Par Benyassari
Les deux parties de la soirée cinéma du 2 juin 2016, sont consacrées à deux peuples qui luttent encore en ce début du 21e siècle, pour l’indépendance. Deux peuples oubliés, le peuple Palestinien et le peuple Sahraoui, qui mènent dans l’indifférence internationale une lutte âpre et longue qui s’est imposée à une bonne partie de l’opinion mondiale mais qui, compte tenu du rapport de force issu de l’effondrement du mur de Berlin 1989, est devenue une lutte ingrate, une lutte otage des enjeux géopolitiques des grandes puissances et de leurs intérêts.
Le premier film, UN MUR DANS LE DESERT, d’Hervé Feron tente de restituer l’épopée épique de la lutte du peuple Sahraoui et son mouvement, Le Front Polisario (Front pour la libération de la Saguia El Hamra et du Rio d’El Oro), qui a fini par s’identifier à sa longue marche. Le commentaire du film, est assuré par le comédien, Pierre Richard. Le mur, c’est cette longue barrière hérissée de mines anti personnelles et qui s’étend sur des centaines et des centaines de kilomètres, défendue par les blindés et l’artillerie lourde et qui mobilise le gros des troupes marocaines, pour isoler dans le Sahara occidentale, la partie utile du territoire qui recèle les ressources du sous-sol. La partie historique du film, réaffirme l’identité de ce peuple, sa différence d’origine, de culture, d’enracinement par rapport au peuple marocain au nom de qui s’exerce, menée par l’armée du makhzen, l’oppression actuelle. Les dessins rupestres balisent la vie communautaire et l’activité économique et plongent les racines de ce peuple, dans l’histoire lointaine. Ils témoignent à travers les âges, de cette épopée qui est désormais parachevée par une lutte de libération nationale contre l’occupation. Aussi loin que se souvienne la mémoire, ce peuple a été libre, même si le pays n’avait pas de nom précis et des frontières délimitées. Des choses « qui sont inimaginables dans le monde d’aujourd’hui », commente Ahmed-Baba Miské, qui a des racines aux confins mauritano-sahraouis, qui a animé le mouvement anticolonialiste en Mauritanie et a été membre fondateur du front Polisario. Il a rédigé un ouvrage de référence, en 1978, front Polisario, l’âme d’un peuple. Ce peuple, s’est battu contre les portugais et la tradition désigne beaucoup de cimetières où ces derniers, sont enterrés. Ce fait remonte au XVe siècle. A l’époque, le Portugal « grande puissance maritime et pionnier de l’expansion européenne, cherchait des voies de pénétration dans le continent africain.» Les sahraouis défendaient farouchement leur liberté et celle de l’Afrique1.
En 1884-1886, les Espagnols abandonnant la force, signent des traités commerciaux avec les sahraouis2. Une manière de prendre option pour plus tard. Cette souplesse contrastait avec la politique agressive de la France. Mais ce jeu de dupes, allait se traduire par une curée pour l’Afrique, dans le cadre de la conférence de Berlin en 1885. C’est là, que l’Espagne fit valoir ses droits sur le Rio de Oro, « droits historiques et naturels ». Même décadente, l’Espagne allait prendre un bout de l’Afrique, pour conforter l’illusion unanime autour du projet d’aller « civiliser les sauvages.» L’Espagne cueille les fruits de la politique coloniale de la France. Mais des négociations « laborieuses et âpres sont menées à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, entre Madrid et Paris.
La première résistance exclusivement bédouine, traditionnelle s’acheva au milieu des années 1930. Un atavisme guerrier, faisait négliger aux patriotes sahraouis tout ce qui n’était pas le fusil. La sédentarisation à partir des années 1960, allait donner au mouvement, une base sociale urbaine. Les sahraouis, vont alors apprendre que « d’autres méthodes de lutte pouvaient relayer, préparer et guider la lutte armée.» Des villes, Aïoun, Smara, Dakhla et plus tard Tan-Tan, où vont se brasser des idées, vont relayer la lutte dans le désert. On ignore généralement que presque toute la résistance à la pénétration et à l’occupation coloniales, c’est trente années de luttes héroïques et légendaires contre la France.»3 L’occupation marocaine, c’est l’exil de tout un peuple, par la volonté d’effacer son histoire, sa culture, tout ce qui se rapporte à son identité. L’image rendue, est belle comme peut l’être celle d’un peuple qui lutte pour sa survie. Elle restitue aussi, la tragédie. Celle d’une partie du peuple Sahraoui, réfugié dans les camps installés aux confins du pays perdu, en territoire algérien, à Tindouf. Là, les réfugiés sahraouis, ont essayé de reconstruire une vie, un foyer et d’entretenir un rêve de retour au pays perdu. Les gosses vont à l’école, les adultes vaquent à des occupations qui ressemblent beaucoup à leur déracinement. Le quotidien, est lui marqué par les urgences d’un camp de réfugiés où l’aide internationale suffit à peine, mais les gens ont appris à vivre de peu, sinon à survivre. Ils survivent avec le rêve chevillé au corps. Le film montre toute la profondeur de cette quête. Il restitue toute la chaîne humaine qui à travers le monde a épousé la cause sahraouie.
Un festival international du cinéma du Sahara, est né grâce à la solidarité de cinéastes espagnols, de comédiens français. La lutte, à force de ténacité a acquis de la sympathie à travers le monde. La vie quotidienne, prend pied dans un univers dominé par la quête de donner forme à l’obsession nationale, du pays perdu. Elle restitue l’effort à faire dans les camps, pour donner vie à la culture du peuple, à sa mémoire collective, à sa créativité. Une maison d’édition, parrainée par la solidarité internationale est née. Elle sert déjà à éditer les jeunes plumes. Un centre national, de formation cinématographique existe. Il forme de jeunes cinéastes. Comme pour la guerre de libération nationale en Algérie, l’image accompagne le combattant.
Le centre, a à son actif, des documentaires et un long métrage d’une heure. Dans son long parcours, l’état sahraoui, a formé beaucoup de cadres jeunes. La plupart des médecins formés, se sont exilés par manque de moyens ou d’enthousiasme. Les camps de réfugiés, souffrent d’une carence sur le plan de l’encadrement sanitaire. Des associations essaient d’encadrer des activités dans la société et participent à l’animation de la jeunesse et à garantir son insertion dans la vie économique et sociale des camps. Dans le quotidien des camps, les sahraouis vivent une situation de réfugiés qui dure depuis quarante ans. Ce quotidien, essaie de donner un sens à cette durée qui s’est fourvoyée dans les méandres d’un cessez le feu qui consacre une situation de ni guerre, ni paix interminable, de plus en plus insupportable. Le romantisme d’un peuple qui veut rester debout, qui frôle la survie tous les jours, saura-t-il dépasser l’impasse que subi un mouvement de libération national, par le fait d’un rapport de force international, défavorable ? Les puissances conservatrices, hégémoniques, la France et les Etats-Unis, ont encore une fois une lourde responsabilité. Elles participent à perpétuer l’oppression du peuple sahraoui et favorisent la prédation de ces ressources naturelles.
1 Front Polisario, l’âme d’un peuple. Ahmed-Baba Miské. Editions Rupture. 1978.
2 Ouvrage cité.
3 Idem
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