Il a résumé l’état d’un Maroc en détresse dans une lettre d’amour et de respect.

صباح الخير، رسالة وصلتني غير موقعة، من شاب فقد الأمل في بلده، شكرا.
Cher Hamza ;
L’idée de t’écrire m’est venu le jour de ton anniversaire, mais j’avais tellement de choses à dire que j’ai décidé de le faire quand j’aurai plus de temps.
A chaque fois que j’ouvre mon compte Facebook, mon reflexe est de consulter ton profil. Lire tes nouveaux statuts, voire tes nouvelles photos avec ce grand sourire qu’on peine à te décrocher du visage.
J’admire ta façon de penser, ta manière de voir les choses, d’exprimer tes opinions, je vénère cet amour et cette joie de vivre que tu dégage dans chacun de tes actes.
C’est-à-dire que tu me fais de l’effet, et pas qu’un peu.
Je n’ai jamais autant ressenti ce besoin de trouver les mots qu’il faudrait, ceux qui correspondraient parfaitement à ce que je ressens pour toi. Au point de me demander s’ils existent réellement …
Si tu savais tout l’effort que je fais afin de ne pas « liker » toutes tes photos sur facebook.
J’ai appris à vivre en France, où j’ai atterri un peu par chance. J’y ai appris que consommer de l’alcool n’est pas réservé aux pourritures de la société, que découvrir de nouvelles cultures est plus intéressant que de rester sur sa défensive, et plus important même, j’y ai appris qu’aimer une personne du même pouvait étais possible.
J’étais heureux. Et pourtant, j’étais très banal comme personne. Des notes moyennes, quelque peu solitaire, pas trop de voyages et énormément de sexe, c’est-à-dire que je découvrais à peine ma vie sexuelle. Premier baiser, première fois, premier amour …
Je passais des samedi soir chez moi, avec verre de vin à la main, une clope aux lèvres et un bouquin dans l’autre main, et ça me suffisait.
A quatre heures du matin je me promenais avec cet air frais qui te caresse le visage et j’admirai seul, comme un fou, le lever du soleil. Mais ça me suffisait.
Et puis vint le printemps arabe et sa version marocaine, le 20 février. Je n’avais aucun lien avec la politique, je trouvais que le Maroc allais bien, on voyait souvent le roi inaugurait des projets par ci, des projets par là. Pour moi le Maroc allait bien, je n’avais donc aucune raison pour soutenir ces gens.
Et le temps passa, la presse parla avec des couv’ pas très élogieuses pour le Maroc, la télé quant à elle passa des images horribles d’une répression sauvage et sanglante à Casa, Sbata.
C’est là que j’ai commencé à me poser des questions, si ce mouvement avait tort, pourquoi le réprimer, laissez-les manifester tranquillement, ils finiront bien par s’en lasser. Mais non, fallait les frapper, fallait prouver que le régime avait peur. C’a m’a poussé à lire, j’ai commencé par des articles du Monde, de revues, avant de dépenser à la fnac une quarantaine d’euro sur des livres interdit (ou pas) au Maroc : Le pain nu, La prisonnière, Notre ami le roi, Mohamed 6 le grand malentendu. Le pamphlet de Gilles Perrault m’a dégoutté de la monarchie. J’avais tellement de rage, de colère envers mon pays, mon peuple, envers moi-même pour avoir dit et redit à mes amis et à qui bon voulait l’entendre que le Maroc allait bien.
C’est ainsi que j’ai rejoint le mouvement, ma première marche aura été à Paris, et depuis je n’ai cessé de défendre le mouvement et ses revendications, j’en parlais à longueur de journée. Même Abdellah Taia n’en échappera pas, quatre heures à le baratiner de politique dans un café, le pauvre …
Peu de temps après, je suis rentré au Maroc, tout me dégouttait, j’avais l’impression que tout me provoquait : cet administration public où 18 drapeaux flottaient avec 47 portraits du roi, parfois même de son père (hallucinant). Les noms des boulevards, des avenues, des rues … mais la meilleure restera certainement ces taxis décorés par des photos de la famille royales.
Ce qui était une évidence pour moi, c’est que j’allais participer aux manifestations, aux sit-in, j’arrivais même à convaincre des jeunes de rejoindre le mouvement. Mais on était de moins en moins nombreux, de plus en plus radicales. Les ingrédients pour une révolution, il y’en avais, il y’en a toujours, et beaucoup plus qu’en Tunisie ou en Egypte. Mais les tyrans tunisien et égyptien, malgré leurs dictatures affirmées, avaient bien éduqués leurs peuples.
Et c’est ainsi que j’en suis venue à la conclusion suivante : Il nous faut une révolution culturelle au Maroc avant d’espérer une révolution politique, il faudrait que les gens apprennent à penser par eux même, ne pas se laisser influencer par les médias, par les gens, par les mosquées, et ça, on en est loin, j’ai l’impression.
En attendant cette révolution, je souffre, je meurs à petit feu, je me désole sur la vie des marocains, sur leurs schizophrénie, je me referme sur moi-même, m’exclus sur société qui exclus mes idées et ma nature, me retrouve sans amis et soudainement avec pleins d’ennemis. J’avais décidé de supprimer ma date d’anniversaire sur facebook, pour voir si quelqu’un s’en rappellerais, ma tente est la seule personne qui m’a appelé, elle qui boude internet …
Ce n’est pas faute d’essayer mais je n’y arrive pas, c’est trop dur, vivre au Maroc, dans cette société profondément malade ou je ne me reconnais pas, je ne partage aucunes des valeurs patriarcales, archaïques, homophobes, racistes, sexistes. J’ai mal en mon pays, Je ne me sens pas marocain.
Personne à qui parler, personne à qui se confesser, personne pour m’accepter comme je suis (homo, de gauche, progressiste, agnostique), ça été dur à porter, encore plus dur qu’avant mon passage en France, parce qu’avant je me disais que je n’étais pas normal, qu’il fallait que je me fasse petit dans la société.
Ça n’allait nulle part, des problèmes familiaux un peu graves, mon exclusion de la société, mon repli sur moi-même, l’absence de vie amoureuse et sexuel, une chute libre dans l’université … j’avais perdu espoir en une vie digne de ce nom au Maroc, j’ai même pensé au pire, le spectre du suicide cognait sérieusement les portes de mon esprit, mais ça aurait fait trop de mal à ma mère..
Je t’ai aperçu deux fois, la première dans le deuxième anniversaire du M20 à Casa, (t’es tellement grand) et la deuxième fois dans un train de casa. J’étais plongé dans un livre de Sartre et je ne t’avais aperçu qu’une fois arrivé à la gare.
J’ai tellement envie de te parler tu sais, mais ça sortirais du logique, du rationnel.
« J’ai peur de passer ma vie dans une boule de rêve et que la mort vienne me chercher sans que j’ai le temps de me réveiller »
C’est en lisant ces mots de Sartre que je me suis décidé à t’envoyer ces quelques mots et dans une plus grande mesure de reprendre ma vie en main, d’en être l’acteur
Lettre d’un admirateur de Hamza Mahfoud, Hamza est philosophe militant au Mouvement du 20 Février Rabat

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