Lorsque le fondateur du Front Polisario, el Ouali Mustapha Sayyed, s’était lancé, voilà très longtemps déjà, en direction du sud-est marocain au volant de son Land-Rover, dans une aventure dont il ignorait alors les répercussions, il avait fait cela parce qu’il n’avait trouvé personne pour l’écouter et prendre en considération les demandes de libération de la terre de ses ancêtres, et après qu’il se soit exposé, lui et ses camarades, aux coups et au mépris et à l’injustice. Et aujourd’hui, 35 ans après ces évènements et cette aventure, il existe encore des jeunes, comme el Ouali, qui font comme el Ouali, à chaque fois qu’ils ressentent l’injustice et l’humiliation. Un exemple de ces jeunes, l’un des membres du comité de dialogue d’Igdim Izik, qui a récemment rejoint les camps du Polisario dans le Sud algérien de peur de subir ce que ses amis ont enduré, et fuyant les prisons dans lesquelles croupissent encore des membres de ce comité du dialogue, des gens qui ne sont pourtant impliqués dans aucune action violente ou meurtrière.
On peut ressentir la même impression de suffocation, à la fois ancienne et récente, dans les propos de nombre de dirigeants historiques du Front, comme Bachir Mustapha Sayyed, qui parle d’un obstacle psychologique indépassable, obstacle raconté et décrit par son jeune frère Baba Sayyed lorsqu’il se remémore les humiliations qu’il avait vécues, lui et ses camarades, au début des années 70, quand ils étaient encore enfants et qu’ils se dirigeaient de leur lieu de résidence à Tan-Tan au village de Bouizakarne où se trouvait leur école. Et le même sentiment de « hogra » et de mépris se retrouvent tel que nous l’avons remarqué, chez un grand nombre d’habitants des camps du Sud algérien qui ont choisi, trente années durant, les conditions difficiles de la vie dans les camps, qui l’ont choisie en raison de leur fierté et d’un sens de la dignité qui a grandi avec eux et en même temps qu’eux, légué de génération en génération…
Ainsi donc, analyser le problème du Sahara à travers les seuls angles – particulièrement complexes – politiques, juridiques et géostratégiques, nous cache la plus grande partie de l’iceberg, celle qui est immergée, à savoir la personnalité du Sahraoui de base. Et ce point est, et a été, de tous temps ignoré par les différentes politiques suivies, jusqu’à aujourd’hui encore, dans les provinces sahariennes. Et c’est ce qui avait poussé Hassan II à déclarer aux dirigeants du Polisario venus le rencontrer à Marrakech que le Maroc a pu avoir la terre, mais qu’il n’avait jamais gagné les cœurs de ses résidents.
Ces paroles ont été prononcées par le défunt roi à la fin des années 80 du siècle dernier, mais elles sont toujours d’actualité. Ainsi, la gestion de l’affaire d’Igdim Izik a montré que le principe qui avait prévalu pour el Ouali Mustapha Sayyed au début des années 80 à Tan-Tan, est toujours le même qui prévaut aujourd’hui, politiquement et socialement. Et cela provient du fait de l’application d’une approche qui confine en grande partie, et malheureusement, à une approche « coloniale« , qui ne voit dans les populations habitant une terre donnée que des « indigènes« , qui place à leur tête un représentant du pouvoir central, qui crée des affidés au moyen de l’économie, et en distribuant rentes et privilèges, des affidés qui sont « élevés » aux rangs de « sages« , de « notables« , de « chioukh« , de « représentants » ou de « tuteurs » des populations, alors que le même pouvoir central sait pertinemment que ces mêmes notables ne représentent que leurs intérêts qui augmentent parallèlement à leurs facultés de chantage sur le pouvoir. Les exemples de cela dans les provinces sahariennes sont légion et les noms sont connus de tout le monde car cela fait trois décennies et demi que l’Etat les nourrit, les entretient et les protège, des Rachid aux Joumani, en passant par les Derhem… Sans compter ceux qui, parmi les agents d’autorité, profitent de cela avec ceux-là, et ceux qui bénéficient de cette situation de ni guerre ni paix dans la région, et que l’on retrouve dans les rangs des généraux et autres officiers qui ont récupéré et se sont partagés des butins d’une guerre même pas déclarée…
N’a-t-il pas été dit, dans trois discours royaux adressés à la nation, qu’il est nécessaire de réviser la constitution et la structure de cette chose appelée « Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes« , afin de le rediriger vers sa mission première qui est celle de la représentativité véritable des populations et de la défense de leurs intérêts ? Qu’est-il donc arrivé pour que cette volonté royale ne soit pas exécutée ? La difficulté de réponse à cette question ne fait qu’ajouter à la complexité d’une situation que certains utilisent pour en faire une vache à lait. Et les Marocains, qui continuent à payer la facture de cela au détriment de leur qualité de vie, ces Marocains dont une partie a perdu la vie et la jeunesse, n’ont pas accepté de contribuer comme ils l’ont fait avant, au profit d’une poignée de profiteurs qui ont détourné toute cette affaire à leur bénéfice, qui ont hypothéqué le développement du pays tout entier et qui repoussent ce développement à des horizons lointains qui s’éloignent à mesure que l’on s’en approche…
Ainsi, l’affaire du Sahara, montée de toutes pièces par ceux qui y ont intérêt ici et là, est une affaire de libération de la terre et de ses habitants, mais elle a été, et continue d’être, utilisée comme justificatif au retard de l’édification démocratique du Maroc et comme base de la dépendance au lieu de la liberté et, enfin, pousse et incite à ressentir la soumission plutôt que la dignité… Et à l’intérieur des camps, cette affaire est employée pour asseoir la dictature de la majorité tribale, et celle de la direction du Front, sans oublier la menace sur l’avenir de toute une région, au détriment et sur le compte de la souffrance de populations entières, de tous temps et en tous lieux !
