J’ai été tenté, pour commencer cette chronique, d’emprunter à Gilles Perrault, le titre de son livre : Notre ami le roi. Mais je me suis retenu. C’était un autre roi, et à tous les morts le respect est dû, aux monarques, comme aux plus modestes d’entre les humains. Cela se passait au siècle dernier, et l’amitié avait une autre valeur et aussi un bouquet différent.
En fait chacun son époque, et à chaque temps ses représentations de l’amitié. Pour nous autres algériens, et parce que nous avons souvent été contrains à la guerre, nous en connaissons, les arts, les stratégies, les tactiques, les astuces et les manœuvres. Cependant pour avoir aussi tant subi ses affres, nous en mesurons pareillement, les conséquences. Nous savons que la guerre coûte humainement et économiquement cher, et pareillement, nous savons que la paix coûte plus cher encore. Pour cela, nous avons et depuis longtemps, librement choisi la paix, dut-elle nous coûter les yeux de la tête. Et réellement la paix nous coûte économiquement très cher.
Depuis nos régions frontalières de l’Est, comme celles de l’Ouest, énormément de produits acquis en devises fortes profitent à des familles citoyennes de nos voisins pays. Le voisinage nous impose aussi des concessions humanitaires, que nous acceptons pour soulager des malheurs, des détresses, des infortunes, des misères et des angoisses humaines, que d’autres ne veulent même pas voir. Et celui qui en doute pour cause de jeunesse, n’a qu’à questionner son père et ses ancêtres. Une amitié cela s’entretient, et la constance en est un des principaux leviers. Il ne sied pas en amitié d’affirmer du haut de son podium, une chose et le lendemain, toujours sur la même estrade, mais à la télé, se dédire et de soutenir son contraire. Maintenant nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, comme dit l’adage. On ne peut convaincre le voisin du sentiment de bon voisinage, quand insidieusement, on lui fait savoir, par divers moyens, que l’on prépare la guerre. On achetant beaucoup d’avions de combat américains, et en faisant savoir dans toutes les chaumières, que l’on négocie l’achat d’un sous-marin allemand de type 209 de combat à propulsion classique de lute anti-sous-marine.
Ceci pour l’annonce matérielle, et de saisir toutes les occasions, pour rappeler cette situation de, ni guerre, ni paix, dans tous les discours, ce qui est moralement contrariant. Et cela n’avait pas raté, le 06 novembre 2012, dans le discours de sa majesté, lors de la célébration du 37èm anniversaire, de ce qui fut en 1975, baptisé par feu le roi Hassan II, de marche verte. Le 09 novembre de la même année le roi du Maroc, annonçait, selon Tahar Belkhodja, ancien ministre tunisien, dans son livre, les trois décennies Bourguiba, éditions Arcantères/Publisud, ceci : « la marche a atteint son objectif». Et au bout de sa démarche, le souverain fit cette déclaration lors d’une conférence de presse, toujours selon le même auteur : « logiquement j’attends qu’Alger me fasse la guerre». Mais avant tout cela, en 1971 le même roi sollicitant le général franco, pour lui céder le Sahara, se vit répondre par le caudillo ceci :« ce que vous me demandez, majesté, est un suicide auquel ni moi ni l’Espagne ne sommes disposez…» Persistant et toujours tenace, le roi Hassan deuxième du nom, reviendra à la charge quand il reçut le ministre espagnol des affaires étrangères 1969/1973, Lopez Bravo. Il lui fit cette confidence, qu’il dévoilera dans ses mémoires, publiées chez Plon en 1993. Il lui avait alors dit :« donnez-moi l’engagement que vous n’accorderez pas l’indépendance au Sahara
je suis prêt à accepter encore une présence coloniale espagnole
parce que ce territoire m’appartient
