par M. Saadoune
Sans surprise, l’après-Kadhafi en Libye est marqué par une incapacité du nouveau pouvoir à reprendre les choses en main. Le système étatique a été détruit déconstruit brutalement et sa reconstruction est loin d’être une simple sinécure.
Au début de l’année, le président du CNT, Moustapha Abdeljalil, désignait les milices comme étant la source du mal qui pourrait plonger le pays dans la guerre civile. Aujourd’hui, le même CNT, après que son siège eut été saccagé à Benghazi, désigne des éléments de l’ancien régime. Trop facile. D’autant que ceux qui manifestent contre le CNT demandent qu’il soit épuré des «opportunistes» de l’ancien régime. Quand on sait que hormis les islamistes, la plupart des dirigeants du CNT ont exercé des responsabilités sous le régime de Kadhafi, la revendication n’a rien d’anodin.
Le vice-président et porte-parole du CNT, Abdelhafidh Ghoga, qualifié «d’opportuniste» par les manifestants, a d’ailleurs annoncé hier sa démission dans «l’intérêt de la nation». «Nous ne savons pas vraiment ce qui se passe», a-t-il dit. A ce niveau de responsabilité, un tel propos renseigne clairement sur l’ampleur de la confusion qui règne en Libye. Qui n’a rien de surprenant. La destruction du régime ne pouvait en aucun cas faire émerger automatiquement un nouvel ordre. «L’unité» contre le régime de Kadhafi laisse désormais le champ libre à une course pour le pouvoir où chacun se prévaut d’une «légitimité révolutionnaire».
Le plus urgent pour chacune des multiples milices, en attendant la redistribution des cartes, est de ne pas désarmer. Pour eux, les armes sont un argument de négociation dans les tractations en cours. Face aux velléités, sans lendemain, de les désarmer, ces milices ont invoqué le besoin de «protéger» la révolution contre les partisans de Kadhafi. Discours pompeux et sans crédibilité. Mais le CNT n’a guère les moyens à moins de solliciter les Occidentaux de les mettre au pas.
La difficulté est que ces milices sont adossées à des intérêts locaux qui scrutent avec attention la manière dont le pouvoir nouveau s’installe et qui entendent ne pas se laisser distancer par d’autres. Les affrontements entre milices ne sont pas rares. Et le risque d’une guerre civile ne relève plus de la simple hypothèse, la faiblesse politique du CNT ne lui permettant pas de reprendre les choses en main et de rétablir le monopole des armes.
On a beaucoup parlé des armes et des arsenaux libyens qui seraient tombés entre de «mauvaises mains» au Sahel. On oublie que les Libyens se sont servis en premier. Au début de l’année, Moustapha Abdeldjalil estimait qu’il n’y avait pas beaucoup de choix : soit réagir avec «fermeté» contre l’action des milices, «soit c’est la sécession et la guerre civile». Il est évident que s’il avait le moyen de mater les milices, le président du CNT n’aurait pas fait des discours mais aurait agi.
Son message semblait s’adresser, une fois de plus, aux «forces amies» qui sont intervenues pour détruire le régime de Kadhafi. Des « experts» occidentaux sont déjà en place de manière informelle. Or, pour dissuader les milices et les contraindre à rentrer dans le rang, en intégrant l’armée ou la police, il faut une présence plus formelle. Un déploiement de forces. Les Occidentaux, qui essaient de ne pas paraître trop visibles, ne sont pas enclins à y aller. Des pays du Golfe pourraient, «au nom de la sauvegarde de la révolution !», s’occuper de la «sous-traitance» pour assurer le rétablissement de «l’ordre» nécessaire à une remise en exploitation des ressources énergétiques libyennes.
Le Quotidien d’Oran, 23/1/2012
Soyez le premier à commenter