par K. Selim
La Grèce chancelle sous les coups de boutoir des mesures d’austérité imposées par les représentants des créanciers. Il faut dire que les dernières «conditionnalités», pour reprendre l’indigeste jargon du FMI, ne sont pas piquées des vers : procéder à 325 millions d’euros d’économies budgétaires supplémentaires, réduction de 22% du salaire minimum dans le cadre d’une déréglementation générale du marché du travail, suppression dans l’année de 15.000 emplois publics et coupes sur certaines pensions de retraite.
Ces ukases de l’UE et du FMI doivent être gravées dans le marbre : l’approbation du gouvernement ne suffit pas aux yeux des créanciers, ces mesures doivent être votées par le Parlement et être matérialisées par des garanties écrites sur l’application du plan de rigueur et paraphées par l’ensemble de la coalition politique au pouvoir. Athènes, le couteau sur la gorge, est traité comme un débiteur indélicat. Sa soumission complète conditionne la mise en place d’une facilité de 130 milliards d’euros par l’UE et le FMI pour éviter un défaut de paiement incontrôlé en mars, lorsque la Grèce devra rembourser une échéance de 14,5 milliards d’euros. Ces exigences des bailleurs de fonds viennent s’ajouter à un terrible dispositif de rigueur mis en place depuis plusieurs mois et qui ramène le niveau de couverture sociale à un minimum incompressible.
Ces mesures d’austérité, approuvées par un exécutif en état de sidération, six ministres ayant démissionné, doivent être entérinées aujourd’hui, probablement assez tard dans la soirée, par le Parlement. Seul le parti d’extrême droite Laos a rejeté le programme de rigueur : ses ministres ont démissionné en bloc et ses représentants à l’Assemblée ont refusé de l’approuver. Les autres partis sont divisés. Deux ministres socialistes ont également démissionné et il n’est pas assuré que la représentation nationale admette les conditions des créanciers.
Depuis vendredi dernier, les manifestations se succèdent, le paroxysme de la protestation sociale est attendu pour ce dimanche. Les Grecs sont assommés par la dégradation vertigineuse des conditions sociales. Ainsi, faute de moyens, beaucoup d’hôpitaux ne fonctionnent pratiquement plus, le chômage atteint des proportions alarmantes et les signes de très grande précarité se multiplient. De très nombreux Grecs ne survivent que grâce à la charité et les associations d’aide sociale sont débordées par l’affluence croissante de citoyens qui ne parviennent plus à se nourrir.
La régression sociale imposée au peuple grec est sans précédent pour un pays européen. Les conditionnalités de cette intensité n’ont été appliquées qu’aux pays du sud de la planète. L’histoire a montré qu’en dépit de leur extraordinaire brutalité, ces programmes de stabilisation n’ont qu’une faible efficacité économique : l’Argentine en est l’illustration la plus éloquente.
Mais ce qui est en jeu en Grèce, outre le fait de servir de laboratoire aux experts ultralibéraux pour mesurer le degré de résistance des sociétés européennes aux programmes d’austérité renforcée, est le sort de la monnaie unique européenne. Une sortie chaotique de la Grèce pourrait bien, par effet de contagion, mettre à mal la zone euro dans son ensemble. Ce danger est loin d’être théorique. D’autres pays sont très vulnérables : le Portugal, par exemple, qui emprunte au taux sidérant de 20% à 10 ans ! Ils pourraient précipiter la fin de l’euro dans sa configuration actuelle et accélérer la spirale récessive qui menace l’UE.
Athènes, qui est le berceau culturel de l’Europe, en sera-t-il le tombeau économique ? Nous n’en sommes pas encore là, mais la crise grecque montre la nature extrêmement violente d’une organisation politico-économique qui a su sauver les banques de la faillite mais qui ne sait visiblement pas protéger les peuples de la misère.
Le Quotidien d’Oran, 12/2/2012
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