». Dès lors les manœuvres marocaines ne cesseront jamais, elles seront parfois sournoises et d’autrefois déclarées, mais leurs effets d’entraînement, depuis, déstabilisent la région et la fragilisent. Et à chaque occasion de la célébration de la marche, le discours du monarque est servi au goût du jour. Pour cette cuvée là, le conflit du Sahara est qualifié de «conflit régional artificiel». Que le roi veut régler, «Cependant, dira-t-il, la dynamique que cette initiative audacieuse a enclenchée en mettant en marche un nouveau processus de négociations, n’a pas abouti, jusqu’à maintenant, à la solution politique consensuelle et définitive escomptée, faute d’une volonté sincère chez les autres parties qui persistent dans leurs manigances et leurs stratagèmes obstructionnistes». Le souverain chérifien, parle de parties qui seraient selon lui récalcitrantes, au règlement du conflit, néanmoins il se garde de les citer. La chafouinerie dans la démarche et la volonté de venir à bout de ce problème qui pervertit toutes les relations de voisinage, fait partie de la stratégie non avouée de sa majesté. Premièrement ce qu’il nomme conflit ou problème du Sahara, c’est en réalité, selon les résolutions l’ONU, une annexion d’un territoire anciennement possession espagnole, depuis la conférence deBerlin sur l’Afrique qui se déroula du 15 novembre1884 au 26 février 1885. Deuxièmement, les seules parties au conflit sont celles qui se sont rencontrées à New York, pour discuter le problème.
Le Maroc et la délégation du Polisario. L’Algérie, dans ces rounds de rencontres, occupe une place d’observateur, d’ailleurs comment le serait-il autrement ? Dès le début de l’annexion, l’Algérie avait observé une position de neutralité, cependant, positive. L’Algérie revendique que soient appliqués les principes édictés par l’ancienne organisation continentale, l’Organisation de l’unité Africaine, redevenue en 2002, l’Union Africaine, sur la décolonisation. Elle soutient la création d’un état sahraoui dans les limites des frontières héritées de la colonisation. Et sur ces principes de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, membres de l’OUA, observent la même position. Faut-il rappeler ici que la république arabe sahraouie démocratique est reconnue depuis 1982, par l’OUA, et que même l’un des protagonistes du conflit, la Mauritanie, avait reconnu la RASD, en 1979.
L’Algérie a toujours fait valoir l’application des résolutions onusiennes relatives à la question, et avait de tout temps affirmé sa disponibilité à apporter sa contribution pour un aboutissement et un règlement dans ce cadre. Ainsi, quand le royaume chérifien avait saisi la cour internationale de justice, de la Haye, la juridiction rendit le 16 novembre 1975 un arrêt dans lequel, elle fait le constat des liens historiques entre les tribus du Sahara occidental, avec le royaume, mais dans le même arrêt, la CIJ précise que ces liens, ne prévalent pas sur le droit à l’autodétermination. Ce qui correspond fidèlement à la position algérienne. Ce qui n’est pas le cas du Maroc. Une fois s’entendant avec l’Espagne et l’autre avec la Mauritanie pour arriver à annexer le territoire saharien, qu’il considère comme lui appartenant. Néanmoins, si c’était réellement le cas, alors pourquoi le roi Hassan II, avait-il à coup de millions de dollars, construit son mur de sable, sur une partie du territoire saharien, en fait une ligne de fortification, parsemées de bunkers, de blockhaus et de champs de mines, sur une superficie de 200 000 km2 ?
Est-il sensé et logique qu’un pays saucissonne un territoire qu’il prétend être le sien, pour en contrôler, du moins en théorie, une partie et en abandonner une autre. Du doute et de la suspicion, face à l’assurance et la certitude d’être réellement chez soi. Sinon l’ambivalence, et l’ambiguïté feraient-elles partie du plan royal, pour s’adjuger ce territoire ? Dans le discours du 6 novembre 2012, il est aussi dit ceci :«Dans le même contexte, nous voulons rappeler la position claire, exprimée récemment par Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, qui souligne qu’il appartient aux Nations Unies, dans le cadre de leurs missions, et parallèlement à la poursuite du processus de négociation, d’encourager le développement des relations maroco-algériennes, dont le Maroc ne cesse d’appeler à la normalisation, y compris l’ouverture des frontières, conformément aux vœux d’un certain nombre de pays et d’organisations internationales». Mon seigneur entre frères on n’a pas besoin de bons offices, ni d’intermédiaires ou bien de médiateurs, en cas de mésentente. Encore que dans le cas d’espèce, l’Algérie n’a aucune revendication matérielle. Il s’agit de désenvenimer une situation diplomatique, dont le grand gagnant est un perdant en puissance, en tout état de cause.
