France-Maroc : du protectorat à la protection des intérêts de la monarchie

ANALYSE
Les considérations historiques et stratégiques ne suffisent pas à expliquer la relation entre Paris et Rabat.
Lina KENNOUCHE | OLJ
01/04/2016
Il y a 104 ans, le 30 mars 1912, le traité conclu entre Paris et la dynastie alaouite régnant sur l’empire chérifien consacrait la tutelle française sur le Maroc, à l’exception des territoires du Nord, accordés à l’Espagne. La phase de conquête s’achève en 1934 ; le protectorat aura ainsi mis 30 ans à vaincre la résistance armée des tribus et à unifier le pays.
De 1912 à 1956, la puissance tutélaire impose donc sa domination à la société colonisée, à travers une relation qui entretient la fiction d’un État indépendant, en dépit du fait que le makhzen (appellation traditionnelle des autorités de la monarchie) est inféodé aux autorités du protectorat. Une relation qui allait subvertir les liens sociaux antérieurs. En creux, s’est opérée la référence négative du précédent algérien : le contre-modèle, celui d’une colonisation à moindre coût. Cette histoire de la période du protectorat français sur le Maroc a façonné durablement les relations entre les deux pays à tous les niveaux. La forme que prend la pénétration française, la fin « négociée » d’un protectorat qui évite les affres d’une guerre sanglante de libération, le maintien des relations avec l’ex-puissance coloniale et l’héritage français dans la structure du système politique et administratif du Maroc moderne sont autant de facteurs structurels qui éclairent la spécificité et l’étroitesse des relations franco-marocaines. Mais la dimension la plus prégnante de cette histoire reste, selon le journaliste marocain Ali Amar, auteur notamment de Paris-Marrakech : luxe, pouvoir et réseaux, celle de la relation de dépendance profonde du Maroc au travers de la reproduction des élites politiques et économiques calquées sur le modèle français.
« Il faut tirer les fils de l’histoire de la collusion des élites françaises et marocaines à l’époque de Hubert Lyautey, qui avait, en monarchiste refoulé, tenu à façonner et à inculquer une certaine idée de la notabilité à la française aux grandes familles marocaines. De cette fusion originelle est née une sorte de consanguinité des élites entre les deux rives. La forte présence de la culture française à travers les écoles, lycées et instituts a perpétué cette reproduction des élites francophiles qui, généralement, parachèvent leurs études supérieures en France et se retrouvent propulsées dans la haute administration, les entreprises publiques ou privées, etc. », explique Ali Amar.
Un lien historique
À l’indépendance, les transformations accélérées au sein de l’organisation sociale, l’organisation du pouvoir économique et politique, et la gestion de l’administration dans le sillage de la tradition française, maintiennent un puissant lien historique dont le pays ne s’arrachera pas totalement, pour structurer sa propre personnalité. Le Maroc a maintenu l’arrimage à la France par une galaxie de réseaux franco-marocains qui, selon Ali Amar, a tissé sa toile dans tous les secteurs de la vie publique française. « En recenser tous les acteurs est une tâche impossible, tant la liste est longue, changeante et semée de zones d’ombre. Des cercles d’influence économique où l’on retrouve les grands patrons des entreprises du CAC40, toutes représentées au Maroc, des stars du show-biz en passant par les politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, ou au cœur de l’intelligentsia intellectuelle et médiatique, la tribu des « amis du Maroc » constitue, à n’en pas douter, un des plus puissants lobbys œuvrant pour un État étranger », explique l’auteur.
Cette connivence des réseaux franco-marocains s’est développée notamment grâce à un soutien financier du régime et un financement généreux des campagnes de partis politiques de la gauche comme de la droite françaises.
Mais ces transactions ne sont pas circonscrites au domaine de la coopération économique. La communion d’intérêts se répercute avec force au niveau des relations politiques, dont le terrain le plus frappant reste la gestion du conflit au Sahara occidental, annexé par le Maroc depuis 1975, et la constance avec laquelle la France a apporté un soutien inconditionnel à Rabat et à ses prétentions hégémoniques. Une attitude qui ne peut s’expliquer uniquement par des considérations stratégiques et pragmatiques.
Comme Israël pour les USA
Pour Ali Lmrabet, journaliste marocain, « la France se comporte avec le Maroc exactement de la même manière que les États-Unis avec Israël. Le veto français nous appartient. Le régime marocain est assuré qu’aucune résolution du Conseil de sécurité, qui pourrait mettre en péril sa présence dans ce territoire en conflit, ne passera. C’est un nouveau protectorat, sauf que, cette fois-ci, le protecteur sert les intérêts d’une monarchie moyenâgeuse et non pas ceux de l’Hexagone, ni même du peuple marocain ».
Les soubresauts de la diplomatie franco-marocaine et les conflits intermittents qui refroidissent les relations soulignent cependant les limites de la collusion entre les deux États. Mais pour Ali Amar, l’évolution du contexte sécuritaire régional et les défis liés à l’amplification de la menace jihadiste ont renforcé la coopération sécuritaire entre la France et le Maroc. Dans cette nouvelle configuration, le renseignement marocain collaborerait en première ligne sur ces phénomènes, ce qui inverse le rapport de force en faveur de Rabat, au moment où la sécurité est considérée comme une question d’une urgence brûlante par les pays européens, frappés de plein fouet par le terrorisme international.
Ali Lmrabet juge au contraire que Rabat met à profit ce rôle dans la lutte antiterroriste pour s’assurer d’un soutien politique et neutraliser toute attitude d’hostilité envers le régime : « Chaque fois qu’une décision politique ou de justice chatouille le régime chérifien ou la sensibilité de l’autocrate alaouite, les autorités marocaines lâchent la bride aux milliers de migrants subsahariens bloqués à la frontière et qui cherchent à passer de l’autre côté.
Ces derniers temps, la menace la plus efficace a été la cessation de la coopération en matière de lutte antiterroriste. C’est franchement, et je pèse mes mots, au moment où le terrorisme islamiste a le vent en poupe, un chantage mafieux et une malversation immorale », conclut Ali Lmrabet.

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