Laissons maintenant tous ces calculs politiques et politiciens, et examinons la lueur d’espoir qui reste. Il s’agit de ce sentiment de dignité et d’amour de soi, qui confinent à la fierté, et qui permettent aux habitants des camps de Tindouf de résister, après toutes ces années, sous le froid glacial des hivers rigoureux et la chaleur torride des étés étouffants, supportant, endurant et souffrant de conditions de vie particulièrement difficiles… des accusations, des insultes et des qualifications de « mercenaires » ou de « séquestrés« … Ainsi, de la même manière qu’il ne faut pas imputer aux populations les travers de leurs dirigeants et les revers de leurs politiques ratées, persister à les considérer, de notre part, comme des mineurs incapables de faire, de dire ou de réagir, ne peut qu’alimenter les ressentiments négatifs des populations et creuse davantage le fossé entre eux et nous. En effet, l’écrasante majorité des populations des camps sont nées là-bas et y ont grandi, et plus le temps passe, plus importantes seront les générations qui ne connaissent du Maroc que ce que veulent bien leur en dire les dirigeants du Polisario, à savoir un pays « colonisateur« , et ce que leur en racontent leur parents qui ont connu les douleurs de la guerre et les malheurs des déplacements, mêlant la vérité triste et misérable aux mensonges qui ont vite fait de basculer dans la propagande et dans ses clichés habituels et inlassablement répétés…
Briser l’écueil psychologique constitué par les grands ratages de part et d’autre nécessitera du temps, et beaucoup de temps, mais cela doit commencer maintenant et avant toute chose par la levée de la « tutelle » imposée aux gens par les deux bords, en permettant la circulation d’une région à l’autre et en libérant les esprits des préjugés que chaque partie nourrit sur l’autre. Et cela aurait dû commencer à partir d’ici, à travers la construction d’un Maroc démocratique, libre, où l’individu se sent digne et où il développe une estime de lui-même. Comme le laisse entendre le dicton marocain, « personne ne quitte les jardins des délices « .
Omar Hadrami, un des premiers compagnons de lutte d’el Ouali, se rappelle que ce dernier lui avait dit, voici très longtemps et alors qu’ils arpentaient les chemins sableux du Sahara, ce qui s’apparente à une prise de conscience du poids des responsabilités : « j’espère n’avoir pas lésé, ou induit en erreur, mon peuple« . Las, ce que craignait le fondateur du Polisario est devenu aujourd’hui une réalité : le peuple qu’il pensait conduire vers la liberté s’est transformé en masse de réfugiés dépourvus de tout et dispersés aux quatre dunes… El Ouali est mort sans avoir vu cela ; et après lui, c’était au tour d’Hassan II de mourir, mortifié de n’avoir pas pu conquérir le cœur des Sahraouis.
Aujourd’hui, toute cette affaire nécessite le courage d’el Ouali et la hauteur de vue d’Hassan II, un courage et une hauteur de vue dont ont besoin les populations modestes pour croire en un avenir meilleur, et en remplacement de ces politiques employées par les deux parties, ici et là, et qui alternent et entrechoquent répression et supplication…
Lire l’éditorial, en arabe, sur lakome.com
Source :panoramaroc.ma, 28/12/2011
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