Daech, un anachronisme
Dans les années 1990, c’était en Algérie que se jouait le sort du Maghreb, et sans doute aussi par la même occasion celui du monde arabe. De l’issue de ce qu’il est convenu un peu trop hâtivement d’appeler la guerre civile en Algérie, dépendait non seulement la stabilité de nos voisins, plus particulièrement celles du Maroc et de la Tunisie, pour la multiplicité et l’étroitesse des liens qui nous unissent à eux, mais même ce qu’il allait advenir d’eux dans l’immédiat. Autant dire le jour d’après la prise de pouvoir des islamistes ici même. On se souvient peut-être que le monarque marocain de l’époque, Hassan II, était pour laisser les islamistes radicaux du FIS exercer le pouvoir – du moment qu’ils avaient remporté les élections – non par sympathie pour eux, mais juste pour que le monde puisse constater sur une expérience concrète s’il était possible de composer ou non avec eux. Pour savoir, comme on aimait dire à l’époque, si l’islamisme, lequel à cette époque n’avait nulle part dans le monde arabe accédé au pouvoir, était oui ou non soluble dans la démocratie. Bien entendu, Hassan II faisait seulement semblant de ne montrer qu’un intérêt purement intellectuel à la chose, c’est-à-dire au drame algérien qui se préparait.
En tant que politique avisé, il ne devait en réalité pas se faire beaucoup d’illusions sur ce qui suivrait si d’aventure les autorités algériennes étaient assez folles pour accepter que leur pays serve de laboratoire, comme lui-même le leur conseillait, de façon à ce qu’il soit possible de répondre à la question que tout le monde se posait. On sait qu’il n’a pas été écouté. Mais l’objet de ce petit rappel est de montrer qu’à cette époque c’était en Algérie que se jouait ce que plus tard on appellerait ici même la tragédie nationale, mais dont en vérité les implications dépassaient le cadre non seulement de l’Algérie, mais de tout pays singulier. Si le terrorisme islamiste avait vaincu au lieu d’être vaincu en Algérie, il règnerait sans doute aujourd’hui au Maroc et en Tunisie, pour le moins. Mais voilà, cela fait une vingtaine d’années que le problème ne se pose plus en ces termes dans aucun de ces trois pays. Dans un horizon visible, l’islamisme ne peut accumuler assez de forces pour repartir à l’assaut du ciel. Une fenêtre s’est ouverte pour lui à cet effet, et il l’a ratée. Aujourd’hui, l’avenir de nos pays se joue, ou plutôt est en train de se préciser, en Syrie. Pas même en Irak, bien que ce soit là que tout a recommencé, après la fermeture de la parenthèse algérienne. Pas même en Libye, bien que ce soit par ce côté que l’avenir le plus proche nous saisira. Si par exemple une deuxième intervention étrangère se produit, et qu’elle donne lieu à un afflux de civils fuyant les hostilités, l’Algérie et la Tunisie seront les premières à s’en ressentir, peu ou prou. Mais dans tous les cas de figure cet avenir ne sera pas islamiste, car c’est en Algérie, il y aura bientôt une vingtaine d’années, que cette affaire, cette séquence historique, a connu son dénouement. En Syrie et en Irak, et maintenant en Libye, l’islamisme, dans son dernier avatar, Daech, ne roule pas pour lui-même, comme c’était le cas en Algérie dans les années 1990, mais pour les puissances régionales sunnites, prises d’une peur panique devant la renaissance iranienne. Il fait la guerre et tient la place non pas pour lui-même, mais pour d’autres, pour le salut d’autrui. On le voit très bien maintenant que la guerre par procuration que se livrent les puissances régionales depuis plusieurs années tend à devenir une guerre directe entre elles. Ce que d’ailleurs elle n’aurait pas manqué de devenir carrément si Américains et Russes n’étaient pas là pour la contrarier. Bien qu’il se soit appelé Etat islamique, et qu’il soit parvenu effectivement à se tailler une espèce de califat d’un seul tenant en Syrie et en Irak, et même à se projeter en Libye, Daech est une survivance, un anachronisme, un fantôme du passé, un sous-produit de l’invasion de l’Irak en 2003, et de la guerre par procuration d’aujourd’hui qui se livre en Syrie.
http://www.lejourdalgerie.com/aujourdhui/archive/La%20question%20du%20jour.htm
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