Par Noureddine Khelassi
A Tunis, pour célébrer, aux côtés du militant des droits de l’homme, Mohamed Merzougui, l’an I de la révolution tunisienne, le président Abdelaziz Bouteflika a eu une petite phrase passée inaperçue. Elle lui a permis de réitérer la traditionnelle position algérienne en faveur d’un Maghreb dans «le cadre de la légalité internationale». Traduire, un Maghreb, sous quelque forme structurelle qu’il serait, ne saurait être édifié contre ou sans le peuple sahraoui. Donc, forcément, avec les Sahraouis sans l’avis souverain desquels aucun Maghreb ne serait possible. Et, jusqu’à preuve du contraire, la légalité internationale signifie toujours une solution politique au Sahara occidental sur la base d’un référendum d’autodétermination libre, sous l’égide des Nations unies. Il est vrai que les vents de changement politique au Maghreb posent, avec acuité, la question démocratique.
L’aspiration à la transformation démocratique impose nécessairement le débat au sujet d’un Maghreb des peuples que favoriserait la démocratie. Question subséquente : la démocratie souhaitée permettrait-elle la construction d’un Maghreb que les dictatures nord-africaines ont longtemps empêchée ? Question résultante : un Maghreb sans un Sahara occidental éventuellement libre, sous l’égide du Front Polisario, serait-il possible? Le questionnement est à l’envi. Peut-on construire le Maghreb avant que la question du Sahara occidental ne soit réglée, avec un Sahara occidental indépendant ou sous administration autonome, elle-même sous souveraineté marocaine acceptée car découlant du résultat d’un référendum d’autodétermination libre ?
Toutes ces questions se posent aujourd’hui aux actuels dirigeants maghrébins dont aucun d’entre eux n’a participé à la création de l’UMA. En effet, les chefs d’Etat présents aux sommets de Zéralda en 1988, et à celui de Marrakech en 1989, sont tous absents de la scène politique. Certains des acteurs du jour étaient dans l’opposition ou rangeaient leurs freins en attendant des jours politiques meilleurs. Ce sont eux qui sont désormais interpellés par l’inéluctable changement démocratique et par la consubstantielle édification maghrébine. Il est heureux de constater par ailleurs la conversion au pragmatisme des Algériens et des Marocains qui ont décidé de travailler en commun en déconnectant les relations bilatérales du dossier du Sahara occidental. Sagesse salutaire. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres maghrébines ! Le roi Mohamed VI ne veut pas accepter un référendum qui ne serait pour lui, s’il avait lieu un jour, que confirmatif, comme le voulait d’ailleurs son père Hassan II. Tout en proposant une régionalisation avancée sous souveraineté territoriale marocaine, il a même consacré le fait accompli annexionniste en usant de l’arme de la normalisation linguistique. Les Sahraouis peuvent-ils oublier alors que sa réforme constitutionnelle consacre la hassania, leur idiome maternel, comme langue nationale du royaume au même titre que l’arabe et tamazight ? Contrairement à l’Algérie, le Maroc a beaucoup à perdre d’un référendum qui pourrait aboutir à l’indépendance du peuple sahraoui. Au Maroc, le consensus national est toujours basé sur la sacralité, l’inviolabilité et la permanence de la personne du roi, en sa qualité d’émir des croyants et de garant de l’intégrité et
de la souveraineté du territoire qui comprend le Sahara occidental annexé en 1975. Géopolitique oblige, l’Algérie est partie concernée mais jamais partie prenante au conflit. La question du Sahara Occidental, si elle fait toujours consensus dans toutes les sphères du régime, n’a jamais fondé le consensus national. La différence est évidente. Le Maghreb démocratique que dessine, en creux, l’aspiration démocratique maghrébine depuis la chute de Ben Ali et Kadhafi, ne saurait faire l’économie de réalités historiques fondant l’autodétermination légitime du peuple sahraoui. Depuis le départ des Espagnols en 1976, les territoires sahraouis sont, selon l’ONU, sans administration. En 2002, un avis de droit de Hans Corell, vice-SG de l’ONU, conclut que le Maroc n’est pas une puissance administrante du Sahara occidental. Et même si la formule «autorité administrante» est quelque peu ambiguë, rien dans l’histoire des anciens territoires de Saguia El Hamra et de Rio De Oro, encore plus dans les liens d’allégeance intermittents entre certaines tribus sahraouies et le royaume chérifien, notamment sous les rois Saadiens, n’est de nature à empêcher un référendum d’autodétermination. Les 266 000 km2 du Sahara occidental, dont le Maroc contrôle seulement 80% à l’intérieur de murs de séparation, n’ont jamais été une terra nullius, pas plus qu’ils ne furent sous souveraineté reconnue du royaume. A ce jour, ces territoires sont considérés comme non autonomes, l’ONU appelant déjà en 1965 l’Espagne, puissance occupante, à les décoloniser. En avril 2007, l’ONU a engagé le Maroc et le Polisario (résolution 1754) à négocier «en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental.» Il y a depuis le processus de Manhasset aux Etats-Unis. L’Union africaine et la Ligue arabe, même si elles ont des positions différentes, considèrent finalement que la question relève de l’ONU. C’est tout cela que le président Bouteflika a sans doute voulu rappeler à Tunis. Enfin, ne jamais oublier que les Sahraouis sont les descendants directs des Almoravides qui furent à l’origine de la première construction maghrébine, qui fut cohérente et homogène celle-là.
La Tribune d’Algérie, 17/1/2012
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