En août 2008, Al Jarida Al Oula, titre aujourd’hui disparu, avait publié des témoignages inédits de personnalités de premier plan sur les décennies de répression du makhzen sous Hassan II. Ils étaient le fruit d’auditions menées par l’IER* dans le cadre de ses investigations sur les cas de violations graves des droits de l’homme de 1956 à 1999. Leur contenu n’a pas été rendu public, seuls de rares témoignages diffusés sur les ondes de la télévision avaient été mis en scène pour faire croire à une catharsis nationale. Il était de notoriété publique que certaines dépositions avaient été tenues secrètes, notamment celles concernant l’emblématique affaire Ben Barka, auxquelles le rapport final de l’IER ne réservera qu’une part bien infime de ses conclusions.
Il s’agissait comme l’avait avoué Driss Benzekri d’une concession faite au régime pour des raisons d’ordre sécuritaire. Le scoop d’Al Jarida Al Oula représente la quintessence du travail journalistique : celui de révéler au public des informations d’intérêt général que rechigne à dévoiler l’Etat. Ahmed Herzenni, le successeur de Benzekri à la tête du Conseil consultatif des Droits de l’Homme décida alors de faire appel à la justice pour contraindre Al Jarida Al Oula au silence.
Cette volonté affichée de dissimuler des informations dont la finalité est justement d’être divulguées (il ne s’agissait pas de mettre en péril la sécurité de l’Etat, mais au contraire d’en affirmer la démocratisation supposée) fut le fait, dans le cas d’espèce, de l’instance suprême dont la mission était justement de faire la lumière sur la face obscure du régime. Cette posture effarante avait prouvé l’échec patent de toute la philosophie de réconciliation annoncée en grande pompe par l’IER, car sans recherche de vérité totale, point d’apaisement et surtout pas de garantie de ne pas voir la monarchie commettre à nouveau de telles infamies au nom de la raison d’Etat. Sa bonne intention a ainsi été complètement démentie.
Ce reniement devait briser le consensus espéré autour de la question des Droits de l’Homme, le rapprochement entre société civile et pouvoir n’ayant pas été cimenté.
L’affaire Herzenni a été le symbole médiatique de l’anéantissement des efforts consentis par les victimes des années de plomb et une poignée d’optimistes naïfs qui voulaient croire que l’IER permettrait à la nation tout entière de passer le cap de la barbarie. Elle rappelle celle des Pentagon papers survenue en 1971 aux Etats-Unis entre l’administration Nixon et le New York Times. La Maison blanche avait désespérément tenté de faire cesser la publication de documents confidentiels du Pentagone sur la guerre du Vietnam. Une affaire d’Etat qui contribua à condamner cette guerre aux yeux de l’opinion publique américaine. La Cour suprême en décidera autrement, confortant l’idée que l’intérêt public dépasse celui des gouvernants. Pour le journalisme américain, cela devait ouvrir l’ère de défiance des médias vis-à-vis de l’exécutif dont l’affaire du Watergate en sera plus tard le symbole ultime. Wikileaks la perpétue aujourd’hui avec son infoguerre planétaire.
Ali Amar
* Instance Equité et Réconciliation
Voxmaroc Blog, 06/12/2010
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