Editorial de Aïssa Khelladi : Changer la donne

Wikileaks confirme, sans rien apporter de nouveau, ce que tout le monde pense sur la situation entre l’Algérie et le Maroc. Cette situation arrange, à des degrés divers, les intérêts de la France autant que ceux des Etats-Unis – autrement le drame des Sahraouis n’aurait pu durer tout ce temps. L’Algérie est la première visée, c’est l’évidence. Elle doit le comprendre de manière profonde et permanente, et agir en conséquence. Le Sahara occidental est son talon d’Achille. 
 
Si la France a pris option, depuis Giscard, pour les Marocains – du moins diplomatiquement – les USA se veulent plus subtils en laissant faire le pourrissement. Pour la première, l’Algérie est stratégique : il s’agit de la contrecarrer en la fixant, jusqu’à épuisement, dans une crise larvée avec son voisin. Pour les Américains, l’Algérie est «importante» mais pas stratégique : d’où leur subtilité. Que fait l’Algérie ? Après Boumediène, prêt à en découdre avec le Maroc, Chadli, qui a tenté d’inverser le rapport de force diplomatique à son profit – en s’alignant sur Mitterrand – et qui le paiera cher, Bouteflika apparaît avec d’autres idées. 
 
Isoler son adversaire sur un plan géographique par la fermeture des frontières, négocier avec la France la question politique de son soutien à la monarchie par des pressions économiques notamment, voire politiques, enfermer les deux protagonistes sur le Sahara occidental dans un tête-à-tête où l’Algérie n’est pas partie prenante… Cette démarche s’accompagne d’autres actions, surtout de séduction, envers les Américains. Le résultat est là, une France acculée à la défensive sur la question, une Amérique plus timide que jamais, et un Maroc aux abois qui veut faire croire à la guerre. Mais est-ce suffisant ? Jusqu’où l’Algérie peut-elle aller pour résoudre cette crise tout en préservant une certaine indépendance à l’égard de ses «prédateurs» ? 
 
L’idéal aurait été que les rapports avec le Maroc se normalisent mais l’actuel roi, confronté à son peuple, ne l’entend pas de cette oreille. Poursuivre le bras de fer sans se laisser impressionner par la dramatisation que le Maroc en fait ni se laisser entraîner dans d’autres pièges exige de nos politiques qu’ils aient une vision correcte de l’avenir, sur un plan interne – aux deux pays voisins – et sur un plan plus général, à la fois économique et géopolitique. C’est-à-dire jusqu’où les Français et les Américains peuvent-ils s’accommoder du statu quo actuel ? Les relations internationales sont l’expression de rapports de force. Bouteflika le sait plus que tout autre. «Ce sont les Marocains, a-t-il dit dans une note de wikileaks, qui ont créé ce problème, l’occupation du Sahara par la force, c’est à eux de trouver une solution». Mais c’est à l’Algérie de tout faire, au fond, pour l’y aider, pour qu’il soit dans l’intérêt du Maroc de sortir de son problème. Et pour cela, il n’y a qu’un moyen : changer, autant que faire se peut, la donne. Les intérêts de la France dans la région, aussi bien que de l’Amérique, doivent se retrouver progressivement dans la normalisation et non dans la tension. C’est plus facile à dire, mais il y a déjà un début avec la politique de Bouteflika. Il lui reste simplement de poursuivre ce qu’il fait déjà dans ce sens.
Par Aïssa Khelladi
Les Débats, 8/12/2010

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