Par ailleurs, la fermeture des frontières entre l’Algérie et le Maroc, fut décidée unilatéralement par le palais royal et aussi sans raisons défendables. Alors de la à revenir chaque matin sur ce qui avait été décidé la veille, il y a comme diraient les logiciens un paralogisme, non assumé. Car jusqu’à présent vous semblez vouloir interminablement entretenir une confusion entre ce que vous demandez et ce que vous reprochez aux autres, l’Algérie y compris. Vous dites aussi que :«le Maroc appelle à une forte implication de la communauté internationale pour mettre fin au drame enduré par nos enfants à Tindouf, à l’intérieur du territoire algérien, où sévissent, dans toute leur cruauté, la répression, la coercition, le désespoir et les privations, en violation flagrante des droits humains les plus élémentaires». Car à ce niveau de votre discours, il faut s’entendre. Tindouf, c’est l’Algérie, et les algériens qui ont choisi d’y habiter, y vivent normalement. Pour ceux des sahraouis qui ont été contraints à l’exile, il ne viendra à l’esprit d’aucun algérien de ne pas leur porter secours et de les assister. Ce sont là des principes intangibles d’hospitalité, que nous nous imposons, quoi qu’il nous en coûtera. Pas plus tard qu’hier dans la grande histoire de l’Algérie, le colonialisme français avait contraint des centaines de milliers d’algériens à l’exile en Tunisie et bien sûr au Maroc. Et que ceux qui les avaient protégés et soulagé leur détresse en soient ici remerciés, nous leur serons toujours reconnaissants et redevables. Toutefois comme vous y allez fort messire. A vous entendre, on croirait que les camps de réfugiés sahraouis, sont pires que le sinistre bagne de Tazmamart tenu secret de 1972 à 1980. Et qui avait été fermé par feu le roi Hassan II, en 1991, sous la pression internationale.
Une année avant, Gilles Perrault publiait son livre : Notre Ami le Roi. Selon des commentateurs de l’époque, votre père, que dieu ait son âme,«piqua une colère à faire vibrer les vitres de l’Elysée». Ce bouquin mettait à jour les apparences avenantes du royaume, qui faisaient son attractivité auprès de l’occident notamment, et sa face cachée faite de procès politiques, de méconnaissances de droits de l’homme et de misère sociale. En 2001, c’est un illustre marocain, qui en tira un roman. Tahar Ben Jelloun, l’intitula : « cette aveuglante absence de lumière». Sire le roi pour ne pas être tendancieux, je livre le commentaire de Alain Louyot, grand reporter, publié le 04/01/2001 par l’hebdomadaire, l’express-culture : «Tahar Ben Jelloun revient à son Maroc natal avec l’intention d’en dénoncer les plus inavouables secrets. Dans Cette aveuglante absence de lumière, il dresse un réquisitoire vibrant contre la violence d’un régime monarchique dont les excès étaient connus mais rarement dénoncés». Et de poursuivre :« Au bagne de Tazmamart, la mort lente est le lot quotidien des prisonniers politiques. Sous terre, privés de lumière, dans une cellule de trois mètres sur un mètre et demi, des hommes ont passé vingt ans à croupir au milieu des scorpions et des immondices. Dans cette fosse, seule une volonté inébranlable permet de survivre. Tahar Ben Jelloun a trouvé les mots justes pour dire l’innommable, l’enfer de ces prisons où des geôliers sans âme, participent à la pire entreprise de déshumanisation. Son roman est une douloureuse traversée des ténèbres guidée par une seule lumière: la foi». Par ailleurs, une référence ramenant une autre, et étant maghrébin convaincu, je me suis intéressé à la relation entre feu votre père et le président tunisien le défunt Habib Bourguiba. Dans sa livraison du 4 au 10 avril 2010, Jeune Afrique l’hebdomadaire du tunisien Béchir Ben Yahmed, consacrait un dossier de 16 pages à l’ancien président de tunisie. Le fondateur du périodique, qui avait été ministre du combattant suprême rapporte à la page 4, dans sa chronique : ce que je crois, ceci :« si au Maghreb, un Hassen II rivalisait de culture avec lui, il l’exécutait d’une phrase. A ma question:» quel est votre jugement sur lui ? «,il répondit sans hésiter:»
