Par Tahar FATTANI
Enlevés, torturés, «jugés» à huis clos, état de santé en danger, environ 80 Sahraouis vivent encore le calvaire dans les cellules du Royaume.
Torturés, violés, agressés et massacrés, les Sahraouis racontent l’enfer vécu dans les geôles marocaines. Devant une armada de juristes internationaux, de journalistes, de politologues et d’universitaires, les anciens détenus sahraouis révèlent les pratiques inhumaines et autres agressions dont ils ont fait l’objet de la part des services marocains. A l’occasion de la deuxième journée des travaux de la 2e Conférence internationale d’Alger sur le thème «Le droit des peuples à la résistance: le cas du peuple sahraoui», d’anciens prisonniers sahraouis sont venus des territoires occupés pour témoigner des conditions d’incarcération aussi bien dans les geôles marocaines que dans les prisons se trouvant dans les territoires occupés telles Laâyoune et Dakhla.
El Bachir Ismaïli, étudiant en patrimoine et développement à l’université Ibn Zouhre à Agadir, se souvient, seconde par seconde de ses 18 mois d’emprisonnement. Accusé de «troubles» à l’université, Ismaïli, fervent militant de la cause sahraouie, raconte son arrestation, son «jugement» et son incarcération. Lui, qui organisait un sit-in, en compagnie de dizaines de ses compatriotes étudiants, n’a jamais pensé que son action, pourtant «juste et légale», allait transformer sa vie en cauchemar. L’idée de la prison ne lui avait jamais traversé l’esprit, même s’il reconnaît que son militantisme porte bien des risques et même de grands risques. «Condamné» en 2009 à quatre années de prison ferme, Ismaïli a vu sa peine réduite après cassation avant qu’il ne recouvre sa «liberté» il y a juste quelques mois.
A l’intérieur des prisons, les Sahraouis sont confrontés à toutes sortes d’intimidations et actes racistes de la part des prisonniers marocains qui ne sont pas traités de la même façon que les Sahraouis. «Les prisonniers marocains ne nous considèrent pas comme citoyens marocains mais comme de vrais Sahraouis, du coup ils nous intimident. Les gardiens et autres fonctionnaires de la prison sont chargés de nous tabasser et nous intimider», révèle-t-il, dans une déclaration à L’Expression. Et de témoigner encore: «Les cellules sont surchargées. On partageait la même salle de prison avec les Marocains condamnés pour crimes (meurtre, vol ou agression). Nous n’avions pas de place où dormir. Les sanitaires inexistants. On nous servait une nourriture qu’on ne donnerait même pas à des animaux».
«Jugement» à huis clos
Ismaïli n’est pas le seul à vivre l’horreur dans les prisons marocaines. Le sort des Nasiri Hamadi est pire. Enlevé et condamné à trois reprises, il a passé plus de quatre années dans les différentes prisons de Laâyoune, Rabat et Agadir, dans la prison d’Inezgane-Aït Melloule. Il raconte: «Les conditions de détention sont très difficiles. Cette situation a été étudiée par le Royaume marocain qui cherche à désarmer les Sahraouis et nous faire changer nos convictions politiques», a-t-il lancé. De nature pudique, Nasiri hésite au départ à révéler les pratiques inhumaines que lui et ses concitoyens ont subies dans les prisons. Témoignage pour l’histoire oblige, la victime glisse quelques confidences pour alerter la communauté internationale. «Nous avons subi différentes méthodes de torture, durant et après l’instruction. On nous torturait selon la position appelée avion, on nous violait à l’aide d’objet extérieur ou la méthode chiffon», a-t-il dit. Et d’expliquer: «On nous mettait sous le nez et la bouche un tissu mouillé d’urine, de javel ou d’autres produits chimiques, au point d’étouffer et de s’évanouir», a-t-il révélé. Quant aux conditions du «jugement», les mêmes témoins attestent que les auditions se déroulent à huis clos et que les verdicts sont dictés par Rabat.
L’art de la torture
«Les «jugements» ont lieu à huis clos. Ma famille et les observateurs, les juristes internationaux et défenseurs des droits de l’homme, sont interdits d’y assister. La salle d’audience est remplie par les services de sécurité. Les familles des victimes et même la défense sont tabassées par la gendarmerie royale», atteste Ismaïli.
Pour ce dernier, ni le juge ni le président de la cour, encore moins le procureur du roi, n’ont le pouvoir de prononcer un jugement. «Il ne font qu’attendre le verdict dicté depuis Rabat pour le prononcer en séance.»
Aux cris de détresse des prisonniers se joignent les juristes. France Wely, présidente de l’association «Droit et solidarité France», affirme de son côté que les procès ne sont pas équitables et les «jugements» sont prononcés sur la base de procès-verbaux et autres «aveux» sous la torture. «Les Sahraouis arrêtés font l’objet de torture et de viol. Il y a un manque absolu du respect du droit de la défense comme dans un pays «normal». Les avocats sont reçus au dernier moment et l’on ne nous laisse pas présenter des témoins», a-t-elle déploré dans une déclaration à L’Expression.
En ce qui concerne les conditions de détention, elle enchaîne en indiquant que «la prison noire» de Laâyoune présente des conditions très lamentables, mais elles sont encore plus difficiles à Rabat et à Agadir. «A Laâyoune, les familles pouvaient parfois rendre visite à leurs proches, mais les grosses affaires nous les avons eues à Rabat et Agadir. Les détenus ne reçoivent pas de courrier. Ils n’ont pas accès à la bibliothèque, donc aux livres. Ils sont privés de soins. A chaque fois qu’ils revendiquent l’exercice d’un droit élémentaire, ils font l’objet de violence à l’intérieur des prisons de la part de l’administration pénitentiaire», dit-elle. Il a été relevé, lors de cette conférence, que près de 80 détenus politiques sahraouis se trouvent dans les prisons marocaines. C’est ce qu’a affirmé le représentant du ministère sahraoui des Territoires occupés, M. Omar Boulsan. Parmi ces prisonniers, 23 relèvent des tribunaux militaires à Salé près de la capitale marocaine, Rabat. Quelques prisonniers décident d’entamer une grève de la faim dans les jours qui viennent pour attirer l’attention de la communauté internationale sur leur situation.
L’Expression, 31/10/2011
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