Le tribunal militaire de Salé-Rabat a rendu son verdict le 17 février 2013 à l’encontre de 25 Sahraouis jugés coupables de « constitution de bandes criminelles » et de « violences sur des forces de l’ordre ayant entraîné la mort avec préméditation et mutilation de cadavres ». Neuf d’entre eux ont été condamnés (dont un par contumace) à la réclusion à perpétuité, 4 à 30 ans d’emprisonnement et dix autres à des peines de 20 à 25 ans de réclusion. Deux d’entre eux ont été libérés après avoir été condamnés à une peine de deux années de prison déjà purgée lors de leur détention préventive.
La FIDH a observé deux audiences, respectivement les 1er et 8 février 2013. Sur la base de cette observation, la FIDH estime que le procès n’a pas respecté les normes internationales du droit à un procès équitable, et entre autres ; le droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial et le droit au double degré de juridiction. Au regard de ces manquements, la FIDH appelle à l’ouverture d’une nouvelle procédure qui garantirait tous les droits des accusés en conformité avec les normes internationales.
La compétence du tribunal militaire pour juger cette affaire et pour juger les civils en général, n’est pas conforme aux obligations du Maroc en vertu du droit international. La poursuite de civils devant une juridiction militaire est contraire non seulement aux standards internationaux mais également à la Constitution marocaine. « Cette situation est d’autant plus problématique que le code pénal militaire marocain ne prévoit ni la possibilité pour les victimes de se constituer partie civile ni le double degré de juridiction . Les prévenus condamnés pour la plupart à de lourdes peines ne pourront faire appel de cette décision », a déclaré Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH.
Plusieurs des prévenus ont déclaré avoir été soumis à des actes de torture et de traitements inhumains et dégradants lors de leur arrestation et en détention. « La Cour a failli à son obligation de diligenter une enquête et des expertises médicales suite aux allégations de torture formulées par plusieurs prévenus ce qui contrevient aux obligations du Maroc en vertu notamment de la Convention contre la torture » a déclaré Amina Bouayach, Vice présidente de la FIDH qui a observé plusieurs audiences de cette procédure.
Les instances internationales et notamment le Comité contre la torture des Nations Unies ont à de nombreuses reprises appelé les autorités marocaines à « faire en sorte que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent rapidement l’objet d’une enquête efficace et impartiale (…) » [1].
Le procès portait sur des affrontements qui ont opposé en novembre 2010 lors du démantèlement du camp de Gdim Izik, des forces de l’ordre marocaines et des résidents du camp. Les affrontements avaient mené à la mort de 11 membres des forces de l’ordre et 70 blessés. Dans le rapport de la mission d’enquête réalisée fin novembre 2010, la FIDH avait recueilli plusieurs témoignages faisant état d’actes de torture à l’encontre des personnes arrêtées dans le cadre de ces événements [2]. Le rapport a également relevé des détentions arbitraires, les familles des personnes arrêtées n’ayant pas été informées de l’arrestation ni du lieu de détention de leur(s) proche(s).
La majorité des prévenus ont été arrêtés dans les jours qui ont suivi ces affrontements. L’ouverture du procès initialement annoncée en janvier 2012 a été reportée une première fois au mois d’octobre 2012 pour ne finalement commencer que le 1er février 2013. Ces prévenus ont dès lors été maintenus plus de deux années en détention provisoire ce qui contrevient aux standards internationaux qui prévoient que toute détention provisoire ne doit pas dépasser un « délai raisonnable ». Ces détentions ont dès lors été arbitraires.
La FIDH a mandaté deux missions d’observation judiciaire pour les audiences du 1er et 8 février 2013. Les observateurs, Me Zouheir Yahyaoui, avocat tunisien, membre de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme et M. Manuel Lambert, conseiller juridique de la Ligue belge des droits de l’Homme ont pu assister à une partie de la procédure. L’absence de calendrier clair a rendu le suivi de l’ensemble de la procédure compliqué. L’audience du 8 février s’est en effet poursuivie sans discontinuité jusqu’au verdict prononcé le 17 février pendant la nuit. L’absence d’agenda annoncé de façon anticipée et la longueur des sessions n’ont pas facilité la sérénité des débats. En outre, la présence massive de forces de l’ordre et de militaires, tout en pouvant se justifier par le grand nombre de prévenus et la présence de familles de victimes et de prévenus a pu sembler disproportionnée et n’était pas de nature à garantir des débats judiciaires sereins. Le déroulement des débats et en particulier, les auditions des prévenus ne semblent par ailleurs pas avoir permis de faire la lumière sur les faits reprochés.
Un important dispositif sécuritaire avait également été déployé pour contrôler l’accès au tribunal. Les restrictions à la publicité des débats (accès contrôlé à l’enceinte de la cour) semblaient justifiées. L’accès aux débats pour les observateurs étrangers par la mise en place d’un système de traduction doit être salué.
La FIDH a par ailleurs pu constater que l’accès aux abords du tribunal ainsi que la liberté de manifestation ont été pleinement respectés par les autorités marocaines. Tout comme la liberté d’expression et de la presse qui ne semblent pas avoir été l’objet de restrictions.
Notes
[1] Observations finales du Comité contre la torture – Maroc, 21 décembre 2011, CAT/C/MAR/CO/4,, pt. 16, p. 8
[2] FIDH, Sahara occidental : Les affrontements du 8 novembre 2010 à Laâyoune : Escalade dans un conflit qui s’éternise », mars 2011, http://www.fidh.org/Les-affrontemen…
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