C’est un tueur, et qui parvient à ne laisser aucune trace «. Votre majesté, même si ce jugement n’engage que son auteur, il demeure très dur. Et même si, ce ne sont pas paroles d’évangile, cela fait partie de l’histoire des deux leaders et aussi de celle de la région, recueillies à la source par un journaliste toujours vivant et ayant connu les deux hommes. Enfin, votre altesse, vous concluez votre discours, du moins pour ce qui concerne l’Algérie, par cette pétition :» Nous réitérons notre appel au Haut Commissariat aux Réfugiés pour que, en vertu des responsabilités qui lui incombent en matière de protection, et compte tenu des engagements internationaux de l’Algérie en tant que pays d’accueil, il procède à l’enregistrement et au recensement de la population des camps, conformément aux Résolutions du Conseil de Sécurité de 2011 et 2012 ». L’Algérie, même quand elle n’était pas partie au problème, n’a jamais failli à ses engagements internationaux, ce qui est en l’occurrence le cas. Etant terre d’accueil de populations réfugiées, elle a toujours apporté l’aide et l’assistance nécessaire à la Mission des Nations Unies pour le Sahara Occidental, MINURSO, ainsi qu’au Haut Commissariat aux Réfugiés. Et sa position demeure claire et transparente, c’est-à-dire exposée au regard de tous, et ouverte à toutes les institutions internationales habilitées à mettre en œuvre, les résolutions de l’ONU, sur le terrain. Maintenant, si vous voulez imposez vos chiffres, et pas ceux des sahraouis, ou bien ceux des Nations Unis, pour un éventuel référendum, sachez que l’Algérie, par choix principiel n’administre pas les camps de réfugiés sahraouis, bien qu’ils soient situés sur son territoires. Mon seigneur, le vendredi 16 novembre 2012, des informations émanant du royaume de Jordanie et fortement reprises sur tous les supports médiatiques, rapportaient que plusieurs milliers de Jordaniens sont descendus dans les rues pour réclamer la destitution du roi Abdallah II. Du jamais vu dans le pays des hachémites, une quasi hérésie. Et ailleurs dans notre région, il y a de l’instabilité, mais c’est uniquement l’Algérie qui avait appelé tous les acteurs à la raison, et depuis des résultats palpables commencent à se réaliser, contre tous les va-t’en-guerre. Il ne sert à rien d’accuser les autres d’incendiaires, quand les pétroleuses habitent la maison. Nous tenons la notre, et nous faisons tout ce qu’il faut pour vivre avec tous nos voisins, en bonne intelligence, dans la sécurité, la sûreté et la dignité, qui leur sont dues. Alors quand il est question de frères
En conclusion, je rapporterai un proverbe bien connu en Algérie, mais comme me l’avait rapporté un ami marocain : le roi faisant le tour du propriétaire, rencontra un homme dénudé, errant dans un coin reculé du royaume. Il l’interpella de son ton royal, de la sorte : «Oh toi qui vas nu, que te manque-t-il donc, de quoi as-tu- besoin ? Alors le dévêtu reconnaissant son roi, il lui répondit ainsi : une bague, oh mon noble maître. Et comme on dit, dans tout le Maghreb :» le discours est mesure».
Le Quotidien d’Oran le 22 – 11 – 2012
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