Abordé en marge de la célébration du trente-cinquième anniversaire du Conseil national sahraoui, le Premier ministre de la République arabe sahraouie démocratique, Abdelkader Taleb Omar, a volontiers accepté de s’entretenir avec notre envoyé spécial et notre confrère du quotidien Horizons, du climat de tension régnant dans les territoires occupés, n’excluant point le recours à l’option armée, seule à même de faire accéder le peuple sahraoui à son indépendance.
Le Courrier d’Algérie : L’Onu semble être sous-pression pour un référendum pour le sud du Soudan. Ne serait-ce pas, selon vous, le moment opportun pour la République arabe sahraouie d’en faire autant ? Abdelkader Taleb Omar : Nous l’espérons parce que la question sahraouie est défendue par le droit international. Elle est considérée étant une question de décolonisation. Malheureusement, la France fait de son mieux, comme à chaque fois, à mettre les bâtons dans les roues pour qu’une issue favorable et rapide soit engagée et ainsi mettre un terme aux supplices des populations sahraouies. D’ailleurs, vous le savez certainement, c’est la France qui n’a pas tardé à user de son droit de veto, récemment, pour bloquer l’envoi d’une mission d’enquête onusienne après les massacres de Gdeim Izik et de El- Ayoun.
Selon vous, pourquoi la France agit de la sorte ?
La France ne tient pas à admettre la souveraineté et les libertés des peuples, notamment, dans le Maghreb. La France tient toujours à ce que ce soit le Maroc, son enfant gâté, qui jouit dans la région de toutes les priorités nécessaires. Sur un autre volet, la France n’admet, en aucun cas, que le combat mené depuis les premières heures de l’invasion marocaine en 1975, soit un prolongement de celui mené par les Algériens, qui, de par leurs sacrifices, ont arraché leur indépendance. Quoi qu’il en soit, la France reconnaîtra un jour ou un autre que ce combat est légitime. Rien n’est plus caché aux yeux de la communauté internationale.
Le voile est tombé sur la réalité de l’esprit criminel du Maroc Le Front Polisario a-t-il eu des discussions avec le gouvernement français ?
Chose que nous n’avons jamais cessé d’entreprendre. Nous avons demandé à la France, à maintes reprises, d’être non pas à la faveur de la question sahraouie mais du moins de prendre une position neutre et, ainsi, défendre la légalité internationale. Nous avons également demandé à la France de ne jamais nier l’existence d’autres pays que le Maroc dans la région du Maghreb. Si la France persiste à ignorer ce point, ce serait tout l’équilibre de la région qui est remis en doute.
Confirmez-vous qu’il y eu des contacts ?
Tout à fait, le représentant du Front Polisario aux Nations unies a, lors de la récente réunion du Conseil de sécurité, contacté le représentant de la France. Malheureusement, la position de la France n’a pas du tout changé. La suite est connue de tout le monde. Le Parlement européen a fortement condamné les derniers événements de Gdeim Izik.
Pensez-vous que ce même parlement pourrait contraindre la France à changer de position ?
La position du Parlement européen a eu un impact favorable sur l’esprit de tous les Sahraouis et non seulement celui des instances dirigeante. C’était un revers et un coup que le régime marocain n’a pas trop digérés. Ce même régime, sans scrupule aucun, n’a pas hésité à organiser, le lendemain, une marche à Casablanca pour minimiser l’ampleur de la résolution et de la réduire à la critique du parti populaire espagnol comme à ses habitudes. Entre fuir les réalités et chercher un bouc émissaire, tous les coups sont permis. Une attitude qui ne nous étonne pas de la part du régime marocain et le langage usé à Gdeim Izik contre une population aux mains nues qui ne défendait que ses droits élémentaires en est une preuve formelle. Pour revenir à votre question, notre espoir est grand de voir cette résolution avoir un impact direct sur la politique de la France vis-à-vis de la question sahraouie. Autrement dit, nous sommes sûrs et certains que le parlement européen un son poids moral et politique dans ce sens.
Les déclarations des hauts responsables espagnols sont contradictoires, particulièrement, depuis la répression de Gdeim Izik et El-Ayoun… Depuis cette crise, le gouvernement espagnol s’est senti dans une situation à laquelle on n’arrivait pas à répondre d’une manière bien étudiée. Aujourd’hui le gouvernement espagnol est représenté par un courant minoritaire issu du Parti socialiste ouvrier. Ce sont les membres influents ainsi que la base de ce même parti qui ont été, depuis tout le temps, contre l’attitude marocaine, eux qui ont condamné cette action marocaine. Sans parler également des représentants du PP, de la gauche ainsi que quelques-uns de l’extrême droite. L’élément nouveau, c’est cette mobilisation espagnole qui va certainement appeler l’Espagne et faire pression sur son gouvernement afin de prendre une position plus favorable concernant la question sahraouie.
Ces derniers temps, la reprise des armes est souvent évoquée par les responsables sahraouis. Qu’en est-il au juste et qu’en pensez-vous ?
L’évolution des faits l’exige. D’autre part, le gouvernement sahraoui n’a manqué aucune occasion à rappeler au monde entier les pratiques du Maroc sur le sol sahraoui. La communauté internationale a été, à maintes fois, interpellée afin de faire pression sur le Maroc, mais jusque-là, rien de palpable n’a été enregistré. Bien au contraire, la situation des droits de l’homme dans les territoires occupés s’empire de jour en jour. Aucun prétexte ne reste au Polisario pour dissuader les Sahraouis à récupérer ce qui leur a été pris de force que par la force. Ici même (les camps des refugiés de Tindouf), des milliers de Sahraouis ont tenu des manifestations appelant à la reprise de la lutte armée. La direction du Front Polisario a pu maintenir momentanément les gens dans le calme. Mais, on ne peut contenir longtemps cette option de retour aux armes s’il n’y a pas une évolution concrète. Les faits sont là, le régime marocain ne semble pas nous laisser le choix. Nous avons toujours privilégié la solution politique et pacifique. Si ce chemin connaît sous peu une issue politique favorable, bienvenue, sinon mais comme je l’ai déjà mentionné auparavant, toute chose a ses limites.
Donc vous confirmez que vos hommes de terrain ont repris chacun son poste au sein de votre armée ?
Oui bien sûr. La réalité des choses le dicte. Le discours du Mohamed VI, datant du 6 novembre, ne pouvait avoir d’autres lectures qu’une escalade et des menaces. En première étape, les forces armées marocaines sont passées à l’acte en territoires occupés. En deuxiéme partie, dans son discours Mohamed VI a clairement affiché son désir de récupérer des territoires occupés. En allant encore plus loin, le roi s’est montré également clair concernant les camps des réfugiés. Toute armée du monde a pour mission de défendre ses citoyens. Nous ferons de même. Dans quelques jours, le Front Polisario et le Maroc ont encore un rendez-vous pour une autre manche de négociations.
Ce qui s’est passé à Gdeim Izik n’auraitil pas une influence négative sur les pourparlers ?
Assurément, car avant toute négociation, un climat propice doit être préalablement mis en action, mais encore une fois, le Maroc mine tous les chemins menant à une solution définitive et favorable. Les événements de Gdeim Izik sont intervenus à la veille des négociations de New York, donc beaucoup de choses sont à revoir dans ce cadre.
Entretien réalisé dans les camps sahraouis de Tindouf par Farid Houali
Le Courrier d’Algérie, 2/12/2010
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