacuation des ressortissants étrangers.
Personne ne va croire que l’armée française cultive cet amour de l’art pour l’art au point de monter des manœuvres pour l’esthétique du geste. Or, Sarkozy, après avoir couvert l’agression israélienne sur le Liban en 2006, après avoir fait silence sur les violations quotidiennes par Israël des espaces maritime et aérien libanais, a fait le voyage au Liban avec toute la classe politique française pour exprimer son soutien au gouvernement libanais et ne cesse de se fendre de déclarations d’amitié pour Hariri. La France est l’amie du Liban. Et en cas de menace, que ferait un ami, un vrai, un authentique ami ? Il vous donnerait des armes, un ami. Il combattrait à vos côtés ou à défaut mobiliserait pour votre défense. Il ne se débinerait pas. Et au minimum exigerait de la FINUL qu’elle s’oppose à l’agresseur ou alors la FINUL n’est là que pour servir Israël.
Que fait la France de Sarkozy si prolixe en mots d’amour pour les Libanais ? Elle se prépare à trahir son «ami» le Liban en payant le moindre coût politique. Evacuer les Français éventuellement présents en terre libanaise pour faire de l’agitation-propagande et laisser les «amis libanais» recevoir seuls les bombes sur la tête. Drôle d’amitié mais nous fallait-il cette preuve supplémentaire qu’en politique, Israël reste le seul facteur acceptable pour juger de tout, même de l’amitié ?

La Tribune Online, 15/7/2010

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